Le rythme de la tournée me manquait. Moi qui avais sans arrêt besoin d'être occupé, je m'ennuyais clairement depuis mon retour. Je m'installais presque dans une routine et c'en était déprimant. Je me levais à pas d'heures, je traînais chez moi, j'allais au studio rejoindre les gars et j'y passais souvent une bonne partie de la journée. Même si l'album de 1995 venait juste de sortir, nous commencions déjà à travailler sur l'album du S-Crew qui avançait plutôt bien je devais l'admettre. Lorsque la nuit tombait, nous nous rejoignions souvent chez l'un de nous pour une plus ou moins grosse soirée. La plupart du temps, l'alcool coulait à flots et les joints passaient de main en main. Je devais avouer que depuis quelques jours, je m'explosais la tête à l'un ou à l'autre. Je n'avais pas de raison précise. Mais je n'avais rien qui me l'interdisait non plus. Logiquement, je rentrais chez moi totalement défoncé, et je m'étalais directement sur mon lit avant de sombrer de suite dans le sommeil.
Mais ce n'était pas cette routine qui me dérangeait en elle même. C'est que je n'arrivais plus à écrire. Plus rien. Nada. J'étais en pleine période du blocage de l'écrivain, aussi appelé le syndrome de la page blanche. Et je détestais ça. Cela ne m'était jamais arrivé. J'avais toujours eu une source d'inspiration. Que ce soit ma ville, l'alcool, les soirées, la drogue, les filles, les gens, les relations. Tout me venait naturellement, et je n'avais jamais eu besoin de grand chose pour pouvoir écrire. Mais là, j'étais bloquée. J'avais pourtant tout essayé. Je m'étais posé,seul, sur mon canapé, mon carnet de note et un stylo à la main, dans le calme. J'avais essayé de me poser, avec la bande, complètement défoncé, et entouré du bordel habituel qui hantait ma vie. Rien de cela n'avait marché. Même ma technique ultime, me balader en ville durant la nuit n'avait rien changé à ma non-inspiration. Je ne comprenais pas ce qui m'arrivait. Je pouvais plancher des heures, je finissais toujours par déchirer la page, sur laquelle j'avais écrite trois misérables lignes. Merde alors. Je ne comprenais vraiment pas ce qui m'arrivait.
Les jours après la tournée avaient donc été très longs. Mais nous nous étions tellement éclatés. Nous avions toujours préféré la scène, surtout en groupe. C'était sûrement l'un de mes moments préférés dans le fait d'être rappeur. Être sur scène, avec mes amis, chanter nos chansons devant la plupart du temps un public de fou, c'était juste la consécration pour n'importe quel chanteur. Après tout, nous étions habitués à la scène. Nous avions commencé ainsi. Certes les salles n'étaient pas aussi grandes, et le public ne connaissaient pas nos paroles sur le bout des doigts, mais nous adorions déjà ça. Aujourd'hui, le public était plus vaste et la salle pleine à craquer, mais le reste, le plaisir que nous prenions à y être, ça n'avait pas du tout changé.
Or, depuis que nous étions rentrés, je n'avais pas écrit une ligne. Je ne comprenais pas d'où me venait ce manque d'inspiration. Heureusement, l'album que nous préparions était presque fini alors la plupart de mes textes étaient achevés. Mais ceux que j'avais commencé à écrire pour moi ne trouvaient jamais de fin. Depuis quelques temps, je pensais à faire un album solo. Enfin, j'y avais toujours pensé, et j'avais toujours écrit des trucs de mon côté que j'avais pour la plupart entassé dans des tiroirs ou jeté, des années après. Et c'était là que se trouvait le problème : c'était sur mes textes en solo que je n'arrivais plus à travailler, alors que c'était pourtant ce que je préférais. Je n'avais pas parlé de ce problème à Malone quand nous étions sorti en ville nous balader la dernière fois. Elle m'aurait sorti ses raisonnements de fille à la con, et ça ne m'aurait avancé en rien. Et puis, je n'avais pas trop envie de parler de moi. Je voulais l'entendre elle. Je n'arrivais pas à croire qu'elle était de retour, après un an et demi d'absence. Mais les jours ayant suivi son arrivée sur Paris, elle était restée isolée, et j'avais donc décidé d'aller la chercher chez elle. Je voyais bien qu'elle en avait gros sur la patate. Même si tout le monde, était très heureux de la revoir, je savais que Mekra ne la louperait pas et n'hésiterait pas à la tacler dès qu'il en aurait l'occasion. Évidemment, je ne m'étais pas trompé. J'espérais que ça allait vite s'arranger entre eux. Mais la pire des tensions, c'était celle avec Framal. Je ne souhaitais pas m'en mêler, et je savais que de toute façon, cela aurait été inutile. Ils finiraient bien par régler leurs comptes un jour ou l'autre, et leur histoire ne regardait qu'eux.

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Flamme
Fiksi PenggemarFrédéric Beigbeder a dit : "Fuir, toujours et courir sans relâche. Et puis, un jour s'arrêter pour dire à quelqu'un en le regardant droit dans les yeux : c'est toi dont j'ai besoin, vraiment." Ken et Roxane.