Chapitre 50

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  Un silence oppressant envahit l'atmosphère. Personne n'osait dire mot. Seule Shimy fusillait sauvagement du regard Danael. Pour ma part, je ne comprenais guère la réaction de Gryf. Nous étions tous heureux de cette victoire. Alors pourquoi avait-il réagi si brutalement ? Diantre, cela n'avait aucun sens pour moi !
N'y tenant plus, je me levai de ma chaise et décidai de me mettre à la recherche de mon compagnon. J'avais besoin de comprendre sa réaction. Je sortis de la taverne et commençai à réfléchir à l'endroit où il avait bien pu aller. Il n'était certainement pas loin, il fallait juste songer aux lieux où il aimait rester seul. Près d'ici, se trouvaient une forêt et la Loire. Il n'avait pas eu le temps d'étancher sa soif ; il me parut logique de me rendre sur les rives du fleuve. Je marchai quelques instants avant d'apercevoir une silhouette au bord de l'eau. Intriguée, je m'en approchai et vis mon ami contempler la surface lisse de la Loire. Je m'assis à côté de lui.
-Pourquoi es-tu parti aussi soudainement de la taverne ? demandai-je. Est-ce à cause de la mention de notre roi des Cieux ?
-C'est surtout la façon dont Dan en a parlé. Je ne pense pas qu'une quelconque aide divine intervienne réellement dans les affaires humaines.
-Et que fais-tu des voix de Jeanne ?
-À mon avis, notre amie a reçu un message divin. Il ne tenait qu'à elle de le répandre à notre royaume de France.
Je songeai silencieusement à ses propos. Il était vrai que nous considérions tous La Pucelle comme une élue du peuple qui redonnait foi à l'armée française. Toutefois, je comprenais mieux en quoi les paroles de mon chevalier l'avaient courroucé. Si notre roi des Cieux avait décidé d'aider notre royaume, pourquoi ne serait-il pas intervenu lors de la pendaison de ses parents ?
-Je pense qu'il nous a abandonnés, poursuivit le jeune homme, qu'il regarde de loin les affaires humaines. Au point que je doute de son existence.
Je tombai des nues. Comment Gryf pouvait-il remettre en cause son existence ? Je savais qu'il avait des convictions différentes des catholiques. Il était né dans une famille juive ; ses rites étaient bien divergents des nôtres. Mais de là à douter d'une présence divine ? Avait-il donc tourné le dos à sa propre religion ??
Le rouquin se tourna totalement vers moi et vit mon incrédulité dans mon regard.
-Tu sais Bertrand, m'expliqua-t-il perdu dans ses pensées, quand on voit ses parents exécutés pour seul motif d'être différent, on ne croit plus en rien. Et surtout pas en une présence divine qui régit nos vies de manière à la rendre juste.

  14 juin de l'an de grâce 1429, nous étions de retour sur Orléans. Un nouveau conseil de guerre allait se tenir aux aurores pour organiser les trois prochaines batailles. Mais, contrairement à l'accoutumée, il allait avoir lieu près de notre campement ; Ténébris toujours à la tête de l'opération ! Avec ferveur, nous nettoyions notre table pour accueillir comme il se devait nos commandants. Certains souhaitaient participer à cette campagne.
  Un quart d'heure plus tard, Jean d'Orléans, Gilles de Rais, La Hire, Xaintrailles et Jean de Brosse nous eurent rejoints et la réunion débuta dans le plus grand calme. Tout d'abord, les nouveaux arrivants nous félicitèrent pour la prise de Jargeau. La sécurisation du périmètre commençait très bien : les troupes anglaises s'étaient repliées en désordre sur Meung-sur-Loire et Beaugency. Nos cinq commandants nous proposèrent leurs hommes. De plus, la milice créée par Jeanne souhaitait participer à cette nouvelle bataille ! Ce fut avec joie que nous les comptâmes dans nos rangs qui s'élevaient au nombre de sept mille soldats ! Cela faisait beaucoup de monde mais le bâtard et La Hire comptaient sur leur second respectif pour nous aider à gérer tout ce monde. Nos commandants souhaitaient rester discrets pour la prochaine bataille mais diriger les deux dernières pour nous permettre de nous reposer.
  Nous pensâmes ensuite au calendrier des assauts. La Pucelle pensa alors qu'il fallait profiter de l'avantage chèrement acquis et attaquer le plus rapidement possible les trois autres bourgs. À notre plus grande surprise, Jean d'Orléans approuva et soutint fervemment cette idée. Lui qui avait été si réservé lorsqu'elle avait proposé des attaques à exécuter le plus rapidement possible ! Était-ce grâce à la libération fulgurante de son bourg ? Sous l'impulsion de Xaintrailles, il fut donc décidé que les garnisons se mettraient en marche dès cet après-midi. Gilles de Rais nous fit alors un état des lieux de notre prochain lieu d'attaque : Meung-sur-Loire. Les défenses anglaises s'organisaient autour de trois forteresses indépendantes l'une de l'autre : la cité fortifiée, la fortification près du pont du bourg et le grand château fortifié, où était établi le quartier général des lords Talbot et Scales. Je grimaçai en entendant le nom du premier commandant anglais. Il n'avait certainement pas dû essuyé sa défaite à Orléans et ferait tout pour ne pas laisser Meung-sur-Loire entre nos mains. Jean de Brosse suggéra alors de séparer notre garnison en deux : la première se serait chargée de la cité tandis que la seconde se serait occupée du grand château. C'était les deux points stratégiques les plus faibles. Puis, nous nous serions réunis pour l'assaut final au niveau du pont. Nous approuvâmes cette idée. Cela permettrait d'avoir un endroit pour nous loger et de faire tomber le bourg en peu de temps. Il était certain, en deux jours, nous pourrions bouter les Anglais hors de Meung-sur-Loire ! Il nous fallait juste rencontrer les seconds pour scander la garnison en deux.
  Un quart d'heure venait de s'écouler depuis la fin du conseil de guerre lorsque nous aperçûmes deux silhouettes au loin. Peu à peu, je pus distinguer Jacques de Chabannes de La Palice, le second de Jean d'Orléans, et une tête rousse qui m'était encore inconnue. J'entraperçus Danael se rapprocher d'eux, très intrigué par le second de La Hire. Et puis, il se stoppa net :
-Ikaël ? demanda-t-il hésitant. Ikaël Larbos ?
Diantre ! Le second de La Hire, Ikaël Larbos, grand frère de Danael ?? Quelle surprise de le découvrir aussi haut gradé !
Le concerné releva la tête et se figea. Pétrifié sur place, il ne semblait oser faire un mouvement :
-Da... Danael ? Tu fais parti des membres de la légendaire équipe ?
Mon chevalier hocha doucement la tête. Et puis, n'y tenant plus, il se précipita sur son grand frère pour l'enlacer fort dans ses bras. Surpris, il finit par rendre son étreinte. Les deux frangins restèrent un instant dans les bras de l'un et de l'autre avant de se séparer. Tout enjoué, Dan fit les présentations. Cela faisait depuis un moment qu'Ikaël avait quitté Domrémy ; il n'avait jamais véritablement entendu parler de Jeanne. Les deux Larbos voulaient absolument avoir des nouvelles de l'un et de l'autre. Nous dûmes les contraindre à attendre un peu. Nous devions créer les deux équipes et nous répartir les tâches pour la gestion du convoi.
  Ce dernier conseil de guerre se passa dans la bonne humeur. Très rapidement, il fut décidé que Ténébris, Gryf, Danael et Jacques se chargeraient d'attaquer le château tandis que Razzia, Shimy, Jeanne, Ikaël et moi attaquerions la cité. Les rôles pour la gestion du convoi furent vite attribués. Je me retrouvai donc affectée au ravitaillement avec Dan et son grand frère.

  L'après-midi était bien avancé ; nous étions à mi-chemin de Meung-sur-Loire. Avec les deux Larbos, nous n'avions guère eu le temps d'échanger. J'étais donc partie à la recherche de quelques soldats volontaires pour surveiller une partie du ravitaillement, de manière à pouvoir enfin parler un peu. Je mourrais d'envie de savoir comment Ikaël avait réussi à devenir le second de La Hire. Je jetai alors un coup d'œil vers Danael qui semblait assez intimidé par son grand frère. Je me rapprochai de mon ami. Tendu comme une statue de pierre, il me rendit mon regard. Je fis un nouveau pas vers lui et l'interrogeai. Pourquoi une telle réserve avec son frère ? Il y avait même dix pas de distance entre eux !
-Il a toujours été très distant avec moi, soupira-t-il. Toujours plongé dans le code de la chevalerie, je ne le voyais que très rarement. Sans parler de son nouveau statut...
-Il doit être aussi intimidé que toi ! le rassurai-je en souriant. Imagine, on te demande d'aider la légendaire équipe qui a accompli de grands miracles et tu découvres que ton petit frère en fait parti ! Déconcertant non ?
Mon chevalier me sourit timidement. Il le reconnaissait, ils étaient tous les deux très intrigués l'un par l'autre. C'était pourtant le moment idéal pour renouer ensemble ! Je poussai Dan à entamer une conversation avec lui. Malgré son inquiétude, il m'obéit.
Craintivement, il tenta une première interpellation. Le second de La Hire se retourna, sourit à son frère et lui demanda de ses nouvelles et de leur Domrémy natale. Ses réponses étaient brèves, hésitantes. Diantre ! Leur relation était si tendue ! Ikaël lui faisait si peur que cela ? Finalement, il réussit à lui expliquer à quel point son amitié avec Jeanne lui avait permis tout naturellement d'intégrer la légendaire équipe. C'était un futur chevalier ; il était à mène de pouvoir la protéger. Puis, de la maison de Baudricourt à la bataille de Jargeau, il relata toutes nos aventures.

  Au fur et à mesure que Danael avançait dans son récit, l'atmosphère se détendit. Le rouquin était hypnotisé par notre histoire et voulait connaître tous les détails. Il n'hésitait pas à me poser des questions pour l'éclairer sur quelques aspects de notre aventure, notamment la venue de Ténébris. Dan avait du mal à expliquer son parcours. Puis, ce fut à notre tour de l'interroger sur son ascension. Tout fier, il se mit à tout nous raconter. Je l'écoutai très attentivement. C'était si passionnant ! Et nous ne pûmes qu'être très admiratifs. Lorsqu'il avait quitté Domrémy, il s'était engagé au service de Baudricourt. Ses premières années avaient été occupées à assurer la protection de la châtellenie. À la suite de ses tournois, il s'était distingué aux yeux de René d'Anjou, beau-frère de notre Dauphin. Anjou lui avait proposé de rentrer au service de notre futur Charles VII. Ikaël n'avait aucunement hésité et, peu de temps après, il s'était retrouvé sur différents champs de batailles. Si, au début, il ne se contentait que de survivre, le siège de Montargis avait marqué un tournant dans sa carrière. Il y avait deux ans de cela, il avait réussi à entrer dans Montargis et à récupérer des informations capitales. Il avait décidé de s'adresser à Jean d'Orléans. Du haut de ses vingt-cinq ans, il s'était fait remarqué par sa bravoure et son sang-froid. De plus, il était plus facile de s'adresser à lui qu'aux grands capitaines de renom : La Hire et Xaintrailles. Ce siège anglais tomba grâce aux trois capitaines. Il avait permis au chef d'Orléans de s'illustrer et de devenir aussi important lors du siège de son bourg et à Larbos d'être recruté par La Hire. Des espions, il en avait besoin. De plus, ses conseils avaient été très utiles. Sa promotion de second était très récente. Lors du siège d'Orléans, il avait effectué une mission d'espionnage. Seulement, il avait été fait prisonnier. Pour n'avoir pas cédé à la question et pour avoir pris part à l'assaut malgré son affaiblissement lors de sa libération, il était devenu son second. Nous fûmes surpris de ne pas l'avoir vu. Certainement à cause du monde. Et malgré ses cicatrices, il en était très fier.

  Nous arrivâmes aux portes de Meung-sur-Loire dans la soirée. Comme prévu, le lendemain, nous attaquâmes le bourg. Très rapidement, nos deux équipes capturèrent la cité et le château assez tôt dans la matinée. Mon équipe ne dut pas attendre très longtemps les autres. Une fois nos sept mille hommes unifiés, nous enclenchâmes l'assaut frontal face au pont. La bataille fut longue et éprouvante. Il fallut ruser pour faire tomber cette forteresse. Mais, vers la fin de la journée, nous prîmes l'avantage et nous emparâmes du pont. En un jour, nous avions bouter les Anglais hors de Meung-sur-Loire, nous permettant de nous rendre vers Beaugency dans la soirée.

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Et voilà un nouveau chapitre qui fait apparaître Ikaël ! J'avais très envie d'insérer un peu plus les personnages des légendaires dans ce dernier arc sans nuire à l'Histoire. On commence donc par le frère de Danaël, passé de commandant des faucons d'argent à second de La Hire ! Je ne me voyais pas  faire de lui un illustre commandant, cela aurait trop entravé l'Histoire à mon goût. Second me paraît être le meilleur compromis !
En espérant que ce chapitre vous ait plu !

L'appel de JeanneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant