☇ 𝟴𝟬

106 3 3
                                        

Théodora ouvrit la porte de sa maison, une vague d'appréhension l'envahissant aussitôt. Elle savait que ces derniers jours avaient été compliqués avec ses parents. Les messages échangés n'avaient été que des réponses courtes et vagues, et elle sentait déjà la confrontation venir. En posant son sac à l'entrée, elle entendit immédiatement la voix de sa mère résonner depuis la cuisine.

Je n'ai pas la force pour ça aujourd'hui...

"Théodora ! Enfin ! Où étais-tu ?" Sa mère apparut dans l'encadrement de la porte, les bras croisés, une expression de colère mêlée d'inquiétude sur le visage. "Tu te rends compte que ça fait des jours qu'on n'a pas eu de nouvelles de toi ? Des jours ! On a reçu un seul SMS, et c'est tout ! Tu n'as pas pensé une seule seconde à nous prévenir ?"

Théodora soupira et roula des yeux, exaspérée. Elle tenta de répondre d'une voix calme : "Je t'avais dit que je partais, tu savais que j'étais chez une amie. J'ai envoyé un message pour prévenir, je comprends pas pourquoi tu t'énerves autant."

À quoi bon essayer d'expliquer si tout est déjà perdu d'avance ?

"Chez une amie ?" reprit sa mère, sa voix montant d'un cran. "C'est tout ce que tu as à dire ? On n'a même pas su qui, ni où exactement. Tu n'as pas jugé utile de répondre à nos appels, à nos messages, rien ! On était morts d'inquiétude, Théodora ! Ton père et moi avons failli appeler la police !"

"Ça va, je suis là, non ?" répliqua Théodora, son ton devenant plus sec malgré elle. "Vous dramatisez toujours tout !"

Toujours... à exagérer, toujours à me surveiller. Où est l'air pour respirer ?

"Tu te rends compte de ce que tu dis ?" La voix de sa mère tremblait, entre rage et désespoir. "Ce n'est pas dramatique d'attendre des nouvelles de sa fille quand elle disparaît du jour au lendemain sans plus d'explication ! Ce n'est pas dramatique de vouloir s'assurer qu'elle va bien ! On a eu peur pour toi, Théodora. Peur ! Tu te comportes comme si on ne comptait plus, comme si on ne méritait même pas un simple appel pour nous dire que tout va bien."

Théodora sentit une colère sourde monter en elle. "Mais j'ai pas disparu, je vous ai dit où j'étais ! Vous ne me lâchez jamais, c'est insupportable !"

Je ne peux plus respirer sous ce poids...

"Insupportable ?" Sa mère haussa les sourcils, abasourdie. "Ce qui est insupportable, c'est de ne plus te reconnaître ! Tu as changé ces derniers temps. Tu es distante, tu ne nous parles plus, tu te renfermes sur toi-même. Qu'est-ce qui se passe, Théodora ? Qu'est-ce qui te pousse à agir comme ça ?"

"Rien," répondit Théodora d'une voix tendue. "Il ne se passe rien, vous vous faites des idées."

Si seulement vous saviez... vous ne comprendriez jamais.

"Des idées ?" Sa mère éclata d'un rire nerveux, avant de la fixer avec des yeux brûlants de colère. "On se fait des idées, vraiment ? Théodora, regarde-moi dans les yeux et dis-moi que tu es heureuse. Dis-moi que tout va bien. Parce que ce que je vois, c'est une jeune fille qui est complètement ailleurs, qui semble perdue et qui refuse de parler à ses propres parents !"

Théodora évita le regard de sa mère, sa gorge se nouant de frustration. "Peut-être que c'est vous qui ne comprenez pas !" cria-t-elle, ses mains se serrant en poings. "Peut-être que j'en ai marre de devoir justifier chaque petit truc que je fais, de me sentir toujours jugée ! Vous vous attendez toujours à ce que je sois parfaite, à ce que je fasse ce que vous voulez !"

Je ne suis pas parfaite. Je ne veux plus l'être.

"Mais qu'est-ce que tu racontes ?" s'exclama sa mère, sa voix se brisant sous le coup de l'émotion. "On ne te demande pas d'être parfaite, on veut juste savoir que tu es en sécurité, que tu vas bien. On t'aime, Théodora, mais tu fais tout pour nous repousser, pour nous tenir à l'écart. Pourquoi ? Qu'est-ce qui te pousse à agir comme ça ?"

"Rien ! Il n'y a rien !" hurla Théodora, les larmes de rage montant à ses yeux. "Vous ne comprenez rien, c'est tout ! Vous ne saurez jamais ce que je ressens !"

Je suis seule, même quand vous êtes là.

"Alors explique-le-nous !" supplia sa mère, les larmes perlant à ses yeux. "Explique-nous ce qui te tourmente, ce qui te pousse à te refermer comme ça ! On veut juste t'aider, mais tu ne nous laisses pas faire !"

"Je n'ai rien à expliquer !" rétorqua Théodora, sa voix brisée par l'émotion. Elle se sentait piégée, acculée. Elle ne pouvait pas leur dire la vérité, elle ne pouvait pas leur avouer ce qu'elle traversait réellement. "Laissez-moi tranquille !" hurla-t-elle avant de tourner les talons et de courir à l'étage, laissant sa mère figée dans l'incompréhension et le désespoir.

Ils ne verront jamais la vraie douleur derrière ce que je montre.

Elle monta les escaliers quatre à quatre, se précipitant dans sa chambre avant de claquer la porte si fort que les murs en tremblèrent. Elle se laissa tomber sur son lit, la respiration saccadée, le cœur battant la chamade. La colère, la frustration, le désespoir... tout se mêlait en elle, formant une boule insupportable dans sa poitrine. Elle n'en pouvait plus, elle avait besoin d'échapper à cette douleur, à cette réalité.

D'une main tremblante, elle fouilla sous son lit et sortit le bang qu'elle avait caché, ainsi qu'une petite boîte contenant l'herbe. Sans réfléchir, elle alluma un briquet et fit brûler la substance, inspirant profondément la fumée. Elle sentit immédiatement la chaleur se répandre dans ses poumons, l'odeur piquante envahissant ses narines.

Juste quelques minutes de calme... je ne demande que ça.

La première bouffée fut un choc, brûlant ses poumons et brouillant sa vision. Elle toussa légèrement, mais l'effet commença à se faire sentir presque aussitôt. Une sensation de chaleur se répandit dans tout son corps, comme si un poids immense se dissolvait peu à peu, emportant avec lui toute la tension, toute la douleur. Ses muscles se relâchèrent, et une torpeur douce l'envahit.

Laissez-moi sombrer dans cet oubli...

Elle inspira une deuxième bouffée, plus longue, plus profonde. La fumée semblait la pénétrer, s'immiscer dans chaque parcelle de son être, engourdissant ses pensées, ses émotions. Ses paupières devinrent lourdes, ses membres s'alourdissant comme si son corps flottait doucement, déconnecté de la réalité.

Plus de questions. Plus de jugements. Juste moi et ce silence.

Elle se laissa tomber en arrière, la tête posée contre l'oreiller, observant les volutes de fumée qui s'élevaient lentement au-dessus d'elle, dansant au rythme de la musique lointaine qui résonnait dans sa tête. Tout devenait flou, plus léger, comme si elle était enfin libérée de ce fardeau qui pesait sur ses épaules.

Je veux rester ici, dans ce néant qui m'apaise.

Son esprit s'égara, les pensées se mélangeant, se superposant, perdant peu à peu leur importance. La colère s'éloigna, la tristesse s'effaça. Il n'y avait plus rien, juste ce calme, ce vide apaisant. Pour un instant, le monde cessa d'exister. Il ne restait que cette sensation d'oubli, de flottement, et Théodora s'y abandonna, laissant la fumée l'envelopper, l'emporter loin de tout.

❝ 𝐋𝐔𝐌𝐈𝐍𝐄𝐒𝐂𝐄𝐍𝐂𝐄 ❞ ʲᵃˢᵖᵉʳ ʰᵃˡᵉ ( FR )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant