☇ 𝟳𝟮

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Théodora avançait à travers la forêt, ses pas lourds brisant le silence presque sacré des bois. Le ciel, toujours couvert de nuages, ne laissait filtrer qu'une lumière froide et diffuse, et la bruine constante créait un voile humide sur la nature environnante. Chaque pas la rapprochait de la clairière où elle savait que Jasper s'entraînait souvent seul. Le souvenir de la conversation avec Alice résonnait encore dans sa tête, et un nœud de colère, de peur, et de désespoir se formait dans son estomac, si lourd qu'elle en avait presque du mal à respirer. Elle ne pouvait plus attendre, plus fuir. Jasper devait l'entendre, il devait savoir ce qu'elle ressentait.

La clairière s'ouvrit devant elle, baignée dans cette lumière grise propre à Forks, où même les arbres semblaient étouffés sous l'humidité ambiante. Là, au milieu de cet écrin de nature, Jasper se tenait déjà, immobile. Son dos tourné vers elle, il semblait absorbé par quelque chose de bien plus profond que le simple paysage. Pourtant, Théodora savait qu'il l'avait entendue depuis longtemps, mais il ne fit aucun geste pour se tourner vers elle.

L'air entre eux était lourd, presque tangible. Elle se racla la gorge, forçant ses mots à briser ce silence oppressant. " Je dois te parler. "

" Je t'écoute, " répondit-il, sa voix glaciale, sans bouger, sans la regarder.

La réponse froide la frappa comme un coup de vent hivernal, coupant et distant. Elle serra les poings, tentant de maîtriser la tempête qui grondait en elle. " Pourquoi est-ce Alice qui vient m'annoncer que les Volturi reviennent ? " commença-t-elle, sa voix tremblante, à peine maîtrisée. "Pourquoi pas toi ? "

Un instant, seul le bruissement des feuilles répondit. Jasper resta figé dans cette indifférence apparente, mais après un long silence, il finit par tourner la tête vers elle. Ses yeux dorés, d'ordinaire si pleins de vie, étaient aujourd'hui d'une froideur distante, inatteignable. Un mur impénétrable se dressait entre eux, et Théodora sentait qu'elle ne pourrait jamais le franchir.

" Parce qu'elle savait que tu aurais du mal à l'entendre de ma part. " Sa voix, bien que calme, portait en elle un ton tranchant.

Théodora sentit une vague de colère monter en elle. Elle serra les poings si fort que ses ongles s'enfoncèrent dans sa peau. " Et c'est tout ?" rétorqua-t-elle, la gorge nouée d'émotion. " C'est tout ce que tu as à dire ? C'est ton rôle de me protéger, Jasper, pas de te cacher derrière les autres. C'est toi qui devrais être là pour moi, pas Alice. "

Le vent souffla doucement entre les branches, soulevant quelques gouttes de pluie qui retombaient lentement, comme des murmures discrets. Jasper détourna le regard, ses traits se durcissant davantage. " Et qu'est-ce que tu veux que je te dise ? Que tout ira bien ? Que tu n'as rien à craindre ? Ce serait te mentir. "

Ses mots, si durs, tranchèrent comme une lame dans le cœur de Théodora. Ses lèvres tremblèrent alors qu'elle murmurait, la voix étouffée par la douleur. " Tu m'as promis que tu serais là... " Ses yeux brillaient de larmes contenues. " Mais tu laisses Alice me dire les choses les plus importantes. J'ai l'impression que tu n'es plus là du tout. "

"Peut-être que c'est toi qui ne veux plus que je sois là, " répondit Jasper, son ton glacial résonnant entre les arbres. " Depuis ce rituel, tu luttes contre tout. Contre toi-même, contre moi, contre ce que tu es devenue. Tu refuses d'admettre que ta vie a changé, que tu n'es plus cette humaine fragile que tu étais. "

Les mots de Jasper se fracassaient contre elle comme des vagues froides, la plongeant dans un abîme de frustration. "Et toi, tu crois que c'est facile ? " cria-t-elle, sa voix brisée par l'émotion. " Tu crois que c'est simple de sentir ses sens amplifiés à l'extrême, de ne plus savoir comment être avec les gens qu'on aime ? Je me bats chaque jour pour ne pas perdre la tête, Jasper ! "

Jasper, lui, restait impassible. Seuls ses yeux trahissaient une ombre de quelque chose de plus profond, mais son ton restait dur. " Alors pourquoi tu ne laisses pas les autres t'aider ? " lança-t-il durement.  " Pourquoi tu continues à prétendre que tu peux tout gérer seule ? "

Théodora serra les poings, sentant ses larmes brûler ses paupières. " Parce que c'est la seule chose qui me reste ! " hurla-t-elle enfin, libérant la colère qui la dévorait. " C'est la seule chose que je peux encore contrôler ! "

Le silence s'abattit alors sur eux, lourd comme la bruine qui continuait de tomber doucement autour d'eux, créant une atmosphère oppressante. L'odeur des pins mouillés emplissait l'air, et le vent faisait bruisser doucement les feuilles, comme une respiration trop lourde dans cet instant tendu. Jasper détourna le regard, ses traits se fermant à nouveau, comme une porte qui se claque.

" Alice m'a dit que tu devrais t'entraîner avec un ancien vampire, " murmura-t-il finalement, brisant le silence avec une froideur qui fit frissonner Théodora. " C'est ta meilleure chance de survivre face aux Volturi. "

Théodora essuya rageusement ses larmes, secouant la tête. " Pourquoi est-ce encore Alice qui doit me dire ça ? Pourquoi pas toi ? " Sa voix se brisa. " C'est toi qui devrais m'aider, pas elle. "

Jasper la regarda alors avec une vulnérabilité qu'elle ne lui avait jamais vue. " Parce que je ne sais pas comment t'aider, Théodora, " avoua-t-il enfin, d'une voix si basse qu'elle faillit ne pas l'entendre. " Je ne sais plus comment te parler, comment te toucher. Tu es devenue quelqu'un d'autre, et je ne sais pas comment l'accepter. "

Ces mots furent comme un coup de poignard, enfoncé là où elle était déjà meurtrie. Mais elle se redressa, refusant de céder à la faiblesse qui menaçait de l'envahir. " Alors je vais devoir apprendre à m'accepter moi-même, " déclara-t-elle, la voix ferme malgré la douleur. "Avec ou sans toi. "

Jasper hocha lentement la tête, et pour la première fois, Théodora vit passer une lueur de douleur dans ses yeux. Mais il ne dit rien de plus. Il tourna les talons et s'éloigna sans un mot, la laissant seule au milieu de la clairière, sous la pluie persistante.

Elle resta immobile, ses bras ballants, le regard perdu dans le vide, tandis que la colère, la tristesse, et la frustration se mêlaient en elle. La pluie, fine et continue, glissait sur sa peau, mais elle ne la sentait plus. Elle n'était plus qu'une ombre parmi les ombres, noyée dans ses propres émotions.

Quand elle rentra chez elle, son cœur lourd et meurtri, elle chercha désespérément un répit à tout cela. Fouillant sous son lit, elle attrapa son bang, la seule chose qui, désormais, semblait capable de l'apaiser. Ses mains tremblaient alors qu'elle préparait son mélange. Le besoin d'échapper à la réalité était plus fort que tout.

Elle alluma le bang, et la fumée, enivrante, s'enroula doucement autour d'elle, envahissant ses poumons avec un soulagement immédiat. Chaque inhalation était une promesse de paix, un mensonge que son corps choisissait de croire.

Allongée sur son lit, Théodora laissa la fumée l'envelopper comme un voile protecteur, un cocon contre ses angoisses. C'était son seul refuge, l'illusion d'un monde où elle ne ressentait plus rien. La musique résonnait dans ses oreilles, chaque note une lueur dans l'obscurité, et les larmes, cette fois, coulaient sans brûler. Elles étaient simplement là, comme la pluie qui tombait dehors, implacable mais apaisante.

La fumée la berçait, la transportait loin de ce qu'elle refusait d'affronter.

«Je n'ai jamais demandé tout ça, » murmura-t-elle dans le silence de sa chambre, la voix faible. « Je n'ai jamais voulu que ma vie devienne un cauchemar. »

Elle se sentait dériver, se dissoudre dans cet état second où la douleur n'avait plus de prise.

Et pourtant, au milieu de cette fumée, au milieu de ses pleurs, elle sentit une nouvelle force naître en elle. Peut-être était-ce l'herbe qui apaisait ses tourments, ou peut-être était-ce simplement la liberté de laisser ses émotions couler, mais à cet instant, elle se promit de se battre. Pas pour les autres. Pas pour Jasper. Mais pour elle-même.

Dans cette obscurité brumeuse, elle trouva la clarté d'une promesse, même si elle était noyée dans l'évasion.

Et alors que la fumée se dissipait, emportant ses angoisses avec elle, Théodora ferma les yeux, prête à affronter ce qui viendrait. Même si elle devait le faire seule.

❝ 𝐋𝐔𝐌𝐈𝐍𝐄𝐒𝐂𝐄𝐍𝐂𝐄 ❞ ʲᵃˢᵖᵉʳ ʰᵃˡᵉ ( FR )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant