- Merde, marmonnai-je en posant délicatement la lettre sur la table basse.
Je passai mes doigt sur mes joues une dernière fois pour être sûre qu'aucune larme n'y traînait plus, et je me levai pour aller ouvrir la porte. Pendant les quelques secondes qu'il me fallut pour parcourir ces deux mètres, je priais intérieurement pour que ça ne soit pas encore ce foutu voisin qui vienne se plaindre de je ne sais quoi. Je n'étais clairement pas d'humeur à supporter ces conneries, surtout que je venais d'être dérangée dans un moment de faiblesse ultime. J'ouvris donc vivement la porte, prête à la refermer si c'était mon voisin de palier. Mais ce n'était pas Mr. Grudin. En face de moi, le jeune homme fixait ses pieds, la tête baissée de façon à ce que je ne puisse que voir sa casquette noire. Pourtant, sans même voir son visage, je le reconnaissais. Ken.
- Je ne suis pas prête pour un autre round, soupirai-je d'une petite voix.
C'était la vérité. Je n'étais vraiment plus d'humeur à me battre, et encore moins à entendre les paroles blessantes qui allaient probablement sortir de sa bouche dans les minutes à venir. Je rêvais juste de me rasseoir sur mon canapé, et de lire, encore et encore cette lettre, pour m'imprégner de chacun de ces mots, qui ne quitteraient probablement plus jamais mon esprit. Je n'étais même pas sûre d'avoir envie de le voir à cet instant précis. Je n'avais envie de voir personne à vrai dire. Enfin, si, je voulais bien voir quelqu'un, mais cette personne ne faisait plus partit de ce monde, alors ça ne comptait pas vraiment.
Ken finit par relever la tête, et ses yeux croisèrent les miens. Je détestais ça, le sentiment que ses pupilles faisaient naître en moi, cette petite boule que j'avais dans le ventre. Je me sentais affreusement faible, et encore plus face à lui. Ses yeux ne semblaient pas refléter de la colère, mais j'étais bien placée pour savoir qu'il cachait, lui aussi, très bien ses émotions. C'était d'ailleurs ce que je ne m'étais pas empêché de lui dire un peu plus tôt dans la journée, puisque nous étions apparemment en période de reproche. Il finit par lâcher mes yeux du regard, et, sans même attendre mon invitation, il entra dans l'appartement, et je ne pus m'empêcher de lever les yeux au ciel en refermant la porte derrière lui. Il finit par s'adosser au comptoir de ma cuisine tandis que je me plantais en plein milieu de la pièce, face à lui, les bras croisés sur la poitrine pour montrer que je n'étais pas du tout ouverte à la discussion.
- T'es venu pour me regarder dans le blanc des yeux ? demandai-je froidement après plusieurs minutes de silence.
- T'es obligée d'être si agressive ? fit-il avant de lâcher un soupir théâtral.
C'est l'hôpital qui se fout de la charité là, non ? grommela ma conscience en position de défense.
- Venant du mec qui m'a traité d'allumeuse hier soir parce qu'un inconnu m'a fait la discussion, je te trouve mal placé pour parler d'agressivité.
- Je te dis juste mon ressenti, expliqua-t-il sèchement.
- Bah si t'es venu pour me dire des trucs comme ça, va-t-en de suite. Tu ne tombes vraiment pas au bon moment, m'énervai-je en levant les yeux au ciel, espérant que peut être la vision de mon plafond m'aiderait à le mettre dehors.
- Pourquoi ? demanda-t-il alors en fronçant les sourcils.
Le pire dans tout ça, c'est qu'il paraissait vraiment intéressé. Ou alors, peut-être faisait-il semblant en pensant que j'allais oublier ses mots blessants et son comportement de la veille, et même celui de ce matin. Or, c'était loin d'être le cas. De plus, je trouvais qu'il passait de la colère à l'intéressement si facilement que c'en était frustrant. J'hésitai même à lui demander s'il était bipolaire, parce qu'à cause de son comportement, c'était ce que je commençais fortement à croire.

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Flamme
Fiksyen PeminatFrédéric Beigbeder a dit : "Fuir, toujours et courir sans relâche. Et puis, un jour s'arrêter pour dire à quelqu'un en le regardant droit dans les yeux : c'est toi dont j'ai besoin, vraiment." Ken et Roxane.