Danael vint rapidement m'ouvrir. Il était aussi souriant. Comme mon rang l'exigeait, il posa un genou à terre :
- Ma chère Dame Jadina ! Quel honneur que de vous avoir dans mon humble demeure !
- Oh Dan ! Tu sais très bien que tu peux oublier ces exigences dues à mon rang !
- Je le sais ma Dame ! Et c'est ce qu'il me pousse à agir ainsi !
Je levai les yeux au ciel avant de le pousser pour pouvoir rentrer.
À l'intérieur, je vis une jeune femme aux longs cheveux châtains clairs ondulés, qui observait une épée. Elle avait les yeux marrons et un air coquin sur son visage. Dès qu'elle sentit ma présence, elle se tourna face à moi et me salua joyeusement. Je la saluai en retour.
Cette jeune femme s'appelait Jeanne. Ayant dix-sept ans, elle avait eu sa majorité il y avait trois ans de cela. Pleine de vie, Jeanne était une fille pieuse et illettrée mais elle venait d'un milieu bourgeois. Elle ne m'avait jamais communiqué son nom. Je ne la voyais pas beaucoup mais je savais qu'elle était très amie avec mon chevalier. Était-elle amoureuse de lui ? Je n'en savais rien.
- Jadina, me dit ce denier en me tirant de mes pensées, Jeanne est venue aujourd'hui pour te défier à l'épée !
Un défi ?? J'en étais très étonnée. Je n'avais appris à manier cette arme il y a seulement un an et demi, à peine ! Ma rivale avait quatre ans d'expérience acharnée ! J'allais me faire battre à plat de couture, c'était certain !
- Mais Dan, j'ai beaucoup moins d'expérience qu'elle !
- Je n'en serais pas aussi sûr si tu veux mon avis. Et te souviens-tu du jour où tu as rencontré mon amie ?
J'hochai la tête. Oui, je m'en souvenais très bien ! C'était un soir où je m'étais rendue chez lui. J'avais vu une jeune demoiselle dans la pièce, une épée à la main. Comme une folle, elle avait tranché tous les épouvantails qui avaient été mis dans la salle. J'en étais restée bouche bée. Cela avait été la première fois que je voyais une femme tenir une épée ! Et quel style ! Elle m'avait réellement impressionnée. C'était ce soir-là que Danael m'avait proposé d'être mon professeur d'escrime. J'avais longuement hésité. J'étais une demoiselle de la noblesse. Ma place était dans mon château, à broder des tapisseries et à gérer la seigneurie. Mais je voulais apprendre à faire la même chose que cette fille, nommée Jeanne. J'avais donc accepté sa proposition, sous le sourire triomphant des deux amis.
Mes débuts avaient été chaotiques mais plus je m'entraînais, plus je m'améliorais. Un jour, qui sait, peut-être que les femmes auront les mêmes droits que les hommes ? Nous n'étions pas aussi faibles qu'ils pouvaient le penser ! Il n'y avait pas qu'eux qui méritaient la gloire !Je regardais toujours le jeune homme en attendant qu'il continue.
- Tu avais cru qu'une femme ne pouvait pas se battre...
- Parce que je n'en avais jamais vu jadis pardi !
Il se mit à rire gaiement. Je serrai les poings. Quel idiot de rire de moi ainsi !
- Excuse-moi Jadina mais ta réaction était hilarante !
- Ah oui ? Qui est dame ici ?
- Excuse-moi, me répondit-il en reprenant son sérieux. Reprenons. Tout ceci pour te dire que rien n'est impossible. Tu peux la défier ! Peut-être même que tu gagneras ? C'est simplement un duel amical pour vous perfectionner. La première à mettre à terre son adversaire a gagné !
Je lui souris. Je ne l'aimais pas que pour sa bravoure mais aussi pour son bon fond. Il croyait dur comme fer que les femmes possédaient les mêmes qualités qu'un guerrier.Face à face avec Jeanne, nous défiâmes du regard. Nous nous positionnâmes avant que mon adversaire ne se jette sur moi. Je fis un bond en arrière pour échapper à sa lame. Puis je ripostai en l'attaquant sur le côté. Aussi rapide qu'un éclair, elle se retourna et para aisément mon coup. Elle sauta et fit un salto sous mes yeux ahuris. Cela allait être dur de la battre. Je me retournai vivement, l'audacieuse allait me foncer dessus ! Nos deux épées s'entrechoquèrent. Enchaînant coup sur coup, Jeanne finit par m'égratigner à l'épaule droite. Comprenant que je ne devais pas prendre ce combat à la rigolade, je décidai de changer de méthode. Il était temps que j'attaque vraiment mon adversaire. Je déviai de ma trajectoire avant de foncer droit sur elle, sur le côté. Aisément, elle para mon coup et me fit reculer de quelques pas. Sans réfléchir d'avantage, je l'attaquai par derrière. Elle se retourna vivement et para une nouvelle fois ce coup. Je grognais de frustration : elle était bien meilleure que moi à l'épée. Elle avait des réflexes incroyables. Comprenant que j'allais perdre mon combat si je gardais cette arme-là, je cherchai très rapidement du regard un bâton. Il n'y avait pas seulement à l'épée que je savais me battre, je savais aussi manier les bâtons et j'étais plutôt bonne au corps à corps. Rester vigilante, observer la salle, trouver ma nouvelle arme, lâcher l'ancienne, bondir pour la récupérer et se retourner vers son adversaire ; voilà ce que je fis en à peine dix secondes. Mon bâton de fer à la main, je parai le coup de Jeanne. Puis je me reculai pour foncer à nouveau sur elle, le pied devant. Je réussis à lui donner un coup. Un petit sourire se dessina sur mon visage : j'avais porté le premier coup ! Mais je ne devais pas encore me réjouir : elle avait bien plus d'expérience que moi. Cela se faisait ressentir à ma respiration : je peinais de plus en plus à reprendre mon souffle contrairement à Jeanne. Il fallait que je parvienne à la mettre à terre avant que je ne m'effondre moi-même de fatigue. Reprenant doucement mon souffle, je l'observai du coin de l'œil. Elle ne bougeait pas. Qu'allait-elle faire ? D'ailleurs, savait-elle ce qu'elle allait faire ? Sans réfléchir d'avantage, je lui fonçai dessus. Nos deux armes s'entrechoquèrent. Je pris mon bâton comme une épée. Je tapai si fort sur son arme qu'elle vola à travers la pièce ! Heureusement que nous n'avions pas assommé Danael.
Avec une détermination hors norme, elle attrapa mon bâton et tenta de me la retirer des mains. Je lui donnais beaucoup de coups pour essayer de la garder mais elle ne semblait pas craindre la douleur. Après un certain moment, elle extirpa de mes mains mon arme. Il nous fallait passer au corps à corps.
J'envoyais mon poings dans sa figure lorsqu'elle m'arrêta, me retourna le bras et me força à toucher terre. Je grimaçais, la douleur était insupportable. Ma résistance faiblissait, je sentais la fatigue prendre le dessus. Ma respiration était de plus en plus saccagée, mes jambes tremblaient. Pourtant il fallait que je résiste ! Je souhaitais vraiment impressionner Danael. Je tentai alors une chose complètement déraisonnée : je mis mon autre main sur son poignet. Voyant que je n'arrivais pas à la forcer à enlever sa main de mon poing, je me poussai vers elle pour la déstabiliser. Malheureusement, elle s'écarta et c'était moi qui me retrouva les quatre fers en l'air !
- Oui ! s'écria-t-elle joyeusement. Tu es bien tombée dans mon piège ! Il ne faut jamais tenter ceci Jadina.
- Bah je le serais, gloussai-je, tu m'as bien piégé !
- Wouah ! souffla Danael comme réellement impressionné. Quand vous vous y mettez vous les filles, c'est du sérieux ! Votre combat était bien violent pour un entraînement !
Instinctivement, nous rougîmes. Au cœur de l'action, nous nous rendions pas vraiment compte des coups que nous nous donnions. Nous nous observâmes pour voir des hématomes et des égratignures sur nos corps. J'explosai de rire : jamais je n'aurais cru qu'une tigresse sommeillait en moi. Il fallait juste espérer que cela passe inaperçu aux yeux de ma mère, mon oncle et du professeur Vangelis.Assis au coin du feu, Jeanne me pansait mes blessures. Danael entama la conversation :
- La prochaine fois que vous décidez de vous affronter, il vaut mieux que quelqu'un vous surveille !
Jeanne ria de bon cœur avant de prendre la parole :
- Tu sais Jadina, tu as beaucoup de potentiel ! Tu es une sacrée guerrière dans l'âme !
- Toi aussi Jeanne ! Tu es capable de me battre. Vous êtes vraiment impressionnantes pour deux jeunes filles.
- Si tu connaissais Ténébris, ma demi-sœur. Elle est vraiment... dangereuse avec les inconnus.
- C'est qui ? me demanda Jeanne.
- Une jeune femme de ton âge qui s'est enfuie des ordres. Elle devait être recadrée par des bonnes-sœurs.
- Elle s'est enfuie ?? s'étonna notre chevalier.
- C'est une jeune femme qui déteste se laisser faire, expliquai-je. Elle hait recevoir des ordres. Comme vous le savez, être religieuse est très dur. C'est une vie très strict et les punitions dures. Ce n'est absolument pas son cadre idéal de vie. Elle est aussi assez violente. Mais c'est une femme déterminée qui ose braver le danger pour un idéal.
- Je ne pensais pas que les nobles pouvaient avoir de tels comportements ! Cela se voit bien plus chez nous, les paysans ! Sous vos grands airs, vous pouvez être comme nous !
- Oui, soupirai-je, j'aimerais bien que plus de personnes s'en rendent compte.
Ce qui me répugne du plus au haut point sont les préjugés.
- Tu fais partie de la petite noblesse Jadina, souligna Danael. Tu n'as pas la même vision du monde que tes confrères.
- C'est bien possible, leur souris-je tristement. Il va falloir que je m'en aille. Je dois passer acheter du fil pour ma tapisserie. Je n'en ai plus pour la finir.
- À demain alors Jadina !
- Au plaisir de te revoir Jadina !
Je les saluai à mon tour avant de disparaître de la pièce.Je trottais avec mon cheval dans la ruelle sombre. Quelques mètres plus loin, on pouvait lire une pancarte : « Chez Shimy, fileuse élémentaire ». Je descendis de ma monture avant d'ouvrir l'humble porte. Une quantité inimaginable de tissus et de fils se trouvait dans cette pièce ! C'était la raison pour laquelle je venais toujours acheter mes fils ici. Il y avait beaucoup de choix pour des prix peu chers. La matière, les couleurs, il y avait tous ce dont je pouvais rêver. Une chose que j'aurais vraiment aimé trouver dans ce village : une boutique comme celle-ci qui vende des robes ! Je les aimais tant ! Me faire coquette pour les bals était aussi quelque chose qui me divertissait autant que le combat. Paradoxal n'est pas ? C'était pourtant mes deux passes-temps préférés.
J'observais longuement les fils. Il y en avait tant ! Je regardais la couleur ; je faisais une tapisserie avec des couleurs claires et chaudes. Après un petit temps de réflexion, j'en pris trois : un rouge, un bleu et un blanc. Puis je vis un magnifique vert, ma couleur favorite. Il ressemblait beaucoup aux pierres de jade. Je ne pus résister à l'acheter, je le pris avec moi.
Devant le comptoir, je fis sonner la petite clochette que la vendeuse avait laissé. Je ne la connaissais pas très bien mais elle était assez froide aux premiers abords. Shimy, d'après la pancarte. J'aimerais vraiment savoir comment elle faisait pour faire autant de fils ! Je l'admirais pour tout le mal qu'elle se donnait pour faire marcher son commerce.
La jeune femme arriva rapidement devant son comptoir. Elle me prit mes articles :
- Un louis d'or je vous prie, m'annonça-t-elle avec la petite froideur qu'elle avait l'air de réserver aux inconnus.
Je lui donnai ma pièce avant de repartir de sa boutique. Je m'étais toujours demandé quel âge elle pouvait avoir. Elle paraissait jeune mais ses traits tirés lui donnaient un air bien plus âgé. Sûrement la fatigue de la guerre. Mon cœur se serrai en repensant à ce maudit conflit. Ne pouvait-il pas s'arrêter une bonne fois pour toutes ?? Combien de vies allaient encore y passer ?? Pour renverser la situation, il nous faudrait un véritable miracle ! Cela ferait cesser tant de problèmes dans le Royaume de France ! Et mon père qui se trouvait parmi les chevaliers de notre honorable Dauphin Charles VII. Sur ces sombres pensées, je soupirai avant de repartir pour Orchidia.

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L'appel de Jeanne
De Todo« Depuis quelques temps, notre armée connaît des défaites cuisantes. Nous avons tous subi les conséquences de cet affreux conflit. Des batailles intérieures vivront sûrement à jamais dans nos âmes. Mais nous devons les utiliser pour en faire des com...