• CHAPITRE CINQUANTE •

11.5K 935 240
                                    


Cette déclaration me fait l'effet d'une gifle et je crois même avoir mal entendu l'espace d'un moment, mais tout ce que sa bouche ne répète pas, ses yeux le martèlent. J'ai l'impression qu'une dague est venue se nicher brutalement dans ma poitrine. Son expression est impitoyable et il n'y a aucune place pour le moindre doute. Voilà donc la fin. Je souris avec mélancolie. C'est probablement étrange de penser à ça maintenant, mais il semblerait que ma famille ait gagné après tout. J'ai ma fierté, et peut-être l'ai-je malmené plus d'une fois pour l'homme mystérieux assis face à moi, mais trop c'est trop. Je ne suis pas un paillasson sans émotion sur lequel on peut s'essuyer sans aucun remords. Je rassemble tout le courage qui me reste pour lui répondre.

— D'accord.

J'aurais certes pu mieux faire, mais mon port de tête est altier et mon regard est aussi déterminé que ma voix. Je n'aperçois aucune once de culpabilité ou de désolation dans ses yeux. J'ai été assez lamentable pour lui dernièrement. Je ne m'adonnerai pas à ça une fois de plus. Combien de temps encore mon cœur devrait-il être meurtri avant que je ne comprenne que Romeo est néfaste pour moi ? Tout n'a été que mensonge depuis le début. Comment la fin aurait-elle pu être différente ? Je ne suis même pas surprise à vrai dire. Je pense que je me suis faite à l'idée il y a quelques jours déjà. Quand j'ai saisi que cela lui était égal de me faire souffrir en m'abandonnant dans l'ignorance la plus complète quant à son état de santé. Je me console en me disant que même si nous n'y avons pas pleinement goûté, nous avons effleuré du bout des doigts le bonheur. N'est-ce pas là suffisant ? Ne devrais-je pas simplement me raccrocher à cette pensée en laissant le reste me filer entre les doigts tels des grains de sable dans l'océan qu'est ma vie ? Je serre si fort la mâchoire que cela en devient pénible. J'ai tout de même une dernière chose à lui dire avant de disparaître une bonne fois pour toutes de son existence comme il semble le vouloir.

— Ces joies violentes ont des fins violentes et meurent dans leur triomphe. Flamme et poudre, elles se consument en un baiser. Le plus doux miel devient fastidieux par sa suavité même et détruit l'appétit par le goût.

Ma voix n'a pas tremblé une seule fois et c'est ainsi que je me détourne. La tête haute et la démarche assurée. J'aurai tout le loisir de me briser en mille fragments une fois que je franchirai la porte de cette chambre.

— Juliet.

— Romeo, je réplique sans même me retourner.

Je ne suis pas certaine d'avoir la force d'affronter une minute de plus son regard froid.

— Des fatales entrailles de ces races rivales sont nés deux amants sous une mauvaise étoile. Leur chute infortunée autant que pitoyable enterre avec leurs morts les haines ancestrales. Le cours d'un amour destiné, la mort.

— Pourtant personne n'est mort, je me désole.

— Peut-être que personne n'est mort pour toi, mais à mes yeux nous sommes en deuils.

— De quoi exactement ?

— En deuil de ce qui aurait pu être la plus belle chose que ce monde avait à nous offrir.

Sa réponse me blesse plus que de raison car j'ai conscience que nous ne le saurons jamais désormais.

— Regarde-moi Juliet, m'intime-t-il durement.

— Pourquoi Romeo ? Pour que tu puisses te délecter de ma détresse ? je riposte en accédant à sa requête.

Son expression reste de marbre comme depuis le début de cet échange.

— Regarde-moi Juliet.

— Je ne fais que ça.

— Non ! Regarde-moi véritablement. Contemple un instant la mort qui a failli m'emporter. Il s'en est fallu de peu pour que je côtoie intimement la faucheuse à cause des tiens. Pour que sonne le jour de mon dernier repos.

WHEN JULIET NEEDS ROMEOOù les histoires vivent. Découvrez maintenant