Chapitre 51

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  Alors que nous arrivions aux portes de Beaugency après deux heures de route, Jean d'Orléans réunit dans l'urgence tous les chefs et nos deux seconds. Il avait reçu une dépêche qui le préoccupait beaucoup. C'était donc à la lueur des étoiles que nous dûmes faire un conseil de guerre avant la bataille du lendemain.
Le chef d'Orléans commença par nous féliciter pour la prise de Meung-sur-Loire. Les pertes avaient été minimes et le remplissaient de fierté. Il ne s'attarda pas ; il fallait rentrer très vite dans le vif du sujet. Il se mit à lire le billet qu'il avait reçu. Arthur de Richemont souhaitait se joindre à l'armée royale pour les deux dernières batailles.
-Attendez, intervins-je de manière à pouvoir informer mes compagnons sur l'identité de Richemont, on parle bien du frère du duc de Bretagne, Jean V, qui nous a lâchement abandonnés pour la Couronne du roi d'Angleterre ?
-Il était captif Bertrand, rectifia Ténébris, mais nous ne pouvons pas nier son engagement auprès des Bourguignons et de ses agressions contre les favoris de notre honorable Dauphin.
-Nous parlons bien de cette personne, nous confirma La Hire, tombée en disgrâce devant Charles VII et écartée de toute décision politique.
Agacé par ces interventions qui lui semblaient futiles, le bâtard reprit sèchement la parole et poursuivit la lecture de sa dépêche. Richemont avoua qu'il avait eu l'envie d'intervenir lors du siège d'Orléans mais qu'il avait appris très récemment sa levée. Néanmoins, malgré l'interdiction formelle qu'il avait eu, il voulait participer à la sécurisation de la Loire. À ce jour, il était très proche de Beaugency. Il pouvait nous rejoindre dès le lendemain au soir. Cette demande souleva alors des tensions au sein du groupe. La majorité d'entre nous souhaitait respecter le bon vouloir de notre Dauphin. Les trahisons envers le parti des Armagnacs restaient marquées au fer rouge dans les esprits de chacun. Mes compagnons soutinrent ce refus. Le simple fait de savoir qu'il pouvait se retourner contre nous ne les enchantait guère. Malgré tout, une petite minorité pointait les aspects positifs de son arrivée. Richemont était connétable de France. C'était le chef des armées de la Couronne de France et un intermédiaire entre les Armagnacs et les Bourguignons. On ne pouvait pas rejeter l'aide d'un si grand stratège. Devant ces nouveaux éléments, mes compagnons se retrouvèrent hésitants. Je proposai alors de faire un tableau sur les bénéfiques et les inconvénients de sa venue. Peu à peu, nous nous rendîmes compte que, malgré le nombre d'arguments contre son arrivée, les arguments en faveur avaient un poids bien plus importants. Finalement, nous nous résolûmes à accepter son intervention. Cependant, nous comptions le surveiller de près. Au moindre geste douteux, nous le renverrions en Bretagne !

Alors que les premiers rayons de soleil filtraient sur la journée du 16 juin de l'an grâce 1429, Jeanne hurlait son cri de guerre. Une bataille acharnée pour entrer et s'emparer du donjon commença. À l'intérieur du château, lui-même au centre de la cité, nos premiers efforts furent tournés de manière à entrer dans la cité. Les Anglais tentaient de nous barrer la route. Des flèches et des carreaux ennemis sifflaient dans l'air tandis que nos boulets de pierre se fracassaient contre les remparts du bourg. Puis les portes s'écroulèrent sous le poids de nos bombardements. Une faille avait été créée ! Dès lors, nous pûmes entrer dans Beaugency alors que nos ennemis se repliaient vers la demeure seigneuriale. Très rapidement, nous bombardâmes le château, au grand désarroi de Jean d'Orléans. Nous étions en train de démolir un bâtiment qu'il chérissait beaucoup ! Il s'affolait à l'idée du coût des réparations. Cela nous amusa grandement. Malgré notre inactivité, nous étions en plein bombardement. Le chef d'Orléans, quant à lui, ne pensait qu'aux réparations de sa forteresse ! Il nous supplia alors de ne pas le réduire en cendre. Qu'allait-il dire à son demi-frère, Charles d'Orléans, lorsque l'on aurait payé sa rançon ? Ténébris, quant à elle, ne supporta pas ses jérémiades et décida de s'éloigner du château avec Ikaël pour recueillir des informations.
La nuit tomba peu à peu. Malgré les prières du bâtard, les ravages sur son château étaient terribles mais insuffisantes. À son grand dam, il comprit que sa demeure serait certainement réduite à l'état de poussière. Alors que nous réfléchissions à un moyen de rentrer dedans en limitant au maximum la casse, une voix nous tira de nos réflexions. Nous relevâmes la tête pour voir un homme au visage fermé. Derrière lui se trouvait une garnison. Je compris alors que Richemont était arrivé.
-Bonjour Richemont, le salua Jean de Brosse assez froidement.
-Bonjour, lui répondit-il aussi sèchement.
Un silence oppressant envahit l'atmosphère. Personne n'osait dire mot. Tous le défiait du regard. Tous était assez hostile à sa présence. Finalement, Jeanne rompit ce silence pour lui expliquer les manœuvres de la journée commandées par La Hire et Xaintrailles et les différentes stratégies pour le lendemain. Elle lui demanda s'il avait des remarques à faire ou des requêtes particulières. Celui-ci ne put lui répondre que Ténébris arriva en trouble, Ikaël sur ses talons, et nous annonça :
-Une force de secours dirigée par John Fastolf arrive de Paris sur les zones stratégiques de la Loire ! Nous devons passer par la négociation sinon, nous serons perdus !
Un élan de panique nous envahit. Personne ne pensait devoir passer par là pour bouter nos ennemis hors de Beaugency ! Pourtant, la gravité des informations montrait que cette solution était la plus sage de toutes. Au-delà du mécontentement de Jean d'Orléans, attaquer la forteresse reviendrait à épuiser nos munitions nécessaires pour Patay. De plus, nous serions pris au piège si nous nous entêtions. Il fut donc décidé que ma demi-sœur mènerait les négociations dès le lendemain, dans la matinée.
Dans une atmosphère plus détendue, nous commençâmes alors à réfléchir à notre dernière bataille. Patay était l'endroit où s'était réfugié tous les Anglais que nous avions bouté. Nous étions lucide : si les Anglais réorganisaient à temps leurs rangs, nous ne pourrions les battre. Leur stratégie nous avait fait défaut depuis le début de la guerre ; il nous paraissait évident de faire des missions de reconnaissance pour pouvoir les intercepter plus facilement. Nous décidâmes de solliciter une dizaine d'espions pour cette mission prochaine, dont Gryf, Razzia, Shimy et Ikaël. Ce fut sur ce dernier point que nous conclûmes ce conseil de guerre.

L'appel de JeanneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant