Je me fige la main sur la porte des toilettes tandis qu'une voix m'interpelle doucement.
— Hey !
Je me retourne vivement et j'essaie de sourire de toutes mes dents face à celui que j'ai identifié comme étant Matt.
— Oh ! Salut !
Je ne trompe clairement personne avec cette voix haut perchée, mais il fait comme si la scène était tout à fait normale et je lui en suis reconnaissante. Nous échangeons quelques banalités jusqu'à ce que sa curiosité l'emporte.
— Je suis surpris de te trouver ici ce soir de nouveau, mais je dois dire que je me demande surtout ce que tu tentais de faire. On dirait que tu t'apprêtais à commettre un larcin.
— Je comptais plutôt m'enfermer dans les toilettes pour y passer le reste de la nuit.
Les mots fusent si vite de ma bouche que j'aimerais me gifler pour ne pas avoir pris quelques secondes de plus pour y réfléchir, mais un éclat de rire franc accueille mes propos.
— L'œuvre de Rom, je présume ?
— Tout à fait. Il faut dire que le personnage est quelque peu fougueux.
— Ce n'est pas quelqu'un que je qualifierais de fougueux, il est plutôt déraisonnable. Être constamment dans la démesure semble lui plaire outre mesure.
— Le diable se pare de bien plus d'un masque, paraît-il.
— Le diable ? rit-il de nouveau.
Si seulement il savait à quel point ce sobriquet va à ravir à son abruti d'ami. Un proverbe saugrenu nous enseigne que l'enfer est pavé de bonnes intentions. Celui qui a dit ça en premier n'a clairement jamais croisé la route de Romeo.
— Où en étions-nous ?
— Au moment où je m'enfermais dans les toilettes pour échapper à cette soirée.
— Attends, fait-il.
Il essuie quelque chose sous mon œil droit et je présume que mon mascara a dû s'étaler inélégamment lorsque je me suis endormie. Je suis donc en pyjama avec le visage ensommeillé, les cheveux regroupés dans un chignon déstructuré et une traînée de maquillage sur la tronche. Génial !
— Je vous interromps ?
La voix de Romeo nous fait sursauter de concert et je m'éloigne de Matt comme si notre proximité témoignait de quelque chose alors que ce n'est absolument pas le cas.
— Pas le moins du monde, nous faisions simplement connaissance.
Romeo nous toise tour à tour et j'interprète le tic qui agite sa mâchoire comme un signe d'agacement alors j'en profite pour m'engouffrer dans ce que j'espère être une brèche.
— Je décompresse comme tu me l'as proposé de façon si avenante et pour se faire je sympathise avec Matt, je lâche avec affront.
— Je n'y vois aucun inconvénient.
— Fort heureusement puisque je ne te demandais pas ton avis.
— Ne sympathisez simplement pas dans ma chambre, c'est tout. Mais quel sot je fais ! C'est vrai qu'elle est fermée à double tour pour la soirée !
— Apaise tes craintes, j'ai toujours su faire preuve d'imagination quand il le fallait.
Matt écarquille les yeux et Romeo laisse échapper un sourire en coin.
— Messieurs.
Je me soustrais à la présence des deux amis en les plantant royalement dans le couloir et je vais sur la terrasse savourer ma petite victoire. Le froid me saisit jusqu'aux os et mon postérieur est bientôt anesthésié. Je ne ressens presque plus rien dans cette zone-ci à force d'être restée dans la même position depuis plus d'une heure. Je me tiens à l'écart de tout le monde dans l'un des coins les plus reculés. Tout ça pour un pari ridicule... Et pour ne pas malmener ta fierté surtout ! Ce n'est pas la première fois et sans doute pas la dernière que je me dis que je me suis fait berner. Il est même probable qu'il soit en train de fumer à cet instant précis dans son salon. Je suis quelqu'un de clairvoyant en général et pourtant j'ai plongé la première dans le piège qu'il m'a tendu. À vrai dire, j'ai grandement concouru à l'élaboration de celui-ci. Je ferme les yeux et j'essaie de ne pas repenser à la façon dont j'ai été atteinte par ses propos. Je ne suis pas collet monté ! William a juste emporté une part de moi avec lui. Quelque chose de précieux que je peine à retrouver depuis qu'il m'a lâchement quitté : la confiance en moi-même. Cela dit, Romeo n'a pas eu tort sur un point, j'étais... je suis le type de personne qui s'échine corps et âme à plaire à tout le monde et n'importe qui. Celle qui espère ne pas faire de vague et qui préfère demeurer en retrait. Je n'ai pas toujours été comme ça et j'ai été insouciante à une époque. À un tel point qu'en me remémorant ma vie d'avant ma poitrine se comprime péniblement. La rage de réussir coûte que coûte est passée avant tout le reste. Le besoin de montrer que je valais bien plus que ce qu'ils pouvaient s'imaginer m'a englouti en entière. J'ai laissé l'empreinte familiale creuser son nid jusqu'à m'étouffer. Aujourd'hui, je ne suis que l'ombre de la véritable Juliet et je me rends compte amèrement que j'avance sans réfléchir et sans grande conviction. Je ne sais simplement plus comment me libérer de ces entraves invisibles que j'ai moi-même fixées.
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WHEN JULIET NEEDS ROMEO
RomanceC'est une chose de prendre des risques inconsidérés pour tenter de se sentir plus vivante que jamais et c'en est une tout autre que de se jeter volontairement au cœur d'une tempête indomptable. J'ai beau tourner ça dans tous les sens dans ma tête, j...