• CHAPITRE SIX •

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Sans grande surprise, les panneaux d'affichage sont gigantesques et la place est bondée de monde. Un nombre incalculable de listes sont placardées dessus. Certains étudiants se laissent aller à des effusions de joies, d'autres se tiennent presque recroquevillés sur eux-mêmes et les derniers pleurent à chaudes larmes. Personne n'est jamais vraiment prêt à encaisser l'échec. C'est une douleur si brutale et insupportable qu'elle vous foudroie de l'intérieur sans même crier gare. Jasper et moi jouons des coudes pour nous glisser entre les élèves. Quelqu'un me félicite au passage, mais je continue d'avancer sans même prendre la peine de répondre. La question n'est pas de savoir si oui ou non je suis admise, je ne me fais aucun souci sur le sujet. Je veux simplement connaître mon classement. Mon absence de réaction le surprend, mais il hausse finalement les épaules et se détourne tout aussi rapidement qu'il est apparu. À en juger par un cri particulièrement bestial que je ne reconnais que trop bien, Jasper a réussi ses examens et doit être très bien classé. Je n'en ai jamais douté non plus, mais je ne peux m'empêcher de ressentir une joie immense pour mon ami. J'inspire et j'expire profondément avant de me lancer à mon tour. Mon doigt parcourt le long de la liste une première fois, une deuxième, puis une troisième, mais il n'y a rien ! Mon cœur dégringole dans ma cage thoracique et je peine à déglutir. Je me raisonne en me disant que j'ai dû mal regarder dans l'agitation. Je reprends depuis le début et j'essaie de ne pas prêter attention aux soupirs d'exaspération des élèves qui sont nombreux à être massés autour de cette liste. J'ai beau relire sans relâche les feuilles commençant par la lettre N, mon nom et mon prénom ne figurent nulle part. La boule qui s'est logée au creux de mon ventre remonte péniblement le long de ma gorge. C'est bien la première fois qu'une telle chose m'arrive. Je ne suis pas folle, j'ai bien été félicitée un instant plus tôt. J'essaie de dégager mes membres de ce mélange de corps et je me faufile vers un endroit plus calme. Je suis rapidement rejointe par Jasper qui tire une mine si déconfite que je lui demande anxieusement si tout va bien.

— Oui, c'est simplement que...

Il s'arrête là et cherche comment construire la fin de sa phrase. J'ai un mauvais pressentiment et je n'aime pas ça, alors je lui fais signe d'abréger.

— Jace, je soupire. Je ne suis pas sur les listes, j'ai des problèmes bien plus urgents pour le moment.

— Ça ne va pas te plaire... Vraiment, grimace-t-il.

— Explique-toi.

Lorsqu'il me fait part de la raison de son malaise, je fulmine. Il n'y a aucun autre mot pour décrire différemment ce que je ressens. Je m'y rends au pas de course et j'arrache avec fureur cette feuille de malheur. Je dois me retenir de toutes mes forces pour ne pas envoyer valser le tableau. Je me sens violée dans mon intimité et cette fois-ci il est allé beaucoup trop loin. Je ne suis pas une bête de foire, il ne peut pas se jouer de moi à loisir comme d'un pantin. Afficher mes résultats à part est une chose, détailler le contenu matière par matière en est une autre. Je coule amèrement un regard à la banderole sur le tableau en froissant la feuille entre mes doigts. Ce n'est pas une façon d'annoncer la nouvelle. Je soupire de multiples fois d'affilée en espérant que cela finira par m'aider à reprendre le contrôle de mes émotions. Jasper se tient non loin de là et n'ose même pas jeter un coup d'œil dans ma direction et bien qu'il n'ait strictement rien fait, il a raison de garder ses distances pour le moment. L'envie d'étriper tout le monde me prend aux tripes avec une violence inouïe. J'en ai plus qu'assez d'être l'esclave de ma propre existence. D'être lisse sous tous les angles afin de satisfaire le plus grand nombre. Personne ne fait l'effort de me plaire à moi. Je dois à chaque instant de ma vie respecter les convenances, alors que jamais au grand jamais quelqu'un n'a pris de pincettes à mon sujet. Je refoule les larmes qui menacent de couler. Je suis bien plus forte que ça ! Je jette dans la poubelle la plus proche cette feuille stupide et je verrouille mes sentiments pour ne plus rien ressentir. J'ai ma réponse, c'est le principal.

WHEN JULIET NEEDS ROMEOOù les histoires vivent. Découvrez maintenant