Deux ou trois mois se sont écoulés, depuis mon accouchement. Je ne sais pas exactement. Le temps s'écoule différemment en Enfer. Depuis que cet enfant est sorti de mon corps, je ne suis plus que l'ombre de moi-même. Une simple silhouette sans profondeur, et sans âme. Lorsque j'observe mon corps déformé dans le miroir de la salle de bain, je ne cesse de me rappeler du jour où j'ai appris ma grossesse et où j'ai directement su qu'elle signerait la fin de ma liberté. La fin de ma vie.
La fin de tout.
— Pffff... Soufflé-je pour me donner du courage, en prenant bien le temps de frotter mon cuir chevelu irrité, à force de me laisser aller à mes angoisses.
Je déniche ma petite boîte, que j'appelle la « boîte à bonheur », dans le tiroir le plus à droite du meuble, en-dessous du lavabo, et prends un médicament que j'ai du mal à avaler tant ma gorge est serrée comme dans un étau. Cependant, je sais d'avance qu'il saura me calmer, en laissant des ailes pousser dans mon dos pour m'emporter beaucoup plus loin, beaucoup plus haut que cette vie que je subis chaque jour, chaque heure, chaque minute, et même chaque seconde. Une fois la minuscule boule blanche dans ma bouche, je me penche au-dessus de l'évier et fais couler l'eau, que je récolte dans une paume pour la porter à mes lèvres. Je force sur ma gorge contractée, pour le faire parcourir mon œsophage, en me redressant et en balançant la tête en arrière. Je clos les paupières en patientant, priant pour qu'il fasse encore effet. Je suis trop habituée à en prendre, maintenant. Chaque jour, j'ai peur que ces arcs-en-ciel qu'ils créent dans mon existence s'estompent pour n'en laisser que des larmes. Or, tout à coup, sans crier gare, la voix rauque et rugissante de mon compagnon parvient jusqu'à la minuscule pièce dans laquelle je suis réfugiée depuis des heures :
En fait, depuis que j'ai mis Isadora au lit.
— CONSTANCE !!!!!!!!!!!!!
— Oui, chéri ? Ironisé-je, comme je le fais depuis des mois pour arrondir les angles et éviter des crises de colère inutiles.
— VIENS ICI, ESPÈCE DE CONNASSE !!! Hurle alors mon compagnon. RAMÈNE TON CUL ICI !!!!!
Mes battements de cœur s'accélèrent de manière drastique. Je savais que ça arriverait un jour. Mes jambes, déjà remplies d'ecchymoses, se mettent à trembler. Pourtant, comme une bonne petite femme obéissante, je cours dans sa direction et, lorsque j'arrive dans la chambre de notre fille, il est penché au-dessus du berceau. Les paumes accrochées aux barreaux du minuscule lit, il reste là, le regard verrouillé sur sa petite princesse endormie. Je reste dans l'embrasure de la porte, un réflexe que j'ai développé avec le temps, et qui me permet de m'échapper au moins pour un temps de ses poings d'acier.
— Oui...? Osé-je alors.
Arthur ne bouge pas d'un pouce durant de longues secondes. Secondes pendant lesquelles je n'ose presque plus respirer, de peur de déclencher sa fureur. Heureusement que mon cœur ne saurait exprimer son malheur, sinon, nous subirions ses hurlements qui feraient fuir toute forme de vie alentour. C'est seulement au bout de quelques minutes qu'Arthur se lance enfin :
— Tu sais, Constance, j'ai mis du temps...
Il marque une pause, et tend un bras en direction de notre enfant pour caresser sa minuscule joue rosée. Le nourrisson se réveille progressivement et finit par lui sourire, en réponse à ce geste affectueux qu'il n'a plus depuis des lustres, avec moi. Ses courtes jambes potelées gigotent dans tous les sens et dénotent tout le bonheur qu'elle ressent, cette petite merveille que nous avons fabriquée. Je reste de marbre, tandis qu'il éclaire ma lanterne :
— Ouais, putain... J'ai mis du temps à te faire comprendre que tu étais trop libre. Que ta condition ne te le permettait pas.
— J'ai touj-j-j-jours été reb-b-b... Bégayé-je, avant qu'il ne me coupe dans mon élan.
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DADDY'S GIRL - TOME 2 - The Girl
RomansaIsadora et John continuent de vivre leur amour passionnel dans le dos de Constance, en se laissant doucement ronger par les remords de ce secret trop lourd à porter, sans se douter que cette dernière est déjà au courant. Sa vengeance menace de les...