• CHAPITRE QUARANTE •

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Tel un soldat de plomb, mon corps reste bien campé sur ses positions. J'essaie de digérer tant bien que mal notre discussion et pour la première fois je n'ai aucun doute sur la sincérité qui a teinté notre échange. Mes pulsations cardiaques ne se calment pas pour autant et c'est même tout le contraire qui est en train de se produire. J'ai l'impression que je suis à deux doigts de vomir mon propre cœur. J'ai tant de choses à lui dire, tant de questions sans réponse, tant de zones d'ombres à éclaircir. Mes réflexions me donnent le tournis alors je me force à prendre quelques grandes inspirations pour sortir de ma léthargie. Je décide finalement de ne pas rester plantée là et je rentre donc chez moi. J'attrape pensivement une bouteille de lait et un paquet de gâteau et je vais m'installer sur mon canapé. J'ai besoin de calme et de confort pour tenter de discipliner mon esprit. Je mastique par automatisme sans même sentir le goût de ce que je grignote. J'ai toujours un reste de symptômes désagréables dus au lendemain de cuite. Cette entrevue impromptue avec Romeo m'a permis de dégriser tout de même un peu plus. Je rassemble donc tous mes neurones encore présents et je leur demande de réfléchir. Alors que je fournis un effort de concentration quasiment surhumain pour tout remettre dans l'ordre, un détail me revient en mémoire d'un coup. Je suis persuadée d'avoir vu sur son portable que j'ai laissé ce message de la honte à plus de quatre heures du matin. Que faisait-il encore debout et comment peut-il déjà être là ? Pourquoi se serait-il donné la peine de parcourir des kilomètres seulement pour m'en faire part ? Je me triture l'esprit dans tous les sens sans trouver de réponse cohérente.

Ce n'est qu'un long moment plus tard que toutes les pièces de ce casse-tête prennent leur juste place et que je comprends enfin ! Je me lève en trombe et j'attrape un gilet avant de sortir de chez moi. Plutôt que de dévaler les marches, je les monte à toute vitesse. Les souvenirs de certaines de ses révélations auraient dû me revenir plus tôt. Quand j'arrive au sixième, je suis totalement en nage. Dans mon empressement, j'ai omis un léger détail... Je ne sais pas à quelle porte frapper ! Je les observe un moment, mais bien évidemment il n'y a rien qui les distingue l'une de l'autre. Je tape donc à la première venue avant de faire machine arrière et comme je n'ai aucune réponse je décide de m'attaquer à la suivante. La grand-mère qui m'ouvre à l'air aussi ahuri que moi. Je me confonds en excuses et je me dirige vers celle d'à côté. Avant même que je ne puisse lever la main, elle s'ouvre et des yeux dont je connais en tous points l'éclat me fixent sans détour. Il croise les bras sur sa poitrine et s'appuie contre la porte. J'ai envie de rire bien que ce ne soit pas le bon moment parce que les rôles sont maintenant inversés et que j'ai l'impression que la boucle est bouclée. Nous sommes de nouveau sur le pas d'une porte et comme il me l'a subtilement rappelé c'est ainsi que tout a commencé après tout. Au sourire mélancolique qu'il arbore, j'ai le sentiment qu'il fait lui aussi ce rapprochement. J'essaie de respirer normalement, mais un point de côté m'empêche de le faire et je n'imagine que trop bien l'image que je dois renvoyer. Je me fais la promesse solennelle de me remettre au sport dès que j'en aurais l'occasion. De là où je suis, je n'aperçois pas l'intérieur, mais ce qui me rassure c'est que je n'entends aucun bruit. Je n'interromps donc pas une réunion amicale ou encore familiale. Aucun de nous deux ne parle et d'expérience, je comprends qu'il attend de moi que je fasse le premier pas alors je lance les dés et je démarre cette nouvelle partie.

— Sache que je ne suis pas ici pour écouter mon message.

— Je n'en espérais pas moins de ta part.

— Où est Elias ? je demande à brûle-pourpoint.

Ma question le surprend à tel point qu'un muscle tressaute sur sa joue.

— Dans une clinique privée spécialisée.

— Qui l'a envoyé là-bas ? je poursuis.

Il comprend où je veux en venir, mais il ne répond pas et se détourne pour entrer dans l'appartement. Je n'ai pas été invitée à le suivre alors je ne le fais pas et c'est une sage décision puisqu'il réapparaît moins de quelques secondes plus tard avec une cigarette suspendue à ses lèvres. Au moment où il l'allume, la flamme éclaire durement ses traits et lui confère un air bien plus austère. Il tire dessus en fermant les yeux pendant ce qui me semble une éternité. Quand il choisit finalement de les ouvrir, ils s'ancrent dans les miens et ne me lâchent plus.

WHEN JULIET NEEDS ROMEOOù les histoires vivent. Découvrez maintenant