Chapitre 33

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Le prince n'avait pas pu attendre un jour de plus pour sortir avec Kyoka. Dès qu'elle avait accepté, il prit ses jambes à son cou pour tout préparer. Et quand il ne fut plus dans le champ de vision de la professeure, cette dernière déposa son livre et se pressa de rejoindre la cuisine. Cette sortie improvisée l'enthousiasmait encore plus que Denki.

Mais malgré le fait qu'ils voulaient se faire discret, il y avait toujours quelqu'un à l'affût du moindre fait et geste de tout le palais. Et cette personne n'était autre que Toru Hagakure, qui avait fait semblant de faire le ménage dans la bibliothèque avec un plumeau. Elle avait tout entendu de la discussion entre ces deux tourtereaux. Et elle avait également vu comment le prince s'était précipité dehors, suivi par Jirou qui avait l'air pressée elle aussi.

Il se passait quelque chose entre ces deux-là. Elle avait raison depuis le début, mais Kyoka s'entêtait à ne pas la croire. Toru comptait bien rendre leur balade encore plus romantique qu'ils l'avaient prévue. Alors, la femme de chambre sortit en trombe de la bibliothèque pour aller à la recherche de son amie professeure. Quand elle la retrouva, elle était en train de remplir un panier d'osier avec une nappe et de la nourriture. Toru sourit de toutes ses dents. Jamais elle n'avait vu Kyoka aussi enthousiaste à l'idée de faire quelque chose. Il fallait qu'elle partage cette bonne nouvelle avec Mina.

Au bout d'une heure, tout était prêt. La noiraude attendait patiemment Denki dans les écuries, munie de son panier. Ce dernier commençait à se faire attendre, ce qu'elle ne supportait vraiment pas. Mais où pouvait-il bien être? Elle espérait qu'il n'ait pas été retenu par son père pour qu'il lui fasse un compte-rendu de son entrevue avec Himiko. Et en parlant d'elle, le roi devait sûrement être légèrement sous le choc. Lui qui avait prévu le programme d'une journée entière pour son fils...

Kyoka entendit des pas se rapprocher et elle se leva rapidement de sa position assise et regarda le nouvel arrivant. C'était Denki. Enfin! Il avait un sourire charmant collé au visage, ce qui la fit sourire automatiquement. Il s'arrêta devant elle après sa course et reprit son souffle.

— Désolé pour le retard.

— Qu'as-tu fait pour avoir mis autant de temps?

— J'ai demandé à Eijiro et Mina de venir avec nous.

— Et donc?

— Ils ne peuvent pas.

Et il a dit ça avec un grand sourire jamais vu. Pour une raison qu'elle ne pouvait expliquer (ou plutôt qu'elle ne voulait pas admettre), Kyoka était ravie que le couple ne vienne pas avec eux. Mais elle se pinça les lèvres pour tenter de masquer un sourire naissant. Mais c'était impossible. Elle finit par sourire et détourna le visage.

— Ce n'est pas grave. Dit-elle.

— Oui, ce n'est pas grave. Nous y allons?

La jeune femme hocha la tête et laissa Denki monter sur le cheval. Il lui tendit la main et elle grimpa derrière lui. Elle s'assura que son panier était bien attaché à la selle du cheval et le prince fit galoper sa monture. Rapidement, sans que personne ne soit au courant, ils quittèrent le château. À un balcon, Mina et Toru les regardaient partir. Finalement, il y avait deux personnes qui étaient au courant de leur petite escapade. Les deux jeunes femmes étaient tellement heureuses pour Kyoka. La rose avait bien fait de refuser cette balade. Merci à Toru.

Quant aux deux autres, ils traversèrent un champ de fleurs sauvages, Kyoka accrochée fermement à Denki. Heureusement qu'elle était derrière lui car elle était devenue rouge pivoine, la joue collée au dos du prince. C'était chaud et il sentait bon. Kyoka pouvait également entendre son cœur battre, malgré les bruits de sabots de leur monture. C'était apaisant et agréable. Pour cette balade, Denki avait opté pour une simple chemise, sans s'encombrer de veste. À part son cœur, la noiraude pouvait aussi sentir les lignes de ses abdominaux à travers la chemise.

Quelque chose dans le ventre de Kyoka se crispa. Vivement qu'il arrête ce cheval! Et heureusement, il s'arrêta devant un lac. La noiraude descendit en vitesse et commença à déplier la nappe. Denki vint l'aider en décrochant le panier. Bientôt, ils s'assirent tous deux sur le tissus rouge et le prince soupira.

— J'aime beaucoup cet endroit. Qu'en penses-tu, Kyoka?

— Je... C'est... Joli.

— C'est tout?

— Je ne suis pas un poète qui écrit des vers sur la beauté de la forêt, je suis professeur.

— J'avais presque oublié.

Un silence gênant. Enfin, pour Kyoka. La jeune femme pensait à ce qu'elle allait dire. Et elle n'avait rien en tête. Heureusement, Denki ne semblait pas s'être aperçu de la gêne. Et elle fut encore plus heureuse quand il prit la parole.

— Dis-moi, qu'aurais-tu fait si tu n'avais pas été professeur?

Kyoka ne s'était pas attendue à cette question. Mais elle avait déjà la réponse, des années auparavant. Elle rêvait d'être autre chose qu'une enseignante. Elle voulait faire quelque chose qui lui ferait se sentir en vie. Et cette chose n'était autre que la musique. Mais elle ne pouvait pas le dire au prince. C'était son secret le mieux gardé et il allait le rester.

— Hm... Si je n'avais pas été professeur, je crois que j'aurais été musicienne.

— Toi aussi?

— Comment ça, moi aussi?

— Je voulais aussi être violoniste.

— Et tu es plutôt bon.

— Merci. Mais à cause de mon statut, le violon ne peut que rester un passe-temps. Je ne dis pas que je voudrais ne plus être prince! C'est juste... Ce rêve, c'était avant.

— Avant?

— Avant de te connaître. Avant de pleinement réaliser qu'être prince était un rôle important. Je suis bien content d'avoir pris cette voie.

Et il avait de la chance de pouvoir choisir la vie qu'il voulait, sans s'encombrer de restrictions et de conditions. C'était une chose que Kyoka enviait à Denki. Il était libre. Mais bientôt, elle le serait aussi. Quand elle aurait fini ce pour quoi elle était venue, tout serait différent. Elle pourrait partir loin, très loin de tout et de tout le monde. Il n'y aurait plus personne pour la retenir et lui trouver des raisons de rester.

— Si tu voulais devenir musicienne, ça veut dire que tu sais jouer d'un instrument?

Denki s'était tourné vers elle et avait planté son regard ambré dans le sien. La jeune Jirou put voir toute l'innocence du prince. Il ne se doutait de rien. Il lui faisait aveuglément confiance. S'il savait seulement ce qu'elle planifiait de faire, il ne la regarderait pas de cette manière. Pendant un instant, Kyoka pensa à tout arrêter, rien que pour continuer à voir Denki sourire.

— Kyoka, de quel instrument tu joues?

Elle pensait qu'il n'y avait rien qui pouvait l'empêcher de partir. Rien qui pouvait se mettre en travers de son chemin. Mais elle avait trouvé une raison de rester un professeur. C'était ce blond aux yeux dorés. Mais serait-elle prête à renoncer à son rêve pour rester avec lui? Elle ne pouvait pas se le permettre. Son père n'apprécierait vraiment pas que ses plans tombent à l'eau, juste parce que sa fille s'est éprise du prince.

— Pourquoi tu me regardes comme ça? Demanda-t-il.

— Pardon?

— De quel instrument tu joues? Et pourquoi tu avais l'air ailleurs? À quoi tu pensais?

« À toi. À moi. À ce que nous pourrions être et ce que nous ne serons jamais. Je pense à la chose affreuse que je prépare dans ton dos, Denki. Si mes plans aboutissent, pourras-tu me pardonner un jour? »

Apprenti princeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant