CHAPITRE 13 - Isadora

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J'ai passé le reste de la journée enfermée dans ma chambre. Et puis, de toute manière, personne n'était présent à la maison pour me faire la morale. John est reparti dans son entreprise peu après la fin du déjeuner. Quant à Constance, elle est retournée chez le coiffeur pour sa permanente. Honnêtement, cela faisait si longtemps qu'elle n'y était plus retournée, que je pensais réellement que ledit professionnel de la chevelure avait rendu l'âme à force de renifler les relents de son cerveau déjanté.

Pauvre homme, quand j'y pense...

Ça doit puer.

Lorsque je m'imagine le corps de ma mère allongé sur un des sièges, dans une immense pièce blanche qui ressemble presque à celle d'un hôpital, à se faire masser le crâne et à gémir comme je le fais avec son mari, j'en ai des hauts le cœur. Vu sa tendance légèrement nombriliste et narcissique, je l'imagine sans problème, se regarder dans le miroir sans s'en lasser le moins du monde, en arrangeant de temps à autre une ou deux mèches qui se feraient la malle et en répétant sans la moindre honte qu'elle est « superbe ». J'en viendrais presque à l'apprécier, avec le temps.

Quoi qu'il en soit, malgré ma solitude dans cette immense demeure, je suis restée enfermée dans mon antre, au fond de mon grand lit king size, à regarder différentes œuvres de cinéma qui ne me semblaient plus avoir aucun sens. Les images ainsi que leurs couleurs, tantôt vives, tantôt mornes, défilaient devant mes yeux à une vitesse fulgurante et moi, j'étais tout bonnement incapable de me concentrer sur l'une d'entre elle. Je n'ai cessé de penser à ma vie.

À notre vie.

À toutes ces complications.

Aujourd'hui est une journée spéciale : j'ai dix-huit ans. Je suis enfin passée de l'autre côté de la barrière. Tout aurait pu me sembler plus simple : nous avons enfin le droit, John et moi, d'afficher notre amour, de le crier sur les toits. Depuis le début de notre relation, j'attendais impatiemment ce moment où nous pourrions dévoiler notre amour indestructible à Constance, pour partir nous installer ailleurs - ou ici. Depuis notre premier baiser, j'attends notre union solennelle. J'attends de commencer à vivre pleinement à ses côtés, au lieu d'être secrètement étreinte par ses bras musclés.

Pourtant, une seule chose me bloque : les sentiments de ma mère. Elle a l'air de l'aimer si profondément que je ne vois plus comment je pourrais avoir le courage de lui avouer que son mari et moi avons une relation. Je l'ai compris lors de nos longues conversations lorsque nous sommes allées en ville. Si je devais personnifier l'amour qu'elle ressent pour cet homme, je le comparerais à un éternel tyran qui lui lacère le cœur et la force à devenir quelqu'un qu'elle n'est pas et qu'elle n'a jamais été. Cet amour torturé domine toutes ses pensées. Et si, d'ordinaire, un amour comme celui-ci est censé panser les plaies, celui-ci la fait tressaillir en torturant son âme et en l'enfermant dans une cage comme un oiseau dont on couperait les ailes avec une lame tranchante.

— C'est si cruel... Songé-je.

Le temps s'est écoulé à une vitesse fulgurante, cet après-midi. Entre deux siestes, le temps paraît toujours plus court. Puis, le soir-même, nous avons dîné tous les trois autour de la grande table du jardin, John, Constance et moi, comme si de rien n'était. Comme si cette journée était des plus banales. Sans mentionner ni mon anniversaire, ni nos journées respectives, ni rien, d'ailleurs. Je tentais à tout prix d'oublier que quelques heures plus tôt, j'avais dû encaisser le soufflage de bougies ainsi que le « câlin de l'Enfer ». En fait, nous étions plongés dans un silence mortel qui nous consumait. Je voyais, au regard désarçonné de John, que le dîner lui pesait, à lui aussi, comme un sac rempli de gravats. Pour ma mère, tout était plus qu'ordinaire.

DADDY'S GIRL - TOME 2 - The GirlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant