Mais commençons par le commencement. Mon commencement. Je ne vous parlerai pas de ma naissance, de mon enfance où quoi que ce soit. Pas de suite en tout cas. Ma seconde naissance, est arrivée au moment où celle qui m'a donné la vie a perdue la sienne. J'avais 14 ans à l'époque, et je vivais à Marseille, dans le sud de la France. J'y avais toujours habité. C'est là que j'étais née, là que j'avais fais mes premiers pas, là que j'avais connu mes premières blessures. Le genre de celles qui ne cicatrisent pas vraiment, vous voyez ? Peut être que je vous parlerais de ces blessures plus tard, mais revenons au moment où ma vie, à réellement changé.
C'était un 23 juillet. Le soleil brillait, et, au moment où tous mes amis étaient à la plage, se baignaient et profitaient de la vie, je disais adieu à la personne la plus chère à mes yeux. Ma mère. Je me souviens de tout, dans les moindres détails. De la blancheur immaculée des murs de l'hôpital , jusqu'à l'odeur de javel qui m'irritait les narines. Je me souviens aussi des cernes qui s'étendaient sous ses yeux fiévreux, et de la pâleur de sa peau. Je savais qu'elle détestait que je la voie dans cet état-là. Elle me répétait sans cesse que ce n'était pas ces souvenirs-là que je devais garder d'elle, mais les joyeux. Ceux où elle souriait à pleine dent, le visage illuminé d'une force dont je l'avais toujours envié, le son de sa voix chantonnant des airs de sa jeunesse, sa joie de vivre qui pouvait rendre le sourire à n'importe quel passant dans la rue. Ceux où elle dansait sur des bancs dans un parc pour me faire rire. Pas ceux qui se déroulaient là, à cet instant précis. Et si vous saviez comment j'aurais aimé lui obéir. Mais même avec la plus grande des volontés, je ne pourrais jamais oublier ce moment-là.
Avant même que mon grand-père vienne me chercher dans la salle d'attente de l'hôpital, je savais déjà que LE moment était venu. La fin avec un grand F. Le moment de dire au-revoir à la femme qui m'avait donné la vie. Cela faisait presque un an et demi que ma mère m'avait annoncé sa leucémie. Je ne me souviens plus des mots qu'elle avait employés ce jour-là, mais à ce moment là , j'ai perçu la vie d'une autre façon. J'ai compris que c'était un jeu, un jeu égoïste, qui nous faisait souffrir, et qui nous prenait les gens à qui l'on tenait. Et je me demandais comment elle faisait, pour sourire, et se lever de son lit chaque matin, alors qu'elle se savait condamnée. Et croyez moi, apprendre que sa mère va mourir quand on a douze ans, et que l'on n'a personne d'autre dans sa vie, c'est quelque chose qui chamboule. J'en ai fais des cauchemars des nuits durant. Et durant cette année d'obscurité, il y a eu quelques rayons de soleil, qui me redonnaient espoir. Mais, tout comme la vie de ma mère, ils étaient éphémères.
Cela faisait un peu plus d'un mois que ma mère avait été internée à l'hôpital car son cas s'aggravait, et hélas, il n'allait pas en s'arrangeant. Alors quand grand-père Garry est entré dans la salle d'attente ce jour-là, et que j'ai croisé son regard, j'ai tout de suite compris qu'il était temps. Alors pendant le cours laps de temps entre la salle d'attente et la chambre qu'elle occupait, je n'ai rien dit. Je n'avais pas besoin de mots. Je n'ai pas pleuré non plus. J'avais l'impression d'être vide, vannée, comme si mon corps ne pouvait plus lâcher une seule goutte après tous ces mois de sanglots. Quand je suis entrée dans la petite chambre, grand père ne m'a pas suivi. Peut être voulait-il nous laisser un peu d'intimité. Peut être avait-il déjà fait ses adieux à sa fille unique, et qu'il ne se sentait pas le courage de la ré-affronter à présent que le plus dur était passé. J'ai donc refermé la porte derrière moi, et j'ai affronté une image qui me hanterait pendant longtemps. La femme sur le lit ne ressemblait plus vraiment à celle que j'avais connu toute ma vie. Son teint halé était à présent blanchâtre et cireux. Ses magnifiques cheveux bruns, longs et soyeux étaient à présent secs et abîmés. Elle avait perdu tellement de poids que les os de sa cage thoracique se creusaient légèrement sous sa blouse d'hôpital. Mais ce qui m'a le plus marqué, c'est son visage. Son sourire, habituellement, lumineux n'était plus qu'une vague moue de douleur qu'elle essayait de dissimuler et l'étincelle qui habitait son regard avait perdu son intensité d'autres fois. En me voyant, là, à l'autre bout de la chambre, elle a eu un petit sourire, et m'a fait signe de m'asseoir près d'elle. Je lui ai donc obéi, sans rien dire. Je ne contrôlais pas mon propre corps, c'est comme si il ne m'appartenait plus. Je vivais la scène, mais d'un point de vue totalement omniscient. Je me suis assise à côté d'elle, avec le plus de douceur possible, évitant de la toucher pour ne pas lui faire mal. Elle a caressé ma joue de ses doigts fins, et a fini par briser le silence.

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Flamme
Fiksi PenggemarFrédéric Beigbeder a dit : "Fuir, toujours et courir sans relâche. Et puis, un jour s'arrêter pour dire à quelqu'un en le regardant droit dans les yeux : c'est toi dont j'ai besoin, vraiment." Ken et Roxane.