chapitre 40

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J'étais vraiment douée pour gâcher les moments à peu près parfait. Mais est-ce-que cela comptait vraiment, quand ce n'était qu'en apparence ? Après tout, même si le moment en question semblait romantique à souhait, nous savions, autant l'un que l'autre, autant Ken que moi, qu'il n'était pas vrai. Qu'il n'était qu'une pause, qu'une bulle d'air avant que l'on ne recommence à se déchirer. Il y avait bien trop de non-dit entre nous, et ceux-ci étaient clairement en train de m'étouffer.
Je me faufilais rapidement entre les couples sur la piste de danse, évitant de bousculer le plus de gens que je pouvais, et surtout, plantant Ken, seul au milieu. Je sortis de la pièce, mais cette fois-ci, je ne m'arrêtais pas dans celle où se trouvait le piano, car, bien que c'était tentant d'en rejouer un morceau, il fallait à tout prix que je prenne l'air.
Je poussai sans ménagement la porte vitrée qui m'avait permis d'entrer quelques heures plus tôt dans ce somptueux bâtiment. L'air dehors était bien plus frais que je ne l'aurais cru et une légère brise soufflait, m'arrachant un frisson. Je regrettai pendant un instant de ne pas avoir pris de veste. Je remarquai alors que j'étais seule. Il n'y avait pas un chat, même pas un fumeur devant le bâtiment. Ceux-ci avaient probablement fait le tour pour éviter le vent gelé qui me venait en pleine figure. De toute façon, la solitude m'arrangeait et plus particulièrement dan cette situation là. Je m'avançai de quelques mètres jusqu'au marches que j'avais grimpé à toute vitesse un peu plus tôt pour fuir Ken, et je m'y assis en me frottant les bras, espérant que ce geste fasse disparaître la chair de poule qui y étais apparue.,

J'essayais comme je pouvais d'oublier la fraîcheur de l'air et du vent en contemplant les étoiles. Celles-ci paraissaient plus nombreuses, plus visibles, mais aussi bien plus lumineuses qu'à Paris. En les voyant ainsi, je ne pus m'empêcher de penser à ma mère, à sa lettre, et au poème que celle-ci contenait, en me concentrant principalement sur ces lignes :

 Ceux que nous avons aimés et que nous avons perdus ne sont plus là où ils étaient,
Mais ils sont toujours et partout où nous sommes.

Je me demandai si c'était la vérité, et surtout, si ma mère était avec moi à cet instant précis. J'aurais aimé qu'elle le soit. Vraiment.  Parce que c'était dans un moment comme celui-ci, que j'aurais aimé avoir une mère à mes côtés, pour m'aider, me conseiller, me dire quoi faire. Or, je devais me débrouiller seule et je détestais cela. Mon souffle était à nouveau régulier - du moins, un peu plus que quelques minutes plutôt - mais ces pensées déprimantes suffisaient comme seuls arguments pour garder mon moral au plus bas.

Je sursautais en entendant la porte s'ouvrir derrière moi, et je priais intérieurement pour que cette personne ne soit pas Ken. Ne te retourne pas. Ne te retourne pas. Ne te retourne pas. Avec un peu de chance, j'étais devenue invisible - c'était totalement désespéré de l'imaginer, n'est-ce-pas ? Pourtant, je l'espérais.  Bien-sûr, pour ne pas changer les bonnes habitudes, mes espoirs étaient tous infondés, puisque, après quelques secondes de silence, j'entendis des pas. Quelqu'un s'approchait de moi, et je n'avais même pas besoin de jeter un coup d'œil pour savoir qui était-ce. Quand Ken s'assit à mes côtés, je pris bien soin de ne pas lui adresser un seul regard, même si je sentais ses prunelles brûlantes se balader sur ma peau. Après quelques secondes passées à m'observer, il enleva finalement sa veste et me la tendit. C'était un geste qui m'aurait probablement fait plaisir, mais dans une autre situation. Dans une autre vie peut-être. Voyant que je ne bougeais pas, je m'attendais à ce qu'il soupire et finisse par la ré-enfiler. Au lieu de ça, il la posa sur mes épaules, me couvrant au passage les bras. Les quelques fractions de secondes pendant lesquelles ma peau fut en contact avec la sienne, furent largement suffisante pour m'arracher un nouveau frisson, bien que ses mains reculèrent bien rapidement, me fuyant probablement comme la peste. C'était compréhensible, après tout, il devait se demander comment j'allais réagir, puisque j'agissais depuis le début du mariage comme une bipolaire. Mais en vérité, c'était, que, comme je l'avais dit, je ne pouvais pas faire semblant alors que je savais ce qui s'était réellement passé entre lui et Suga. Je me demandais comment il faisait pour jouer aussi bien le jeu, à croire qu'il finissait lui même par croire à ses propres mensonges. Peut-être aurait-il dû devenir acteur ? En tout cas, sa facilité a accepter toute la situation me dépassait totalement.
Je me retenais violemment de ne pas le regarder. Sans sa veste, et avec sa chemise, la vision qui s'offrirait à moi ne serait qu'une torture de plus, et je n'étais pas sûre de pouvoir l'accepter. Alors je fixai les étoiles et le ciel sombre de la nuit. C'était quelque chose qui m'avait toujours fasciné. Depuis toute petite. Avant même la mort de ma mère. Je me souvenais encore, qu'à l'époque où mon père vivait encore avec nous, quand elle avait besoin de s'échapper de toute cette violence et de toutes ces disputes, elle me prenaient avec elle, et nous allions nous balader sur les quais de Marseille. Nous trouvions un endroit où nous asseoir, et nous fixions les étoiles pendant des heures. Je posais des questions débiles auxquelles elle n'avait pas la réponse, mais nous étions ensemble, c'était tout ce qui importait. Après sa mort, le ciel étoilé avait pris une autre signification pour moi, puisque dans mon cœur, il y avait une étoile en plus, qui brillait autant que les autres. C'était pour ça que trouver le balcon qui était devenu mon refuge avait été si important pour moi. Parce que je ne connaissais aucun endroit dans la capitale, où nous pouvions aussi bien voir les étoiles, les jours où les nuages n'avaient pas envahis le ciel.

FlammeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant