Chapitre 52

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Razzia

  Le soleil se levait sur la journée du 18 juin 1429. Levés depuis l'aube, Ténébris et moi rejoignions La Hire, Xaintrailles, Richemont, Jean de Brosse et Ambroise de Loré ; Gilles de Rais et Jean d'Orléans ne souhaitant pas diriger cette opération. Comme ils avaient refusé de prendre part à l'assaut final, tous nos autres compagnons étaient restés dormir dans leur tente. Inutile de les réveiller trop tôt. Avec le rythme des derniers jours, ils avaient besoin de repos. Surtout Jeanne. Néanmoins, leur absence nous embêtait fortement. La Pucelle avait l'habitude de délivrer des messages d'encouragement à nos soldats. Qui le ferait aujourd'hui ?

  Quelques instants plus tard, nous arrivâmes au conseil de guerre. Nos chefs étaient penchés sur une carte de Patay et de ses alentours. Nous nous fîmes une petite place pour pouvoir suivre la conversation. Toutes les zones du Sud et une partie des zones de l'Ouest avaient été rayées. Il ne nous restait plus que le Nord et l'Est à inspecter. La Hire envoya alors Ikaël en éclaireur avec d'autres hommes. Comme Gryf et Shimy avaient souhaité rester à part de cet assaut, Xaintrailles proposa deux de ses hommes. Tout le monde accepta. Le temps ne jouait guère en notre faveur. Plus nous aurions d'espions, mieux ce serait pour la bataille qui se profilait. Nous répartîmes nos hommes dans les zones non défrichées avant de les voir partir accomplir leur mission. Le conseil se poursuivit sur les garnisons de Richemont et d'Ambroise de Loré. Tous deux arrivés les derniers, nous ignorions les effectifs et la renommée de leurs hommes. Nous commençâmes par le connétable de France. Il nous apprit qu'il était venu avec une garnison de cinq cent cinquante hommes, dont cinquante chevaliers. Certains d'entre eux s'étaient distingués, comme les frères Bakara et Baraka ou comme le très discret, Roccia. En route, il avait croisé la route de grands capitaines, comme Asgaroth, Halcyon, Kash-Kash, Larbosa et Kinder. À l'entente du dernier nom, je vis Ténébris se raidir. Elle me jeta un coup d'œil discret mais rempli d'inquiétude. Je ne pouvais que partager son angoisse. Savoir son beau-père ici était de mauvaise augure. Bannies d'Orchidia, les retrouvailles des deux anciennes dames avec lui allaient être glaciales. Et s'il me revoyait, il m'accuserait d'avoir été un mauvais garde pour sa fille. Il fallait à tout prix éviter une rencontre. Autant pour les deux orchidiennes, cela devrait le faire. Mais pour ce qui était de mon cas... Certes, il n'avait vu que mes yeux. Mais un colosse comme moi marquait. Si nos commandants étaient heureux de ses arrivées, nous restions méfiants sur la suite des informations. Et nous avions bien raison ! Peu de temps après, Ambroise de Loré fit son rapport sur sa garnison. À peu près similaire au niveau des chiffres, il nous apprit qu'il était tombé sur le capitaine de Baudricourt, Halan, Cylbar et Kasino ! Comme si le père ne suffisait pas, il fallait le fiancé, l'oncle et le cousin ! Sous le coup du choc, Ténébris recula d'un pas et prétexta une envie de se mouvoir un peu. Nos commandants n'y virent que du feu et Ambroise termina la liste de ses capitaines : Dagneau, que Xaintrailles était content de voir, Artémus, Alghar, Shaki et Michi-Gan. Malgré le malaise qui s'emparait de moi, je tentai de me concentrer sur la suite du conseil. La renommée de tous ces capitaines était petite mais importante dans ce genre d'occasion. Nous arrivions à un nombre égal à mille fantassins. Jean de Brosse proposa de sélectionner encore quatre cents hommes. Il restait lucide : nos troupes étaient exténuées par la campagne que nous avions effectuée. Il souhaitait donc trouver quatre cents volontaires suffisamment en forme parmi nos six mille hommes. L'idée fut approuver par tout le monde. Pour ce qui était des chevaliers, nous arrivions à cent dix. La Hire suggéra d'ajouter trente cavaliers de plus, toujours sur la base du volontariat. Ce fut accepté par tous. Enfin, nous décidâmes de nous rendre dans un petit village au nord de Patay, avec notre armée. C'était à cet endroit que nous avions donné rendez-vous à nos éclaireurs.

En chemin, Ténébris et moi nous étions mis en retrait par rapport aux autres. Nous échangions sur nos craintes sur les nouvelles recrues. Nous devions bien nous y attendre : le miracle de la légendaire équipe poussait les gens à participer au nettoyage de la région d'Orléans. Et ce serait pire pour la marche vers Reims... Néanmoins, nous espérions ne jamais croiser les Orchidiens...
-Il nous faut les fuir à tout prix, murmurai-je. N'avoir aucun contact avec eux.
-Pour nous, approuva ma Téné. Nos autres compagnons le pourront mais nous les mettrons au courant de la situation. Mais pour aujourd'hui... pour Bertrand ?
-Les Orchidiens sont avec nous, pas de quoi s'en faire ! Il faudra juste le mettre au courant le plus tôt possible.
Elle hocha gravement la tête. À présent, nous devions redoubler de prudence, encore plus qu'à accoutumée.
  Dans le village depuis quelques heures, mon amour et moi tentions de tromper l'attente. Cette bataille allait être terrible. Face à Fastolf, Talbot et Scales, nous priions pour que Patay ne devînt pas le cimetière d'Azincourt. Les éclaireurs revenaient souvent bredouille. Soudain, Ikaël et ses coureurs firent irruption devant nous :
-Les Anglais ont révélé leur emplacement à cause d'un cerf ! L'animal passait devant nous pour s'enfoncer dans les bois. Les archers ont alors poussé des cris de chasse.
L'attitude pressante de La Hire fit comprendre à son second qu'il n'en avait rien à faire du cerf. Tout ce qu'il voulait connaître était la localisation de nos ennemis.
-Je vous demande pardon pour mon égarement. Ils sont sur la vieille route romaine, pas loin d'ici, et ne sont pas du tout en formation de combat !
Et ni une ni deux, nos commandants ordonnèrent la levée du convoi vers l'endroit indiqué. C'était maintenant ou jamais ! Il fallait profiter du désordre anglais pour nous débarrasser des archers d'élite ! Il était près de quatorze heures.

L'appel de JeanneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant