— Q-q-q-q-q-u-u-u-u...
La situation prend une tournure dramatique. Je ne pensais pas en arriver là ce soir, mais il m'y a contrainte. Le visage de mon mari se décompose plus vite qu'un cadavre laissé à l'air libre. J'aurais aimé prendre un cliché de son visage au moment où je le lui ai annoncé.
La définition-même de l'ascenseur émotionnel ! C'est beau à voir. Même si j'aime cet homme à la folie, je ne peux m'empêcher de jubiler intérieurement en ruinant sa petite vie parfaite.
Finalement, ça n'est peut-être pas plus mal de tout lui avoir avoué. Sinon, quand aurais-je pu le faire ? C'était le moment parfait !
John me toise droit dans les yeux pendant des minutes interminables, ses orbes gigantesques verrouillés dans les miens, et la respiration haletante. Il n'est plus capable de faire le moindre geste, comme si je l'avais privé de toute sa motricité. La noirceur s'abat sur mon visage à à grande vitesse, à tel point que je peux presque percevoir le changement progressif de couleur dans ses sclères. L'extinction ultime de son bonheur, qui vole en éclat et se répand dans sa grande maison comme une traînée de poudre prête à exploser et à tout réduire en charpie sur son passage. Nous restons plantés là, l'un en face de l'autre, simplement éclairés par les lueurs extérieures. Silencieux. Comme dans le cimetière de notre vie détruite par l'irruption de cette gamine, il y a quelques mois. Je ne dis plus rien, observant avec attention ses réactions qui, finalement, sont pile comme je les imaginais : un corps lymphatique, une attitude stoïque, un cœur déchiré en mille morceaux que je serai la seule à pouvoir reconstituer.
J'imagine que ce que je viens de lui balancer en pleine gueule équivaut à faire arracher le palpitant à mains nues.
Ça me convient.
— Ah ah, tu l'avais pas vue venir, celle-là, hein ! M'esclaffé-je, comme une enfant, rompant le silence morne comme un blasphème.
John ne rétorque absolument rien. Il est figé. Telle une statue grecque. En état de choc. Je me demande même s'il est encore vivant, ou si son cœur ne va pas s'arrêter d'une seconde à l'autre.
Ouais ! C'est pile la réaction que j'attendais, je ne suis pas déçue, putain !
Pourtant, je n'entends ni sa respiration, ni les battements de son cœur, censés prendre de la vitesse et de l'intensité après ce qu'il vient d'apprendre, ni le craquement de ses os qui se déchaussent, ni ses sanglots. Tout est intérieur. Pourtant, il doit être en charpie, à l'intérieur.
Il est prêt.
Je le sens.
Ni une ni deux, n'attendant pas plus longtemps, je profite de sa faiblesse. Je rebrousse alors chemin et effectue quelques pas en direction de mon mari, qui ne bouge toujours pas et ne semble même pas noter mes mouvements. Est-il en état de mort cérébrale ? Va-t-il se réveiller lorsque je serai près de lui ? Je l'espère. Lorsque je me trouve à environ un mètre de son corps, je perçois son regard vitreux. Il ne me voit même plus, alors que je lui fais face, envahissant son espace vital. Non, il semble perdu dans le vide. Dans le néant. Sans un trou noir duquel il ne ressortira jamais.
C'est donc le moment opportun.
Le moment d'en profiter.
Je dois le récupérer.
Il est à moi !
J'approche encore, baissant toute ma garde. À cet instant, comme je le connais, il est inoffensif. Son cerveau est certainement en train de rebrousser chemin lui aussi, pour se rediriger inlassablement vers l'amour de sa vie.
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DADDY'S GIRL - TOME 2 - The Girl
RomantizmIsadora et John continuent de vivre leur amour passionnel dans le dos de Constance, en se laissant doucement ronger par les remords de ce secret trop lourd à porter, sans se douter que cette dernière est déjà au courant. Sa vengeance menace de les...