☇ 𝟮𝟱

147 14 2
                                    

Après les cours, Théodora se rendit dans la forêt, là où Jasper l'attendait toujours pour leurs séances d'entraînement. La pluie s'était calmée et avait laissé le sol boueux, à chaque pas, ses chaussures s'enfonçaient légèrement, émettant de petits bruits d'éclaboussures. La lumière du soleil, qui peinait à percer les nuages épais, donnait à la clairière une atmosphère un peu irréelle, presque magique, tandis qu'un léger voile de brume s'élevait doucement du sol humide.

Jasper était déjà là, adossé à un tronc d'arbre, sa silhouette élancée se détachant dans la pénombre de la forêt. Il portait une chemise noire à manches retroussées, et c'est là que Théodora les remarqua pour la première fois : des cicatrices. Pas n'importe lesquelles, mais de longues traces entrelacées de morsures qui parsemaient ses bras. Elles formaient un étrange motif sur sa peau, des souvenirs gravés à même la chair, comme les témoins silencieux d'une violence passée.

"Tu es en retard," lança-t-il avec son habituel sourire en coin, bien que son regard trahisse une lueur de curiosité en la voyant s'approcher.

"J'avais un débat important sur les extraterrestres à régler," répondit-elle en levant les yeux au ciel, un sourire amusé étirant ses lèvres. Mais malgré la légèreté de ses mots, son regard ne cessait de revenir sur ces cicatrices. Comment avait-elle pu ne pas les remarquer avant ?

Son cœur se serra. Ces marques, ces cicatrices, parlaient de souffrance, de combats, de moments où Jasper avait dû lutter pour sa vie. Qu'avait-il traversé pour en arriver là ? Lentement, presque inconsciemment, Théodora s'avança vers lui et tendit la main, ses doigts effleurant délicatement l'une des morsures comme si elle cherchait à caresser ses blessures, à apaiser sa douleur. Son geste était hésitant presque timide, comme si elle craignait de le toucher là où il était le plus vulnérable. 

Ses doigts effleurèrent l'une des cicatrices et Jasper se tendit sous son contact, un frisson parcourant sa peau. D'un mouvement brusque, il recula, un geste instinctif, comme s'il avait été touché par une flamme brûlante. Ce geste, ce rejet soudain, fit naître une pointe de douleur dans le cœur de Théodora, comme un rappel cruel de la distance qui continuait de les séparer. Elle retira aussitôt sa main, un peu tremblante, et un voile de tristesse passa sur son visage.

"Je suis désolée," murmura-t-elle, ses joues en feu, se sentant idiote d'avoir osé toucher ce qu'il semblait vouloir cacher. Elle retira sa main comme si elle s'était brûlée.

Jasper secoua légèrement la tête, mais son expression restait tendue, marquée par une douleur qu'il ne pouvait dissimuler. "Ce n'est rien," répondit-il d'une voix rauque, mais Théodora pouvait sentir que, pour lui, ce n'était pas "rien". C'était tout, ces cicatrices étaient tout ce qui le définissait, tout ce qu'il essayait de fuir.

" Est-ce que... c'était Maria qui t'a fait ça ?" osa-t-elle finalement demander, sa voix presque étouffée par la timidité et la crainte d'aller trop loin, ses yeux s'attardant sur ces cicatrices qui semblaient si douloureuses.

Jasper ferma les yeux un instant, et lorsqu'il les rouvrit, elle vit quelque chose d'indéchiffrable passer dans son regard. "Pas seulement elle," avoua-t-il, sa voix chargée d'une tristesse profonde. "Ces marques viennent de beaucoup de batailles. La plupart sont des morsures, des souvenirs laissés par d'autres vampires dans la vie que j'ai menée après ma transformation. Chaque marque raconte une histoire de violence, de survie."

La gorge de Théodora se serra, et elle sentit les larmes lui monter aux yeux. Elle tenta de les retenir, ne voulant pas paraître faible, mais l'idée que Jasper ait dû endurer tant de souffrance lui était insupportable. "Pourquoi ? Pourquoi tu n'en as jamais parlé ?"

"Parce que ça n'a pas d'importance," répondit-il d'un ton qui se voulait détaché, mais qui trahissait sa douleur. "C'est le passé, Théodora. Un passé que je préférerais oublier."

Elle s'approcha de lui à nouveau, cette fois avec plus de détermination, refusant de le laisser se refermer sur lui-même. "Tu dis que c'est le passé, mais ces marques sont là, sur ta peau. Elles font partie de toi, que tu le veuilles ou non."

Il la fixa, ses yeux sombres reflétant une émotion qu'il avait tenté de dissimuler pendant si longtemps. "Et toi," murmura-t-il enfin, sa voix à peine un souffle, "elles ne te font pas peur ?"

Théodora secoua la tête. "Non, elles ne me font pas peur. Parce que je sais que tu es plus que ces cicatrices, plus que ce que tu as traversé."

Ils restèrent silencieux un moment, le vent froid caressant leurs visages, faisant danser les feuilles mortes autour d'eux. "Viens," dit-il soudainement, brisant le silence pesant. "Continuons l'entraînement."

Théodora pensa avec détermination : "Je dois devenir plus forte, plus rapide. C'est comme si je me battais contre Maria à chaque coup, à chaque mouvement. Je refuse de la laisser avoir un quelconque avantage sur moi. C'est mon combat aussi, et je ne la laisserai pas me voler ce qui compte."

Le sol était devenu glissant à cause de la boue, rendant chaque mouvement plus difficile, plus exigeant. Jasper l'observait attentivement, ses yeux dorés ne quittant pas les siens. Il la corrigeait, ajustait ses mouvements, l'encourageait lorsqu'elle hésitait. Chaque fois qu'ils se frôlaient, Théodora pouvait sentir la chaleur de ses cicatrices sous ses doigts, et c'était comme si un peu de sa douleur s'insinuait en elle, l'unissant à lui d'une manière qu'elle ne comprenait pas encore.

"Tu te débrouilles bien," complimenta-t-il après un énième échange, un léger sourire aux lèvres, bien que ses yeux trahissent toujours une lueur d'inquiétude.

"Merci," répondit-elle, essoufflée mais satisfaite. Ses cheveux, attachés en une tresse, s'étaient quelque peu défaits à cause de l'entraînement, et elle s'essuya le front du revers de la main, tachant légèrement son visage de terre. Après un moment de silence, elle rassembla son courage et posa la question qui la hantait. "Je veux connaître ton histoire, Jasper. Je veux comprendre ce que ces cicatrices signifient, ce qu'elles racontent."

Il la fixa, un éclat de douleur et de tendresse mêlés dans son regard. Pendant un instant, Théodora crut qu'il allait de nouveau se refermer sur lui-même, qu'il allait s'éloigner, comme il le faisait toujours. Mais finalement, il hocha lentement la tête, ses yeux se perdant dans le lointain. "Un jour," murmura-t-il d'une voix rauque, "je te raconterai tout. Mais pas ce soir."

"Pourquoi pas ce soir ?" osa-t-elle demander, son cœur battant la chamade.

"Parce que ce soir," répondit-il en la regardant droit dans les yeux, "je veux simplement être ici, avec toi, sans les fantômes du passé."

Les mots de Jasper touchèrent Théodora bien plus profondément qu'elle ne l'aurait imaginé. Elle sentit son cœur s'accélérer, une chaleur douce se répandant dans son être. Peut-être qu'il était prêt à avancer, à laisser le passé derrière lui, pensa-t-elle. Mais pour l'instant, elle était simplement heureuse d'être à ses côtés, de partager ce moment avec lui.

Ils restèrent là, assis côte à côte. Leur proximité, le bruit des feuilles qui craquaient sous le vent, et la lumière dorée du soleil couchant créaient une atmosphère presque irréelle. Théodora tendit la main et, cette fois, effleura la cicatrice la plus proche de son poignet, un geste léger, comme une promesse silencieuse. Jasper ne recula pas. Au lieu de cela, il tourna la main pour enlacer doucement la sienne, ses doigts froids entremêlés aux siens.

Sans vraiment y réfléchir, portée par l'instant et les émotions qui bouillonnaient en elle, Théodora se tourna légèrement vers lui, ses yeux plongés dans les siens. Il y avait dans ce regard une intensité, une profondeur qu'elle n'avait jamais vue auparavant. Elle se rapprocha doucement, et dans ce moment suspendu, sans parole, leurs lèvres se trouvèrent.

Le baiser était doux, hésitant, comme une promesse à peine murmurée. Les lèvres froides de Jasper contrastaient avec la chaleur qui envahissait Théodora, un feu intérieur qui brûlait doucement en elle. C'était un moment fragile, comme si le monde s'était arrêté autour d'eux, et tout ce qui importait, c'était ce lien silencieux, inaltérable.

Quand ils se séparèrent, Théodora sentit un sourire naître sur ses lèvres, une légèreté nouvelle dans son cœur. Jasper la regardait avec la même intensité, mais cette fois, il y avait une tendresse qu'elle n'avait encore jamais perçue. Ils restèrent là, mains toujours entrelacées, comme si ce simple geste suffisait à tout dire.

❝ 𝐋𝐔𝐌𝐈𝐍𝐄𝐒𝐂𝐄𝐍𝐂𝐄 ❞ ʲᵃˢᵖᵉʳ ʰᵃˡᵉ ( FR )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant