Je dut donner un coup d'épaule dans cette foutue porte pour qu'elle veuille bien s'ouvrir, car, même déverrouillée, celle-ci gardait une certaine résistance. Je la refermai à clef derrière moi, et, sans énergie, je me traînai jusqu'à ma chambre. Il était vingt-deux-heures. Autrement dit, il était plutôt tôt, surtout pour nous et notre mode de vie incongrus aux yeux de la société. Mais après une journée entière de studio, je n'en pouvais clairement plus et cela faisait presque une heure que je menaçai de m'effondrer de fatigue.
Je ne m'arrêtai même pas à la cuisine, parce que j'avais totalement la flemme de faire réchauffer l'un des nombreux plats tout faits qui s'entassaient dans mon frigo. Je ne rêvais que d'une chose : me glisser entre mes draps, fumer une cigarette, et sombrer. C'est d'ailleurs ce que je fis en ouvrant à la volée la porte de ma chambre, qui, pour une fois était totalement en bordel. Je n'aimais pas vraiment ça, mais la veille, tard dans la nuit, j'avais été pris par la fièvre de l'écrivain, alors j'avais composé. Des dizaines de feuilles jonchaient le sol. La plupart étaient déchirées, ou bien roulées en boule, puisqu'en me relisant, je n'avais finalement pas aimé ce que j'avais écrit. Ces feuilles volantes furent bientôt rejointes par mes vêtements, que je laissai tomber au sol avant de me glisser dans le lit à moitié défait en boxer. Je tendis le bras, pour attraper sur ma table de chevet une cigarette que j'allumais, puis, j'attrapai mon carnet d'écriture. Il n'avait rien de particulier. Il était assez petit pour que je le glisse dans ma poche et que je puisse me balader avec, la nuit, dans Paris, au moment où j'étais sûrement le plus inspiré. Sa couverture en cuir était noire et il se refermait avec une cordelette que l'on enroulait autour, tels les vieux carnets que tenaient nos arrières-grands parents pendant la guerre. Si j'écrivais le plus souvent sur des feuilles volantes tout ce qui me passait par la tête, je n'écrivais sur ce carnet que les textes que je souhaitais garder. C'était plus pratique pour moi ainsi.
Je le feuilletai tout en tirant de nombreuses bouffées sur ma cigarette avant de finalement l'écraser dans le cendrier qui se trouvait au sol, à côté de mon lit. Je finis par tomber sur un texte que j'avais commencé il y avait déjà quelque mois, mais qu'étrangement, je n'avais jamais souhaité continuer. Il y avait seulement quatre lignes, et je me demandais seulement si un jour, elles auraient une suite.
Il y avait du monde mais je l'ai vu apparaître,
Pâle comme une aquarelle,
J'ai vu son ombre avant de la voir elle.
Merveilleuse, sérieuse, périlleuse.
Je me souvenais comme si c'était hier, du jour où j'avais rédigé ces quelques mots. C'était pourtant un soir qui était parti pour être comme les autres. Les joints, l'alcool, la bande, les filles. Je pensais pas que quelque chose changerait ce soir là. Et puis, Sneaz était arrivé, avec à son bras une petite brune. Au début, je ne lui avais rien trouvé de spécial. Elle était tellement pâle de peau que je la croyais malade, ou bien sous cocaïne. Et puis, bizarrement, plus je l'observais du haut de mon tabouret, à côté de Deen, plus quelque chose m'intriguait chez elle et ne cessait d'attirer mon regard, même contre mon gré. Je n'avais pourtant rien fumé depuis la matinée, alors forcément, plus je la regardais, plus j'étais troublé. Pourtant, quand mes yeux avaient croisé les siens, d'un bleu presque pur, j'avais de suite compris quel genre de fille elle était, et quel genre de problème elle allait devenir : le genre de fille bien, qui sait exactement quand elle doit être mauvaise.
C'était quand elle était partie seule sur la piste de danse, que les mots m'étaient finalement venus. Je m'étais empressé de sortir le petit carnet, et je les avais griffonnés, comme si une voix dans ma tête me les soufflait. Écrire sur une fille, dont je ne connaissais rien m'était venu tellement naturellement que c'en avait été presque flippant.

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Flamme
FanfictionFrédéric Beigbeder a dit : "Fuir, toujours et courir sans relâche. Et puis, un jour s'arrêter pour dire à quelqu'un en le regardant droit dans les yeux : c'est toi dont j'ai besoin, vraiment." Ken et Roxane.