Sheyla:
Quand j'ai sept ans, ma vie bascule. Ce jour-là, ma mère accouche de mon petit frère, Eren. Je suis dans ma chambre, et j'entends ses cris percer les murs de la maison. C'est la première fois que je la vois – ou plutôt, que je l'entends – souffrir ainsi. Ces hurlements déchirants me terrifient. Je tente de me boucher les oreilles, mais en vain. Le bruit traverse tout. Alors, pour échapper à cette détresse, je me réfugie dans la salle de bain. Je ne veux pas que mon père me voie effrayée, alors je ferme la porte à clé, craignant qu'il ne m'enferme dans la cave.
Assise par terre, les mains plaquées sur ma bouche pour étouffer mes sanglots, je tremble. Puis, quelqu'un frappe à la porte. Je me fige, retenant ma respiration, jusqu'à entendre la voix rassurante de ma nounou :
— Sheyla, tu es là ?
Sans hésiter, j'ouvre brusquement la porte et me jette dans ses bras. Elle me serre fort, un bref réconfort, avant de murmurer :
— Ton père arrive.
Le soulagement s'évapore instantanément. Lorsque mon père entre dans ma chambre, son regard se pose sur moi, chargé de dégoût. Je me détache des bras de ma nounou, tentant de garder une expression impassible, mais mes mains tremblent, trahissant la terreur qui m'envahit.
Je prie intérieurement pour qu'il ne remarque rien, mais soudain, sa voix claque comme un fouet :
— Emmenez-la dans la cave pour lui remettre les idées en place !
Des gardes surgissent de nulle part, m'attrapent violemment par les bras. Une douleur aiguë traverse mon bras droit, mais je n'ose pas crier. À travers mes larmes silencieuses, je jette un coup d'œil à ma nounou. Elle a les yeux humides, désolée. Un simple hochement de tête pour dire qu'elle ne peut rien faire.
Les gardes me traînent jusqu'à la cave et m'y jettent sans ménagement. La porte se referme derrière moi, verrouillée. Je me retrouve seule, dans l'obscurité, entourée de bestioles et de la peur oppressante. Pour ne pas éclater en sanglots, je me mets à fredonner doucement la chanson que ma mère me chante pour m'endormir. Je prie pour qu'elle aille bien.
Des heures plus tard, mon père daigne enfin me libérer. Mais alors que je sors, les cris résonnent toujours dans la maison. Cette fois, ce ne sont pas ceux de ma mère, mais des travailleuses et des membres de la famille. Quelque chose cloche.
Je monte en courant vers la chambre de ma mère. Des femmes y affluent, leurs visages pétrifiés. La porte de la chambre est entrouverte. Poussée par une angoisse viscérale, je jette un regard à l'intérieur, et ce que je vois me coupe le souffle.
Le corps de ma mère gît en sang. Ses yeux, vidés de toute vie, me fixent dans un dernier regard. Ses bras et ses jambes semblent disloqués, sa bouche entrouverte. Et puis, un sourire fugace se dessine sur ses lèvres avant qu'elle ne s'immobilise pour de bon. Elle est morte. Et je sais que c'est à cause de mon père.
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Dix novembre 2023, Fethiye. Le bruit d'un coup léger contre la porte me réveille.
— Entrez, dis-je d'une voix encore engourdie par le sommeil.
Les femmes de ménage entrent, portant des vêtements propres. Comme à leur habitude, elles commencent à organiser ma garde-robe par couleurs. J'ai toujours aimé cet ordre parfait, mais il y a une ironie dans tout cela : la majorité de mes vêtements sont noirs ou roses, mes deux couleurs préférées. Le contraste entre ces deux teintes résume bien ma vie.
— Bonjour, mademoiselle. Comment allez-vous aujourd'hui ? demande l'une d'elles, comme tous les matins.
Je commence à en avoir assez de ces routines. Elles ressemblent à des robots, dénuées d'émotions, prisonnières de leur rôle. J'aimerais qu'elles puissent être libres, qu'elles n'aient pas à simuler cette soumission constante. Elles doivent être tellement fatiguées.
— Très bien, merci. Et vous ? réponds-je par politesse.
Comme d'habitude, aucune réponse. Elles se contentent de m'informer que le petit-déjeuner est prêt et que mon frère m'attend.
— D'accord, merci.
Je me lève et me dirige vers la salle de bain pour commencer ma routine matinale. J'observe mon reflet dans le miroir : mes yeux vert noisette, encadrés par une longue chevelure noire qui descend jusqu'à mes hanches. Mes cheveux, mi-lisses mi-ondulés, sont accompagnés de taches de rousseur parsemées sur mes joues. Mes dents parfaitement alignées, avec des canines légèrement proéminentes, me donnent un air à la fois doux et féroce. Mon corps, lui, ne correspond pas aux standards de beauté imposés. J'ai un peu de ventre, mais cela ne m'a jamais dérangée. Pourtant, aux yeux des autres, c'est un défaut majeur. On m'a souvent reproché de ne pas « faire femme ». Mais je m'en fiche. J'aime manger, c'est l'un des rares plaisirs que cette vie me laisse.
Je m'habille d'une robe noire longue, simple et sans décolleté. Rien de provocant, bien sûr. Dans ce monde, je dois « respecter mon corps », comme on me le répète si souvent. Je rêve parfois de pouvoir m'habiller comme je veux, de porter des jupes courtes, des talons ou des décolletés sans craindre le regard des autres. Mais je suis la fille d'un père à la tête de la mafia turque. Mon destin est tout tracé.
Je quitte ma chambre et rejoins mon frère Eren à la salle à manger. Il est déjà assis à table, prêt à manger. À peine me voit-il qu'il se lève et me souhaite un joyeux anniversaire. J'avais presque oublié que c'était aujourd'hui. Comme chaque année, le seul cadeau que je reçois, ce sont ses câlins et ses bisous. Et cela me suffit amplement. Je l'embrasse sur le front et nous commençons à manger ensemble. Il est la seule lumière dans cette vie sombre.
Quelques minutes plus tard, on nous informe que notre père arrive. Nos sourires disparaissent instantanément. Lorsqu'il entre, l'atmosphère se tend.
— Bonjour, père.
Nous prononçons ces mots en chœur, sans émotion. Je jette un bref coup d'œil à son visage dur. Aujourd'hui, comme tous les jours, il est de mauvaise humeur. Les responsabilités de sa vie de chef mafieux semblent peser lourdement sur lui.
— Ce soir, j'ai une réunion. Ne venez pas me déranger, sinon je me ferai un plaisir de t'apprendre les règles de cette maison, gronde-t-il en me fixant.
— Oui, père.
Il se tourne vers moi et, contre toute attente, ajoute :
— Sheyla, comme c'est ton anniversaire aujourd'hui, je te libère. Tu peux aller où tu veux.
Un hoquet de surprise m'échappe. Il remarque ma réaction, et je me ressaisis rapidement. Il ne m'a jamais offert quoi que ce soit pour mon anniversaire. Pas cette année non plus, bien sûr, mais cette liberté inattendue est déjà un cadeau. Toutefois, il n'oublie pas de me rappeler :
— Cependant, tu dois me promettre de ne pas faire de bêtises. Sinon, tu sais ce qui t'attend.
Je hoche la tête, le regard troublé. Je tourne les yeux vers Eren avant de demander d'une voix timide :
— Je peux emmener Eren avec moi ?
— Non. Il reste avec moi. Je dois lui montrer le monde dans lequel il vit.
La tristesse m'envahit, mais je sais qu'il ne lui arrivera rien. Eren est un garçon, l'héritier de mon père. Lui, il a de la valeur. Moi, je ne suis rien. Juste un poids de plus à porter.
Nous finissons de manger, et mon père part avec Eren. Moi, je monte dans ma chambre pour me préparer. Aujourd'hui, je veux vivre un peu. Juste une journée.
Je choisis une robe chemise élégante et vintage, beige, avec une ceinture à la taille. Je chausse mes talons Saint Laurent, attrape mon sac Dior en cuir et je me maquille légèrement, un style sombre qui reflète mon humeur. Aujourd'hui, j'ai dix-huit ans, et j'ai décidé de sortir. Je n'ai peut-être qu'une journée, mais je compte bien en profiter.
— Déposez-moi en ville, dis-je à mon chauffeur.
— Oui, madame.
Le voyage commence. Je prends place dans la voiture, et le chauffeur referme la portière derrière moi. Aujourd'hui, je suis libre.
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PIERCE THE VEIL
Roman d'amourSheyla, 18 ans, a grandi dans l'ombre et la souffrance, sous l'emprise d'un père tyrannique, chef impitoyable de la mafia turque, qui la garde secrète et soumise, réprimant toute lueur d'émotion en elle. Mais tout bascule lorsqu'il décide de la mari...