Les conversations reprennent immédiatement tandis que je me joins à eux. De l'extérieur, on pourrait presque croire à des salutations fraternelles débordantes d'affection, mais en réalité nous savons tous à quoi nous en tenir. Mon père est à bonne distance de notre groupe, absorbé dans la contemplation de la scène comme s'il s'attendait à avoir toutes les explications d'un seul coup. Lorsque Craig s'avance dans le jardin, je déglutis péniblement. S'il est présent malgré la répugnance de mon père à son égard, cela ne peut pas être bon signe. Ferais-je le poids face aux réquisitoires de ces avocats éminents ? C'est peu probable. Il faut se rendre à l'évidence, la donne est truquée dès le départ. Ce sera un procès sans tribunal, voilà tout. La bise que me glisse ma mère n'a rien de maternel et comme à son habitude elle se pare de son imperturbable retenue. Je ne pourrais même pas trouver du soutien auprès d'elle.
— Que souhaites-tu boire ? me demande Léonin.
— Une bière.
Ma réponse a l'effet escompté et mon père est tellement ulcéré qu'il donne l'impression d'avoir reçu une gifle.
— Enfin Juliet, tout de même ! s'offusque ma mère.
— Alors de l'eau plate, s'il te plaît.
Marcellus fronce son nez comme lorsqu'il était petit et je me retiens de rire à gorge déployée devant tant de manières. Comme je les plains ! Ce n'est pas surprenant que je sois devenue aussi pincée avec le temps. Pas étonnant même que je me sois retrouvé à accepter ce pari idiot pour me prouver des choses. Ma sphère familiale est tellement guindée que l'on dirait que le moule duquel ils sont sortis a été serré si fort qu'aucun cheveu ne doit dépasser. Langage, vêtements, coupes, postures, tout doit être parfait ! Mon frère me tend un verre d'eau tandis qu'ils continuent tous de m'épier du coin de l'œil. Je croise le regard de Craig et la froideur du sien ne laisse aucune place au doute, il a choisi le camp opposé. Nous nous installons autour de la table aux emplacements bien attitrés que ma mère nous a attribués. Je suis persuadée que la désignation de mon siège a été influencée par la volonté du maître de cérémonie. Je me retrouve non loin de lui et cette proximité ne me réjouit guère. Mes frères échangent quelques banalités et je sens que mon père s'impatiente. Malheureusement, puisqu'il est bien trop courtois en société, il est peu probable qu'il coupe la parole de l'un d'entre eux. Je suis ravie pour une fois que leurs ego soient si démesurés ! Néanmoins, Marcellus ne me quitte pas des yeux en écoutant distraitement Duncan et Léonin. Lorsque le calme retombe, la voix de mon père, qui n'a pas perdu une seconde, se fait entendre.
— Bien, Juliet. Il semble... commence-t-il.
— Je vais bien, merci.
Le bas du verre de ma mère cogne contre son assiette quand elle le repose abruptement sur la table. Le bruit qu'il fait résonne à nos oreilles tant le silence est de nouveau étouffant autour de nous. Les yeux de Nérissa m'envoient des éclairs, mais je ne suis plus une enfant et je n'ai plus peur d'eux. Si c'est aujourd'hui qu'il faut que je leur apprenne, alors qu'il en soit ainsi ! La bouche de ma mère s'ouvre et se ferme plusieurs fois, mais rien ne vient à l'altesse de la discussion mondaine. À en croire mon père, je ne suis pas faite du bon bois. Pourquoi est-ce que je me donnerais du mal à leur plaire ? Craig se racle la gorge et tente une approche.
— Juliet ne te braque pas alors que nous sommes tous ici présents pour...
— Oh, excuse-moi ! J'ai dû manquer le moment où tu es devenu un Nicholson pour avoir le droit à la parole dans ce repas de famille.
Ma mère semble cette fois-ci s'étouffer dans son verre et ma sœur comme la bonne petite fille parfaite lui tend une serviette en lui tapotant légèrement le dos. Le regard assassin qu'elle me lance en dit long. Je devrais être chagrinée de plonger ma mère dans l'embarras, mais elle cautionne toute cette mascarade ridicule alors je ne me donne pas cette peine. Je mets Craig au défi de me répondre quoi que ce soit en le dévisageant.
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WHEN JULIET NEEDS ROMEO
RomanceC'est une chose de prendre des risques inconsidérés pour tenter de se sentir plus vivante que jamais et c'en est une tout autre que de se jeter volontairement au cœur d'une tempête indomptable. J'ai beau tourner ça dans tous les sens dans ma tête, j...