• CHAPITRE QUARANTE-HUIT •

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Le trajet me paraît durer une éternité. J'ai tenté plusieurs fois d'appeler Romeo, mais tout comme pour son frère, je suis d'emblée basculé sur sa messagerie. Je ne suis pas naïve au point de croire qu'il m'écoutera et que cela aura une incidence quelconque sur les actions qu'il compte mener, mais je suis déçue qu'il considère que je n'ai pas mon mot à dire. Mon cœur bat si vite que j'ai l'impression qu'il va finir par éclater. Étrangement, ce n'est pas pour mon père que j'ai peur. Dès lors que j'imagine pouvoir m'octroyer un moment de répit dans ma vie, quelque chose vient bouleverser l'équilibre fragile. Je suis si nerveuse et j'appréhende tant cette réunion improvisée que je ne peux retenir ma jambe de s'activer furieusement. Qu'adviendra-t-il si nous arrivons trop tard ? Romeo n'est pas borné au point de... Non ! Comme je l'ai dit à Marcellus, il est avocat avant tout et il manie la langue bien mieux que n'importe qui. Ce que je ne comprends pas en revanche c'est ce que mon père peut bien craindre pour se déplacer au risque de déclencher la foudre sur lui. Il ne peut pas nier le fait que cela ne peut pas bien se terminer. La soupape tenait déjà difficilement en place depuis bien longtemps, je considère pour ma part que c'est une erreur tactique que de la faire tomber aujourd'hui. Je ferme les yeux et je me perds dans le souvenir de ceux de Romeo. Le film de notre rencontre défile dans ma tête et glisse subtilement jusqu'au moment de notre colocation dans son appartement. Mon cerveau choisit avec soin les instants qu'il me joue. Chacun d'entre eux me lacère un peu plus le cœur. J'ai le sentiment désagréable que tout risque de voler en éclat alors que nous tentions de trouver un juste milieu dans tout ce désordre. Une réplique de notre œuvre shakespearienne me percute perfidement : « Tout va se transformer en son contraire. » Pourrons-nous seulement nous relever une fois encore ? Je n'écoute pas ma petite voix et je téléphone de nouveau. Je serre si fort mon appareil que je suis surprise qu'il ne se brise pas entre mes doigts. Je croise le regard de Marcellus dans le rétroviseur et ses sourcils se froncent. Léonin a raison sur un point, personne n'a son mot à dire. Alors qu'importe si je suis étiqueté comme la traîtresse à son propre sang. J'ai fait le choix qui me semblait le plus salutaire pour ma santé mentale et malgré la situation actuelle, je reste fermement convaincue que c'est la clé de mon bien-être. Une sonnerie retentit dans l'habitacle de la voiture et je sursaute. Marcellus appuie sur la commande pour décrocher sans quitter la route des yeux.

— Allô ?

— C'est Nathan. Est-ce que l'un de vous a de ses nouvelles ?

— Non, rétorque-t-il.

— Qu'en est-il de Juliet ?

— Non plus. Elle se trouve avec nous.

L'expiration bruyante de Nathan se répercute aux quatre coins des haut-parleurs de la voiture.

— Je ne pense pas que ce soit une bonne idée qu'elle vienne.

— Pourquoi donc ? je demande.

— Parce que vous faites des étincelles lorsque vous êtes dans la même pièce Juliet et que Romeo n'aura pas besoin de grand-chose pour s'enflammer entièrement.

— Nous sommes en route, répond Marcellus. Je ne peux pas laisser ma petite sœur sur le bas-côté pour ménager ton frère. Peut-être se tempèrera-t-il justement si elle est avec nous.

Nathan ne réagit pas pendant un court instant, mais lorsqu'il reprend la parole, nous sommes tous surpris par ce qu'il dit.

— Je ne peux pas le perdre aussi... Je ne peux simplement pas.

Il coupe la communication, mais nous avons tous entendu distinctement sa voix se briser. Cette famille n'aura-t-elle donc jamais de repos ? Une pensée me traverse l'esprit et elle m'oppresse aussitôt la poitrine. Peut-être que ce n'est pas Romeo après tout le mauvais de l'histoire, mais bel et bien moi. Il m'a demandé de le libérer. Ai-je été trop égoïste pour ne pas entendre la supplique véritable qui se cachait entre les lignes qu'il a dessinées pour moi ? Je sens que des larmes embuent douloureusement mes yeux, je bats rapidement des paupières pour tenter de les chasser. Ce n'est pas le bon moment pour songer à tout ceci. Je me concentre sur les propos de Marcellus et j'éprouve un chagrin bien plus immense lorsque je me souviens de ce qu'il a dit sur leur mère. Je ne peux même pas concevoir la peine et le déchirement qu'ils ont dû ressentir. Plus les pièces de cette énigme se mettent en place et pire je trouve cette histoire.

WHEN JULIET NEEDS ROMEOOù les histoires vivent. Découvrez maintenant