Ce qui se passe au Japon reste au Japon

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Dans la salle de repos des médecins du service de cardiologie, Shawn et moi enfilons une blouse blanche. Le brun, qui m'a bel et bien accompagné, semble aussi excité que moi à l'idée de passer la journée à l'hôpital. Pour quelqu'un qui n'a pas la fibre scientifique, il parait étrangement enjoué.

- Ce sont les infirmières qui te mettent dans cet état ?

- Pas du tout, je suis juste pressé de découvrir ton univers.

Son sourire chaleureux, presque trop beau pour être vrai, me déstabilise. Souhaite-t-il réellement mieux connaitre les choses que j'aime ? En quoi cela lui serait-il bénéfique ? J'ai beaucoup de mal à croire que quelqu'un comme lui s'intéresse à la vie lambda d'une fille ordinaire. Les célébrités n'apprécient pas ce qui est commun alors pourquoi lui échapperait-il à la règle ?

- Êtes-vous prêts ? Nous questionne le docteur Yang.

- Oui, répondons-nous en même temps.

Du coin de l'œil, alors que nous suivons le médecin dans les couloirs, j'observe Shawn. La blouse blanche lui va plutôt bien, on dirait un vrai professionnel de santé. En l'imaginant soigner des gens, je me surprends à sourire bêtement. Peut-être que dans une autre dimension c'est lui le médecin et moi la chanteuse ? Cette inversion de rôle me parait si peu probable que j'en viens à rire toute seule.

- Qu'est-ce qui te fait rire comme ça ?

- Oh rien.

Suspicieux, il fronce les sourcils mais n'a pas le temps de me poser une question que nous nous engouffrons dans une chambre. Le patient s'y trouvant est un vieillard en convalescence suite à une opération du cœur. Sachant prendre des prises de sang, le docteur Yang me demande de réaliser celle de ce monsieur. Avec une pointe d'appréhension, je me lance dans l'opération. Je repère l'une de ses veines passant au niveau du pli de son coude, pose un garrot un peu plus haut et désinfecte la zone dans laquelle je vais piquer.

J'ai déjà réalisé cette opération plusieurs fois mais là, sachant que Shawn me regarde, je suis dépourvue de mon assurance habituelle. A trop vouloir être parfaite afin de lui vanter au mieux les mérites des sciences, je me mets la pression pour rien. Je ne dois pas oublier que le plus important reste, et restera, le patient. C'est donc après une longue inspiration que je me lance. D'un geste sûr et sans hésitation, je parviens à le piquer sans lui faire aucun mal. Très vite, les quelques tubes de sang sont récupérés et nous pouvons continuer notre tournée.

La barrière de la langue me frustre, je ne peux pas m'adresser aux personnes comme je le souhaite et j'ai besoin constamment du docteur Yang pour qu'il joue les traducteurs. La communication est pourtant la base de la médecine. Sans elle, nous ne faisons pas notre travail correctement et je déteste faire mal les choses. J'ai l'impression de tout bâcler, de n'être qu'une vulgaire plante verte transportée de chambre en chambre. Alors lorsque le médecin nous demande de l'attendre quelques minutes, le temps qu'il récupère des papiers dans son bureau, Shawn me tape gentiment l'épaule.

- Tu ne sembles pas très heureuse, il y a un problème ?

- Non, c'est juste que j'aurais dû apprendre le japonais ! J'adore parler aux gens mais là je ne peux pas !

- Tu sais, lorsque je fais des « meet and great » dans des pays dont je ne parle pas la langue, je joue beaucoup sur les mimiques de mon visage pour faire passer des émotions.

- Comment ça ? Je dois faire des grimaces ?

- Mais non ! Regarde.

Jouant avec ses lèvres, ses sourcils et ses yeux, il me montre plusieurs expressions que je reconnais immédiatement. D'abord le dégout, puis la surprise et enfin la séduction. Cette dernière me fait d'ailleurs éclater de rire, trouvant son clin d'œil trop vieux jeu à mon goût.

Grâce à elle [SM]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant