Vingt-quatre

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Je souris.
- Merci Papa.
Heureusement qu'il est là. J'ai bien fait de lui en parler, il me comprend et c'est ce dont j'avais besoin maintenant. Ca me fait plaisir de me savoir soutenue par quelqu'un de ma famille, surtout par mon père. Je pense que c'était quelque chose de très important pour moi de lui avouer ma "relation" avec Grey, et c'est vraiment agréable d'être libérée d'un poids comme ça. Surtout sachant que ce ne sera pas du tout aussi simple pour le dire à ma mère.
- Ne me remercie pas. C'est normal. Je suis content de voir que cette histoire te tient autant à cœur, mais fais quand même attention à toi, je ne veux pas que tu souffres.
- Je ferais attention.
Enfin, c'est assez compliqué : je ne peux pas empêcher et stopper mes sentiments, alors même si ma tête sera là pour me ramener à la raison, je sais que mon cœur ne m'écoutera pas. Donc j'essaierai de faire attention et de ne pas souffrir, mais je sais déjà que ça n'annonce plus compliqué que prévu.

- Maintenant parle-moi de lui. Il s'appelle comment ?
- Grey.
J'aide mon père à mettre la table.
- Il est comment ? Physiquement et mentalement ?
- Il est grand, brun. Il a l'air de faire la gueule, mais il a un sourire et un regard très doux.
C'est la première fois que je décris Grey à quelqu'un. Même si cette description est très sommaire, je me rends compte de tout ce que j'aime chez lui : que ce soit physiquement (j'adore les mecs qui ont les cheveux un peu "longs", passer ma main dedans est une sensation si agréable, j'aime aussi son sourire et la manière dont il me regarde), ce qu'il me fait ressentir : quand mon cœur s'emballe dès que je le vois, le fait que je me sente en sécurité dans ses bras, le contact de nos mains, nos corps, nos lèvres; mais aussi son caractère. Grey est attentionné, et prévenant, il essaye toujours de faire au mieux, et je sens qu'il est sincère. Même si finalement je n'en connais pas encore beaucoup sur lui, je suis très curieuse et j'ai vraiment envie d'en savoir plus, de tout connaître de lui. Sans aucune exception.
Je décris rapidement comment il est mentalement à mon père, sans m'attarder non plus.
- Il a l'air de quelqu'un de bien.
Je souris.
- Oui.

Nous nous installons à table, nos assiettes devant nous. Il a une question qui me taraude et dont je veux connaître la réponse.
- Papa ? Quand je me suis disputée avec Maman, elle s'est énervée en disant de Grey que c'était un connard manipulateur ou quelque chose dans ce genre, alors que c'est faux. Tu saurais de qui elle parlait ?
Il soupire et termine son verre de rouge.
- Tu sais pourquoi on a divorcé ?
Je secoue la tête.
- Maman m'a toujours dit que vous ne vous aimiez plus, mais je sais bien qu'il y a quelque chose d'autre.
- J'aurais voulu que tu le saches plus tôt, mais je n'ai jamais su trouver les bons mots.
J'ai peur de ce qu'il va me raconter. Honnêtement je n'ai aucune idée de pourquoi ils ont divorcé, mais connaissant ma mère cela doit être une raison compliquée.
- Ta mère était enceinte.
Je fixe mon père, attendant qu'il continue, mais je crois qu'il attend que je réponde. Sauf que rien ne sort. Je ne comprends juste pas : j'ai toujours voulu être grande sœur, et j'aurais pu l'être mais cela ne s'est pas fait. Je n'arrive pas à savoir pourquoi elle ne m'en a jamais parlé.
- En quoi c'était un problème ?

Mon père se ressert un verre de vin.
- Tu en veux un ? Ca te fera du bien pour écouter la suite de l'histoire, me suggère-t-il.
J'accepte. Vu le ton qu'il emploie, je me doute que c'est quelque chose d'important. Et il ne me proposerait à boire si ça ne l'était pas. Je bois une gorgée, et manque de le recracher. C'est vraiment pas bon. Je me lève et sors un nouveau verre, où je mets de l'ice tea. Bien meilleur.
- L'enfant n'était pas de moi.
- Maman te trompait ?
Je ne pensais pas ça possible.
- Oui. Avec son patron. C'était une histoire classique d'adultère entre un patron et sa secrétaire, sauf qu'elle est tombée amoureuse de lui, puis enceinte. Il lui a promit de quitter sa femme et ses enfants pour elle, mais il n'a évidemment pas tenu sa promesse, et a profité de l'occasion pour la virer, pour éviter un scandale avec sa famille ainsi que dans l'entreprise.
Je soupire. Je suis très partagée : d'un côté cette histoire me fait encore plus mépriser ma mère, elle a non seulement trompé mon père, mais ne s'est pas arrêtée là. De l'autre, j'ai un peu de la peine car elle était amoureuse de lui et il l'a viré, donc elle a raison sur le fait que c'était un
connard. Mais elle était en tord, alors même si c'est horrible de dire ça.. elle l'a mérité.
- Oh. Ca ne se fait pas.
Il soupire et termine un nouveau verre.
- Ouais. Je sais.

- Comment tu l'as su ?
- Elle m'a dit qu'elle était enceinte alors que nous n'avions rien fait depuis des mois, déjà parce que je la trouvais très distante. Et du coup j'ai compris que ce n'était pas mon bébé, et elle a finit par tout m'avouer.
Au moins, elle a été honnête. C'est déjà ça.
- Et qu'est-ce que tu as fait ?
- Dès qu'elle a finit de tout m'avouer, j'ai demandé le divorce.
- Tu ne voulais pas essayer de recoller les morceaux ?
- S'il n'y avait pas eu de bébé, et qu'elle n'était pas amoureuse de lui, peut-être, mais là non. C'était le mieux à faire, et je ne regrette absolument pas cette décision.
Je soupire. Il a eu raison, je sais que j'aurais agi de la même manière (et j'aurai fait exprès d'être une connasse, pour me "venger").
- Et le bébé ?
- Elle l'a perdu. Quelques jours après tout ça, elle a fait une fausse-couche.
J'avais quand même un petit espoir d'avoir un petit frère ou une petite sœur caché, mais non.

- Je ne pensais pas du tout que ça allait être une histoire comme ça.
- Je sais. Mais ta mère au fond n'est pas méchante : je sais que quand on était ensemble elle réfléchissait plus avec le cœur qu'avec la tête, et c'est d'ailleurs pour ça qu'elle m'a trompé. Mais maintenant d'après ce que tu me racontes c'est l'inverse : elle fait passer la morale et la raison avant les sentiments, peut-être pour qu'une histoire pareille ne se reproduise pas.
- Je comprends mieux maintenant pourquoi elle agit comme ça, elle veut simplement qu'il ne m'arrive pas la même chose qu'à elle.
Mon père hoche la tête.
- C'est ça.

---
J'ai rendez-vous avec Lisana, et je suis évidemment en retard. Après la discussion avec mon père hier soir, on a regardé un film (devant lequel il s'est endormi, comme toujours), puis je suis allée dans ma chambre. J'ai joué un peu à Yo-kai Watch, et j'ai essayé de me changer les idées en regardant une série. Finalement j'ai regardé presque toute la première saison, et je me suis endormie vers six heures. Donc je me suis réveillée vers quatorze heures. Alors que c'était l'heure où nous avions rendez-vous, de base. Su-per. Je l'ai appelé, et elle m'a dit de prendre mon temps. Il est donc un peu plus de quinze heures, et j'arrive au salon de thé où nous avons rendez-vous. Je ne vais pas passer trop de temps non plus avec elle, puisque mon père m'emmène au restaurant ce soir (normalement quand je vois Lisana une après-midi, je finis par dormir chez elle).

Comme d'habitude, nous changeons de café chaque fois que nous nous voyons. Aujourd'hui elle m'a donné l'adresse, et m'a dit que c'était un "salon de thé chic avec des pâtisseries très chères, mais ultra bon". Je pense à mon pauvre argent de poche qui va partir à cause de mon amour pour les pâtisseries (dans l'ordre des choses que j'aime le plus au monde, nous avons en premier lieu dormir, en deuxième lieu les jeux vidéos et en troisième les pâtisseries).

Je me suis trompée d'arrêt de bus, alors je dois marcher un peu plus. J'en profite pour visiter, et je remarque pas mal de boutiques de jeux vidéos, de figurines et autres goodies. Que ce soit des nouveautés ou des jeux collectors, je regarde tout. Je passe presque une heure à faire des emplettes, et je repars avec la Gameboy Color (que je n'avais toujours pas) et une petite dizaine de jeux à des prix très différents. C'est super cool d'être aussi forte en jeux, je reçois souvent des jeux gratuits de la part des marques, mais j'ai aussi pas mal d'argent en plus (évidemment ma mère n'est pas vraiment au courant des sommes que je gagne chaque mois grâce aux jeux), alors je peux continuer ma collection. J'ai failli acheter beaucoup plus, mais Lisana m'attend. Je reviendrai.

Je suis aussi passée devant une superbe salle d'arcade, et j'ai vraiment lutté pour ne pas y rentrer. Une prochaine fois je viendrai (en cas je demanderai à Grey de venir avec moi, ça pourrait être quelque chose de sympa à faire à deux) et je passerai beaucoup trop de temps ici.

J'arrive finalement au salon de thé, et rentre. C'est très joli, dans des tons pastels, très mignon. J'aime beaucoup. Je vois mon amie au loin, et la rejoins. Après lui avoir fait la bise, je m'installe en face d'elle.
- Tu en as mis du temps.
Je souris, un peu gênée.
- Comme d'hab.
- Ca va toi sinon ?
Je hoche la tête. La serveuse (qui porte un uniforme de maid, donc on serait dans un maid café.. c'est sympa. Première fois que je viens dans ce genre d'endroit) prend ma commande. J'ai commandé trois pâtisseries différentes et un chocolat chaud. Ca va me faire du bien, avec le froid qu'il fait dehors.
- J'ai expliqué la situation à mon père.
Lisana me fixe en souriant. Je connais ce sourire.
- Qu'est-ce que tu manigances encore Lis ?
Elle sourit d'autant plus.

Quelques secondes plus tard, une fille de notre âge s'approche de Lisana et lui fait la bise. Elle a des cheveux bleus, bouclés, et une peau couleur porcelaine. Elle ressemble à une poupée. Je regarde ses vêtements : elle porte une robe pull très large (tellement large qu'on ne voit pas ses mains, ça lui donne un air encore plus mignonne), avec des collants et des grosses baskets compensées. Le genre de tenue qui ne va qu'aux filles mignonnes. Personnellement je serais plus grande que tout le monde et je ressemblerai à un sac. Un sac géant. Super.

- Je suis contente de te voir, dit Lisana.
La fille s'approche de moi pour me faire la bise. Je fond totalement, elle est vraiment trop mignonne.
- Salut. Lucy.
Elle ne répond rien. Elle serait muette ?
- Désolée Lucy, elle est timide.
Je regarde Lisana, un peu suspicieuse.
- Je .. Je m'appelle Jubia.
Oh. Oh. Merde. Jubia. La Jubia de Grey. Merde. Elle parait moins mignonne d'un coup. Je fixe Lisana, sans comprendre le but de cette rencontre. Putain mais qu'est-ce que je fous là ? Si j'avais pu, je me serais cachée sous la table, sous une chaise, une couverture, n'importe quoi pour faire oublier ma présence. J'aurai voulu être partout. Sauf ici.



YseultOù les histoires vivent. Découvrez maintenant