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Théodora se réveilla ce matin-là avec une sensation d'oppression. Chaque mouvement, chaque bruit, chaque odeur lui semblait insupportable. Le simple fait d'entendre ses parents se préparer pour la journée résonnait dans sa tête comme un marteau frappant un enclume. Les bruits, pourtant familiers, lui paraissaient amplifiés. Le tic-tac de l'horloge dans la cuisine lui martelait les tempes, et les odeurs des petits-déjeuners qu'elle avait autrefois aimés lui donnaient maintenant la nausée. Tout était trop fort, trop vif, trop intense.

Pourquoi est-ce que je sens tout si fort ? Je vais devenir folle...

Elle se laissa glisser au sol de sa chambre, les mains pressées contre ses oreilles, essayant en vain d'étouffer le vacarme qui l'agressait de toutes parts. Des larmes commencèrent à couler sur ses joues, chaque sanglot déchirant un peu plus sa poitrine. Elle pleurait, incapable de gérer cet assaut sensoriel qui la submergeait.

"Pourquoi moi..." murmura-t-elle entre ses larmes, ses épaules secouées par des sanglots désespérés. Elle aurait donné n'importe quoi pour redevenir normale, pour échapper à cette prison invisible qui l'étouffait.

Je veux juste que ça s'arrête... que tout redevienne comme avant.

Le lycée n'apporta aucun répit. Bien au contraire, tout semblait pire. Les conversations de ses amis autour d'elle résonnaient comme des cris stridents dans ses oreilles, leurs rires la transperçaient comme des aiguilles, et les odeurs de la cantine étaient suffocantes. Son estomac se tordait, incapable de supporter le mélange d'arômes écoeurants. Même en essayant de se concentrer sur son cours de physique, un simple grattement de stylo sur du papier lui paraissait aussi violent que des ongles raclant un tableau.

C'est trop... tout est trop... Je n'en peux plus.

Se levant précipitamment, elle bouscula sa chaise, provoquant des regards curieux et inquiets de ses camarades. Leur attention sur elle ne faisait qu'amplifier son malaise.

"Je... j'ai besoin de sortir," balbutia-t-elle à son professeur, la voix brisée, tremblante d'émotion. Sans attendre une réponse, elle quitta la salle en titubant, ses yeux embués de larmes qui menaçaient à tout moment de déborder.

Dans le couloir désert, Théodora se laissa glisser contre le mur, ses genoux ramenés contre sa poitrine. Elle enfouit son visage entre ses bras, laissant les larmes couler librement. Elle se sentait dépassée, totalement envahie par ces sensations qui la déchiraient de l'intérieur.

Je ne peux pas continuer comme ça. Je vais imploser.

Pourquoi devait-elle subir ça ? Pourquoi elle, et pas quelqu'un d'autre ? Elle avait toujours cru pouvoir affronter n'importe quoi, mais cette bataille contre elle-même lui semblait insurmontable. Après un long moment à pleurer, elle réussit enfin à calmer ses sanglots, mais elle se sentait vidée, comme si chaque larme avait drainé un peu plus d'elle-même.

Je suis en train de me perdre...

Lorsque Jasper arriva ce soir-là, elle ne leva même pas les yeux vers lui. Elle restait obstinément fixée sur un point invisible au sol, comme si regarder ailleurs la forcerait à affronter quelque chose qu'elle ne voulait pas voir.

Il ne peut pas comprendre. Personne ne peut comprendre.

Jasper la dévisagea longuement, les traits crispés par l'inquiétude. Finalement, il s'assit près d'elle, en silence, avant de murmurer d'une voix douce mais ferme : "Tu es en train de te détruire, Théodora. Tu ne peux pas continuer comme ça."

Elle laissa échapper un ricanement amer, un son qui n'avait rien de joyeux. "Oh, vraiment ? Et que devrais-je faire, alors ? Accepter tout ça sans broncher ? Me réjouir que ma vie ne m'appartienne plus ?"

Pourquoi devrais-je accepter ce cauchemar ?

Jasper fronça les sourcils, sa voix se durcissant sous l'impact de ses propres émotions. "Tu crois que je ne comprends pas ce que tu ressens ? Je sais ce que c'est que de tout perdre, de ne plus se reconnaître soi-même."

"Mais tu as fait un choix," siffla Théodora, la colère brûlant dans ses yeux brillants de larmes. "Moi, je n'ai jamais eu ce choix ! On m'a jetée dans ce cauchemar sans me demander mon avis." Sa voix tremblait de rage contenue, une colère née de la frustration et du désespoir.

Je n'ai jamais eu mon mot à dire...

"Tu penses vraiment que c'était différent pour moi ?" Jasper serra les poings, son regard devenant plus sombre. "Je n'ai pas choisi de devenir un monstre, Théodora. On m'a volé ma vie, tout comme on te vole la tienne. Mais la différence, c'est que tu peux encore garder une part de ton humanité. Moi, c'est quelque chose que j'ai perdu à jamais."

Ses mots la frappèrent comme un coup de poing. Elle ouvrit la bouche pour répliquer, mais rien ne sortit. Sa gorge était serrée, chaque argument qu'elle aurait pu formuler se bloquant avant même d'atteindre ses lèvres. Elle savait que Jasper avait raison sur un point : il comprenait, mieux que quiconque. Mais cela ne rendait pas la situation plus facile à accepter.

Est-ce que je suis vraiment en train de sombrer ?

"Alors quoi ? Je devrais juste m'estimer heureuse ?" répliqua-t-elle d'un ton glacial. "Heureuse d'être coincée entre deux mondes, de devoir cacher ce que je suis devenue à ma propre famille, à mes amis ?"

Un silence lourd suivit sa réplique. Jasper la fixa de ses yeux dorés, brûlants d'une intensité qu'elle n'avait jamais vue chez lui. "Ce n'est pas une question d'être heureux ou malheureux, Théodora. C'est une question de se battre pour ne pas tout perdre. Mais toi, tu te complais dans ta souffrance."

Je me complais dans ma souffrance... est-ce vrai ?

Les mots de Jasper la percutèrent de plein fouet. Elle sentit une boule se former dans sa gorge, prête à exploser en une réplique cinglante. Mais cette fois, elle ne trouva rien à dire. Une part d'elle savait qu'il avait raison. Admettre cela revenait à reconnaître qu'elle se laissait emporter, qu'elle ne faisait rien pour lutter.

Je me laisse sombrer...

"Tu n'as pas le droit de me juger," murmura-t-elle finalement, le regard fuyant. "Tu n'as aucune idée de ce que je ressens." Sa voix tremblait, plus faible qu'elle ne l'aurait voulu.

"Non, c'est vrai, je ne suis pas toi," répondit Jasper, sa voix redevenue calme mais teintée de cette froideur qu'elle redoutait tant. "Mais je te connais assez pour voir que tu te renfermes sur ta douleur au lieu de chercher à l'affronter."

Un silence tendu s'installa entre eux, chaque mot prononcé flottant dans l'air, laissant une empreinte douloureuse dans le cœur de Théodora. Finalement, Jasper se leva brusquement, son expression indéchiffrable. "Quand tu seras prête à te battre au lieu de te laisser sombrer, tu sauras où me trouver," dit-il, sa voix coupant l'air comme un couteau, avant de quitter la chambre.

Théodora resta assise, le cœur lourd, incapable de bouger. Les mots de Jasper résonnaient encore en elle, pénétrant chaque recoin de son être, la forçant à affronter une vérité qu'elle aurait préféré ignorer.

❝ 𝐋𝐔𝐌𝐈𝐍𝐄𝐒𝐂𝐄𝐍𝐂𝐄 ❞ ʲᵃˢᵖᵉʳ ʰᵃˡᵉ ( FR )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant