Chapitre 28

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  Levés depuis l'aube du 27 avril, nous attendions le signal du départ dans le grand carrosse qui nous avait été attribué. Tout excité à l'intérieur, Élysio avait tout de même eu le courage de se lever aussi tôt que nous. Ce petit m'impressionnait : s'étant réveillé joyeusement, il avait autant d'énergie que Jeanne. C'était surtout lui qui nous faisait la conversation. Il nous racontait son quotient et ses rêves. Il voulait devenir un preux chevalier, comme tous ceux qui combattaient pour le Royaume de France. Un petit sourire se dessina sur mes lèvres. J'aimais son innocence. Il ne réalisait toujours pas l'horreur de la guerre. Seulement une simple caricature de notre conflit.
  Alors que nous attendions depuis un bon moment, Danael perdit patience et essaya de quitter la voiture. Surprise par cette décision si soudaine, je l'attrapai par la manche pour le faire remonter. Il ne pouvait pas sortir maintenant ! Il ne manquerait plus que le convoi n'eût commencé à partir ! Pourtant ce fut peine perdue. Manquant de force, il m'entraîna avec lui hors du véhicule, ou plutôt dans sa chute.
-Dan !! m'énervai-je les quatre fers en l'air. Pourquoi es-tu sorti ??
-J'en avais assez d'attendre ! répliqua-t-il violemment. Deux heures que nous attendons, deux heures !
-Tu dis ça parce que Jeanne nous a fait lever à l'aube ! On est beaucoup, c'est normal que cela prenne du temps !
Mon chevalier n'eut même pas le temps de se défendre que la porte de notre véhicule s'ouvrit à la volé. Nous nous retournâmes pour voir Shimy et Jeanne nous observer silencieusement. Dans l'encadrement s'ajoutait Ténébris qui souriait malicieusement. Je lui aurais bien fait ravaler son sourire à celle-là ! J'étais à terre, sur Danael ! C'était humiliant ! Et elle qui semblait profiter de la situation ! Elle allait prendre cher ! Me redressant debout, je comptais bien lui faire payer !
  Je n'eus guère le loisir d'essayer quoique ce soit que la Pucelle pointa du doigt vers notre direction :
-Cela explique le pourquoi du comment.
Intriguée par ses paroles, je me retournai vers la direction pointée. Tout d'abord, je découvris la taille du convoi. J'en restai bouche bée. Il était tout aussi impressionnant que le convoi royal du début du mois de mars de l'an de grâce 1429, voire plus. En comptant rapidement les véhicules, j'en déduisis qu'il y avait plus de cinq cents soldats qui avaient été enrôlés dans cette mission. Jamais je n'aurais imaginé voir autant de monde ! Nous qui ne nous rendions pas compte de la taille du campement, nous avions une belle armée sous nos yeux !
Puis, je regardai plus loin. Beaucoup de femmes s'approchaient et tournaient autour du convoi. Et en voyant que les hommes se montraient sous leur meilleur jour, nous n'étions pas prêts de partir ! J'entendis Shimy soupirer. Comme nous tous, elle trouvait que cette attitude était des plus absurdes. Nous qui essayions de donner une meilleure image de la femme, c'était mal parti avec elles ! De plus, si quelques uns ne paraissaient guère ravis de cette parade, les femmes continuaient leur manège.
-J'y vais, annonça la Pucelle. Je vais les expulser.
-Tu veux un coup de main ? se proposa Shimy.
-Non merci, il vaut mieux que j'y aille seule. Ce serait assez gênant d'avoir ces femmes tentant de vous faire la cour.
La fileuse hocha la tête et disparut dans le carrosse. Quelques secondes plus tard, elle ressortit avec tout le reste de l'équipe. Cela promet d'être amusant de voir notre amie chasser tout ce monde.

Trottant avec le premier cheval venu, Jeanne se dirigea vers les troubadours et récupéra un clairon. Je ne savais quelle idée elle avait derrière la tête mais cela promettait d'être très amusant. Faisant ralentir sa monture, elle se rapprochait petit à petit de l'attroupement. La route devenait bien trop encombrée par les chariots. Un dernier virage et elle y fut arrivée. Dos à nous, je la vis mettre à sa bouche la trompette et souffler dedans. Effet immédiat : un bruit sourd résonna dans tout le convoi qui fit taire tout le monde. Heureusement que nous avions
mis au courant les commandements des idées de notre amie ! Nous ne pouvions pas entendre ce qu'elle disait. Mais rien qu'en observant les visages des femmes et des soldats, je savais qu'elle avait imposé le silence et le respect. Personne n'osait la contredire. Son ton devait être aussi digne que celui d'un général : autoritaire et froid. Et sa carrure était impénétrable. Tous les atouts pour se faire écouter par des guerriers ! C'était impressionnant de constater qu'elle savait aussi bien parler aux gens du peuple qu'aux grands chefs.
Nous vîmes les femmes repartirent une par une vers Blois. Frustrés, les hommes rentrèrent petit à petit dans leur voiture. Si certains lui tenaient encore tête, il ne fallut pas longtemps pour les faire battre en retraite. Et en une demi-heure, il ne restait plus qu'une dame qui voulait à tout prix rester.
-Voilà une bonne chose de réglée ! se réjouit Shimy. Nous n'allons plus tarder à partir.
-Elle est tellement douée ! s'émerveilla le petit Élysio. Elle a beaucoup de caractère ! Et ça me plait bien.
Danael et moi nous échangeâmes un regard complice. Il semblait que nous avions le même avis sur ce page. Il était si mignon ! Un véritable bonheur que de l'avoir avec nous !
  Redonnant le cheval à son propriétaire, Jeanne nous rejoignit. Elle nous demanda de tous rentrer dans le carrosse avant d'avoir une mauvaise surprise.
-Jeanne, jeanne ! s'écria l'enfant tout heureux. Comment t'as fait pour les chasser aussi rapidement ?? Personne n'y arrivait !
-Doucement Petit ! ria la concernée de bon cœur. Je vais t'expliquer ça.
Calmement, elle nous pria de nous installer confortablement. Ceci fait, elle nous raconta qu'elle avait parlé d'une voix forte et distincte après le coup de clairon. Elle avait fait la morale à tous les soldats en leur faisant comprendre que leur comportement était inadmissible pour un jour de départ. Elle leur rappela l'importance de la mission dans laquelle chacun avait été enrôlé. S'ils avaient eu quartier libre depuis ces derniers jours, c'était pour éviter ce genre de choses le jour-J. Du côté des dames, elle les avait dissuadés de faire la cour à des soldats. Rien ne pouvait garantir leur survie. Bien qu'elles pouvaient les trouver très attirants, elles ne devaient pas tenter quoique ce soit de sérieux avec eux. Et la Pucelle leur avait ordonné de trouver un mari. Quand on ne savait pas être assez mature pour être seule, autant en avoir un. Notre amie nous avoua qu'elle n'aurait jamais pu les renvoyer sans beaucoup d'autorité. Avec surprise, elle avait constaté que sa voix n'était plus celle d'une jeune dame porteuse d'espoir. C'était celle d'un commandant en chef des armées ! Et elle avait réussi à tous les faire obéir avec sa propre voix. En un rien de temps. 
  Tandis que les autres la complimentaient, je souriais silencieusement. Cette guerrière ne cesserait jamais de m'épater. Passant d'une sage à une grande guerrière, elle avait tous les atouts pour contribuer à redresser le Royaume de France. Et le fruit de son labeur fut bien vite récompensé. Une dizaine de minutes plus tard, nous roulions enfin.

L'appel de JeanneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant