☇ 𝟮𝟰

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Le lendemain matin, Théodora quitta sa maison, enfonçant ses mains dans les poches profondes de son manteau pour se protéger du froid mordant qui régnait à Forks. La fine bruine typique de la ville s'infiltrait à travers ses vêtements, mouillant ses cheveux laissés détachés qui collaient à son visage. Elle sentait l'humidité s'accumuler sur ses baskets, formant de petites flaques à chaque pas sur les pavés détrempés. Son jean noir et son pull en laine, bien qu'épais, ne suffisaient pas à la réchauffer, mais c'était un autre froid, plus profond, qui l'habitait. Pourquoi ai-je ce sentiment d'oppression, comme si quelque chose de terrible pouvait arriver à tout moment ? se demanda-t-elle en avançant vers le lycée, son souffle formant de légers nuages dans l'air glacé.

Le vieux bâtiment en briques rouges, symbole familier du lycée de Forks, se dressait devant elle, ses fenêtres embuées contrastant avec la grisaille ambiante. Les arbres imposants autour semblaient ployer sous la pluie incessante, comme si la forêt elle-même était écrasée par le poids des secrets qu'elle abritait. Théodora sentit son estomac se nouer davantage en s'approchant des portes, chaque pas lui semblant plus lourd que le précédent. Reste calme. Ne montre rien. Fais comme si tout était normal, se répétait-elle en silence, essayant de se convaincre.

En passant les portes d'entrée, elle fut frappée par la chaleur soudaine qui régnait à l'intérieur, un contraste bienvenu avec l'humidité extérieure. Les couloirs grouillaient d'élèves, le son des conversations, des rires et des casiers qui claquaient remplissant l'espace d'une familiarité presque réconfortante. Pourtant, au fond d'elle, elle savait qu'Emmett la surveillait, sa présence invisible pesant sur ses épaules comme une ombre protectrice, mais toujours là pour lui rappeler la menace constante qui planait.

"Salut Théo !" s'exclama une voix joyeuse à côté d'elle. Eleanor apparut soudainement, un sourire éclatant sur le visage. Habillée de son habituel sweat oversize gris, Eleanor semblait toujours détendue, même dans l'agitation du lycée. Ses cheveux en bataille autour de son visage lui donnaient un air naturellement décontracté.

"Prête pour une nouvelle journée palpitante ?" lança-t-elle avec un clin d'œil.

Théodora, encore envahie par son inquiétude, se força à sourire en retour. "Oh, totalement prête," répondit-elle en tentant de paraître espiègle. "Je me demande combien de fois je vais réussir à me perdre dans la leçon d'histoire aujourd'hui."

Eleanor éclata de rire, et bientôt Thomas les rejoignit, son sourire malicieux habituel étiré sur ses lèvres. "L'histoire, c'est l'excuse parfaite pour dormir en classe," plaisanta-t-il en donnant un léger coup d'épaule à Théodora.

"Vous ne croyez pas qu'on devrait demander à changer de sujet ?" ajouta-t-il en riant. "Je veux dire, qui ne voudrait pas parler de dragons ou d'extraterrestres à la place ?"

"Je vote pour," déclara Chloé en ajustant sa queue de cheval blonde d'un geste rapide. Grande, avec une allure presque éthérée, Chloé dégageait une présence apaisante, malgré son air toujours un peu pressé. "Mais seulement si on peut apprendre à les combattre pendant les cours de sport."

Alors que Théodora se laissait porter par les conversations de ses amis, son esprit, lui, s'échappait doucement, dérivant vers Jasper. Il occupait ses pensées comme une mélodie obsédante, une chanson qu'elle ne pouvait chasser, même si elle le voulait. Qu'est-ce qu'il faisait en ce moment ? Peut-être était-il en train de la surveiller discrètement, caché quelque part avec Emmett, à veiller sur elle comme il le faisait toujours. Mais même quand il n'était pas là, elle sentait sa présence. Il était devenu comme une part d'elle-même, une force qu'elle ne pouvait ignorer.

Jasper est tout ce que je n'avais jamais imaginé vouloir, tout ce que je n'avais jamais osé espérer. Avec lui, elle ressentait une intensité qu'elle n'avait jamais connue. Son regard, ses gestes, même ses silences semblaient lui dire plus que n'importe quel mot. Il représentait quelque chose de profondément enraciné en elle, une force brute, mystérieuse et indomptable, mais qui, d'une manière inexplicable, la faisait se sentir en sécurité.

Comment expliquer ce qu'il est pour moi ? Un refuge, un abri dans la tempête, mais aussi cette tempête elle-même. Il la faisait se sentir vulnérable et invincible à la fois, comme si elle pouvait tout affronter tant qu'il était à ses côtés. Pourtant, malgré cette proximité, une partie d'elle restait toujours en quête, toujours à chercher à le comprendre, à percer ce voile de mystère qui l'entourait.

Elle se surprit à sourire en pensant à la douceur avec laquelle il la touchait, à la manière dont il la regardait, comme si elle était la seule chose qui comptait dans son univers éternel. Je l'aime, pensa-t-elle, son cœur battant plus fort à cette réalisation. C'était plus qu'une simple attirance, plus qu'une simple connexion. C'était un amour qui dépassait le temps, un amour qui, même dans sa peur, résonnait avec une intensité qu'elle ne pouvait ni fuir ni nier.

À l'intérieur de la salle de classe, les heures passèrent avec une lenteur désespérante. Théodora s'efforça de rester concentrée, de prendre des notes avec assiduité, mais son esprit vagabondait constamment. Elle se surprenait à jeter des regards furtifs par la fenêtre, se demandant où était Emmett, s'il se tenait quelque part non loin, toujours en alerte. Pourquoi suis-je plus en sécurité avec lui à l'extérieur que dans cette salle pleine de monde ?  se demanda-t-elle. Ce n'était pas tant la présence d'Emmett qui la dérangeait, mais plutôt ce qu'elle représentait : une protection nécessaire contre un danger invisible.

À la pause de midi, elle retrouva ses amis à la cantine, autour de leur table habituelle. L'agitation de la cafétéria, les bruits de plateaux et de discussions animées autour d'eux créaient une ambiance familière. Chloé, toujours un peu maladroite, mangeait son sandwich avec des miettes qui tombaient partout, tandis que Thomas volait sans scrupule les frites de ses voisins en prétendant n'avoir rien fait. Eleanor, quant à elle, était plongée dans une discussion passionnée sur son dernier livre, gesticulant de manière si enthousiaste que Théodora crut un instant que son jus de fruit allait valser dans tous les sens.

"Théo, tu es avec nous ?" lança soudainement Thomas, la sortant de ses pensées. "Ou tu as décidé de partir pour une autre dimension sans nous prévenir ?"

Elle sourit doucement, secouant la tête. "Non, non, je suis là," répondit-elle en attrapant une frite dans son assiette. "Je ne partirai pas sans vous."

"Ça me rassure," répliqua-t-il en riant. "On aurait du mal à survivre sans toi."

Leurs rires résonnèrent, et, malgré elle, Théodora se sentit légèrement plus légère. Le simple fait d'être entourée de ses amis, de rire avec eux, lui offrait une bouffée d'air frais dans cet environnement oppressant. Peut-être que je peux encore avoir des moments de normalité, pensa-t-elle en observant le groupe autour d'elle. Théodora se sentit présente, ancrée dans cette réalité. C'est ça que je dois protéger, se dit-elle. Ces moments de normalité, ces amis, ce lycée. Mais au fond, l'inquiétude ne la quittait pas complètement, comme une ombre tapie, attendant son heure.

La journée se poursuivit dans cette ambiance légère, bien que ponctuée par des éclats de stress que Théodora parvenait tant bien que mal à repousser. Tandis qu'elle quittait le lycée à la fin des cours, le ciel toujours chargé de nuages, elle sentit un dernier frisson parcourir son échine. Le danger est toujours là, réalisa-t-elle, en jetant un coup d'œil derrière elle. Mais ses amis étaient là aussi, et pour l'instant, c'était suffisant pour lui donner la force de continuer.

❝ 𝐋𝐔𝐌𝐈𝐍𝐄𝐒𝐂𝐄𝐍𝐂𝐄 ❞ ʲᵃˢᵖᵉʳ ʰᵃˡᵉ ( FR )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant