Chapitre 45

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  Petit rappel :
Gryf = Jean d'Aulon
Jadina = Bertrand de Poulengy

Bonne lecture !

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Shimy

  Suite à l'appel de Jeanne pour prendre le fort des Tourelles, tout le monde se leva, se saisit d'échelles en masse et se précipita derrière elle, mes compagnons sur leurs talons. Entraînée par ce mouvement, je me brandis de mon arc et et de mes flèches et accourut vers la forteresse. En tant qu'archer, je devais être dans les première lignes et éliminer surtout les hommes d'arbalètes. Au pied du fort, je dédaignai une flèche derrière mon dos et la plaçai contre la corde de mon arc. Je levai la tête vers le chemin de rond et entraperçus un anglais. Je tendis alors la corde et la relâchai. J'entendis ma flèche siffler dans l'air avant de disparaître derrière les remparts. Je ne pouvais dire si elle avait atteint sa cible. Et j'espérais sincèrement avoir éliminé un homme avec une arbalète : ils étaient très redoutables.
J'entendis des dizaines d'échelles se placer contre les murs. Sous les cris de guerre, tous les hommes proches de moi n'hésitaient pas à suivre La Pucelle qui montait courageusement l'une d'entre elle. Entraînée par l'euphorie générale, je dédaignai une nouvelle flèche et me mis en position, prête à tirer sur tout ce qu'il bougeait. Je devais à tout prix nous débarrasser des arbalètes en action : mon amie et nos soldats étaient à découvert. Les carreaux arrivaient avec une telle puissance que la victime pouvait mourir sur le coup. Et ce scénario ne devait pas se produire. Je tournai la tête vers mon amie qui parvenait au sommet du fort. Avec stupeur, je vis un anglais avec une arbalète pointée en direction de la guerrière. Celle-ci ne remarquait rien et continuait son ascension. Je devais éliminer cet individu, je devais m'en débarrasser ! Il n'était pas question de voir Jeannette mourir sans rien faire. Pourtant, tout se passa bien trop vite pour moi. Avant même d'avoir eu le temps de faire changer la trajectoire de mon arc, le carreau partit. Dans un hurlement de terreur, je décochai ma flèche. Cependant, le mal avait été fait : la pointe se planta dans son corps. La jeune femme lâcha l'échelle et chuta inexorablement. Paniquée, je remis mon arc autour de moi et me précipitai vers Jeanne. Suivis par d'autres soldats français, je vis mes autres compagnons faire de même. Malheureusement, leur armure ne leur permettait pas de se faufiler à travers l'armée. Seul Gryf arrivait à jouer des coups de coudes grâce à son agilité.
Jeanne percuta violemment le sol sous mes yeux ahuris. Durant l'espace d'un instant, je me figeai d'effroi. Mon sang ne fit qu'un tour et me poussa à reprendre ma course effrénée. Peu m'importait les attaques qui pouvaient m'être fatales : seule la vie de mon amie comptait. Cependant, je n'étais pas la seule à me soucier du sort de La Pucelle. Une masse d'hommes désemparés s'était créée autour d'elle. Complètement tétanisés, ils n'osaient rien faire. Pourtant, ils savaient très bien qu'il fallait l'amener vers l'arrière ! L'émotion sans doute. Jouant des coudes, je finis par la voir. Allongée au sol, la jeune femme suffoquait. La douleur qui la dévorait me fit blêmir. C'était la première fois que je la voyais en position de faiblesse. Et pourtant, la combattivité y demeurait.
-Il faut l'amener vers l'arrière, ordonna fermement Gryf.
Je relevai la tête pour voir mon ami qui attrapait les épaules de notre Jeannette. Je ne pus m'empêcher de faire apparaître un petit rictus sur mon visage tout en prenant ses chevilles. Son calme dans les situations critiques m'impressionnerait toujours. Rejoints par d'autres soldats, nous réussîmes à la soulever et à traverser le champ de bataille vers le campement.

  Alors que j'entendais au loin les lamentations de nos soldats, Jeanne fut déposée tout en douceur sur l'herbe fraîche, près de la tente du médecin. Sans plus tarder, ils partirent le chercher. Gryf et moi fûmes donc laissés avec notre blessée. Simultanément, nous nous précipitâmes sur sa blessure. En tant que combattant des rues, le jeune garçon avait beaucoup d'expérience là-dessus :
-Le carreau t'a transpercée l'épaule Jeannette. Tu survivras.
Un soupir de soulagement s'échappa de mes lèvres. Bien que je susse ses organes vitaux hors de danger, la profondeur de sa plaie me faisait demander la durée de son rétablissement. J'observai minutieusement la blessure pour me rendre compte que retirer cette arme ne serait pas facile. De plus, elle continuait à perdre son sang.
-Cela faisait longtemps que nous ne nous étions pas retrouvés tous les trois, fit remarquer le rouquin. C'est assez plaisant.
Le rictus qui se dessinait sur son visage m'incita à faire de même. Je les aimais tous les deux profondément. À la suite de mon exil sur Domrémy, j'avais perdu tous mes repères. Avec mon petit Dan, c'était les seuls à m'avoir adressé la parole. Les autres enfants me trouvaient trop froide.
-Pas mécontent de connaître les autres, continua-t-il, mais c'est aussi sympa de se retrouver entre nous. Dommage que cela doit se faire dans de telles circonstances.
Je hochai tristement la tête pour approuver ses dires. Je la baissai alors sur le carreau de ma impétueuse guerrière et commençai à réfléchir pour le retirer. Devrions-nous d'abord la bander avant de l'extraire de son corps ? Non, il fallait débuter en nettoyant la plaie. Elle avait beau être superficielle, nous devions stopper son hémorragie. Cela prendrait du temps mais il nous fallait commencer par là.
En apprenant notre décision, Jeanne refusa catégoriquement. Elle voulait retourner au plus vite sur le lieu du combat. Avec Gryf, nous ne pûmes que rire amèrement. Elle allait survivre, oui. Mais elle était trop fragile pour repartir se battre. Il était hors de question de la voir y retourner. Pourtant, elle n'allait pas l'entendre de cette façon et nous tint tête. Consultant mon ami du regard, nous fûmes tous les deux d'avis de ne pas la contredire. Cela ne nous mènerait à rien. Elle nous aurait rappelé la baisse de moral de nos soldats, qui la croyaient certainement morte, qu'elle seule pouvait inverser. Mais malgré sa folle idée, je restais admirative de sa ténacité. Nous acceptâmes donc son retour au combat mais nous comptions tout de même la guérir correctement. Avec le temps qu'il faudrait.
-Hors de question ! s'opposa-t-elle à nouveau. Je dois y retourner au plus vite.
Tandis que j'apercevais les soldats et le médecin arriver vers nous, Gryf éclata de rire. Avec un air malicieux, il lui fit remarquer qu'il n'y avait guère d'autre solution. Pourtant, le regard de La Pucelle tomba sur le carreau et s'illumina. À notre plus grande stupeur, elle nous ordonna de lui retirer son carreau d'un seul coup ! La pire idée qu'elle avait eu de toute sa vie !
-Tu perds du sang ! rugis-je pour tenter de lui donner une raison. Tu veux mourir ou quoi ?? C'est la meilleure idée pour y parvenir !
-Non, je sais qu'on peut en survivre ! Jeannot, tu l'as fait plusieurs fois pour toi ! Alors, s'il te plaît, fais-le pour moi.
-N'y compte même pas Jeannette ! s'emporta le combattant des rues. Cette méthode est très risquée : tu peux y laisser la vie. Et honnêtement, tu es la dernière personne qui doit connaître la faucheuse aujourd'hui.
-Mais tu avais toujours survécu ! protesta Jeanne.
-En sachant le danger que j'endurais ! Jeanne, tu es la foi, l'espoir ! Ta vie compte bien plus que la mienne. Je ne serais regretté de personne.
Instinctivement, ma main partit et claqua la joue du rouquin tandis la colère et la déception s'emparait de moi :
-Je t'interdis de tenir des propos pareils ! Ce n'est pas tes origines qui vont dicter la valeur de ta vie ! Tu as obtenu le respect et l'estime de nos deux aînés. Bertrand, malgré ses manières qui m'insupportent, t'apprécie à ta juste valeur. Aucun des trois ne voudrait ta mort et te sauverait d'elle. Et surtout, que fais-tu de Dan et moi ?? Nous t'aimons tellement !
Le jeune juif baissa tout doucement la tête sans me répondre. Je n''y tenais plus, j'appelai Jeanne en me retournant vers elle. Et un spectacle glaçant les os m'accueillit : la jeune femme retirait le carreau ! Nous ne pûmes réagir qu'un hurlement de douleur s'échappa de sa bouche. Sous nos yeux médusés et les regards remplis de stupeur des soldats et du médecin qui venaient tout juste d'arriver, La Pucelle relâcha le carreau alors que son sang coulait à flot...

  Bandée au niveau de sa blessure, Jeanne se tenait sur son cheval avec sa bannière à la main. Le pansement n'avait même pas été appliqué depuis cinq minutes que ma folle Jeannette repartait en direction du front ! Bien qu'elle pût m'épuiser, je vis un changement radical dans les expressions de l'armée. Alors qu'il y avait quelques instants les Français possédaient des têtes défaitistes avec l'annonce fausse de la mort de l'élue, un nouvel élan d'optimiste et d'espoir se créa. Jeannette avait raison : sa présence seule pouvait changer le moral des troupes.
  Je repris alors mon poste d'archer pour me battre contre les Anglais. Mes flèches sifflaient au rythme des coups de fer pour se planter dans le corps de mes ennemis. Les cris de guerre s'entrechoquaient au bruit des échelles de bois. Mes pointes de fer et les boulets s'écrasaient contre les murs, qui les brûlaient sur leur passage. La vitesse à laquelle la bataille se déroula était déconcertante. Trop rapidement, on m'ordonna de suivre une nouvelle division. Notre armée envahissait parfaitement bien le fort ; ce n'était plus qu'une question de temps avant de repousser les Anglais dans le dernier bastion des Tourelles. L'idée était de le prendre par tous les côtés à l'aide du pont-levis fraîchement réparé. La pression créée serait telle que le boulevard tomberait.
Les Anglais repliés dans leur dernière tour, ils étaient piégés. Le pont abaissé, il ne fallait pas longtemps pour nous ordonner d'attaquer. Un désir ardeur de faire chuter ce siège, je me précipitai à l'intérieur. Ce fut à ce moment que l'impensable se réalisa : le commandant anglais Glasdale tomba à l'eau et y périt. Cet immonde personnage qui aimait tant insulter Jeanne venait de mourir sous mes yeux ! Cela me donna un nouvel élan pour bouter une bonne fois pour toutes nos ennemis d'Orléans. Sans réfléchir, je tirai mes flèches enflammées dans les coins les plus critiques. Je voyais aussi des prisonniers français tout juste libérés de prison. Ces derniers cherchaient des armes. Malgré leur fatigue, ils souhaitaient participer à la mort de cette forteresse. Finalement, les Tourelles, à moitié en flammes, furent enfin prises au premier rayon lunaire. C'était une immense victoire. Les Anglais venaient de perdre la rive sud de la Loire. Orléans pouvait donc être facilement ravitaillé ! Adieu les pénuries !

  Cette belle nouvelle en entraîna d'autres. Alors que Jeanne pleurait les milliers d'Anglais morts au combat et que l'on délivrait les derniers des deux cents prisonniers, le comte de Suffolk et le lord Talbot firent démolir tous les forts et se regroupèrent correctement devant le Saint-Laurent durant la matinée du 8 mai de l'an de grâce 1429. L'affrontement semblait inévitable. Jean d'Orléans ordonna un rassemblement de l'armée française devant les troupes ennemies. Comme à l'accoutumé, nous le suivîmes pour ce face-à face, Jeanne avec son étendard à la main. Aucun des camps n'osait faire quelque chose. Tous s'expiaient du regard. Ils ne pensèrent même pas à la libération des six cents prisonniers que nous avions fait la veille. La peur les gouvernaient-ils à ce point ? Il fallait être aveugle pour ne pas le voir.
  Durant une heure, nous restâmes figés sans prendre l'initiative d'attaquer. Et puis, sans aucune explication, les chefs de guerre anglais sonnèrent la retraite. La mine battue, l'armée s'exécuta et repartit. Certains soldats remplis de désespoir se jetèrent même dans le fleuve ! Cette attitude me laisserait toujours perplexe.
-Nous devons attaquer, proposa André de Rambures qui s'était illustré ces derniers jours. Nous devons détruire l'armée anglaise.
-Non ! déclara haut et fort Jeanne. Nous sommes dimanche, jour de fête. Pas question de verser encore du sang...
Pour une fois, la proposition de notre guerrière paraissait censée aux yeux de tous. Son refus fut accepté. Une immense joie me parcourut alors tout le corps. Oh Jeannette, ce jour serait bien plus qu'un jour de fête. Ce serait un grand jour de célébration ! Les Anglais étaient en fuite : le siège d'Orléans venait d'être levé ! Et ce beau miracle devait être dignement célébré.

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Et voilà un nouveau chapitre qui vient clore les batailles de l'arc d'Orléans ! Le prochain chapitre, un peu spécial, bouclera définitivement cet arc avant d'ouvrir une dernière épopée vécue par Jeanne d'Arc et ses compagnons. La fin de l'histoire approche donc doucement. Mais nos légendaires ont encore beaucoup à vivre !
En espérant que ce chapitre vous ait plu !

L'appel de JeanneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant