Les feuilles d'automne virevoltaient dans l'air. Leurs couleurs enflammées dansaient dans les yeux des bourgeois. Ce beau spectacle annonçait l'hiver, la saison crainte de tous les habitants de Chinon. La saison de la désolation. Pourtant, tout le monde préférait suivre le parcours de ces feuilles. En ce début de mois de novembre de l'an de grâce 1428, le bourg avait le temps de s'armer pour affronter le gel de décembre. Courant au rythme du vent, les feuilles volaient en direction d'un somptueux château, comme pour le réchauffer à l'aide de leurs couleurs écarlates.
Pourtant, un rude hiver s'était installé entre ces quatre murs. Le vide régnait en maître. Il y avait pourtant bien une émanation de beauté, de magnificence. Mais la chaleur de la forteresse s'était évadée. Les chaleureux rayons de soleil de l'automne peinaient à percer les vitraux de la demeure. Les chandeliers restaient dénudés de lumière et de chaleur. Le manque d'une douce lueur d'une flamme plongeait le château au cœur d'un hiver sans fin et d'une désolation silencieuse. Seul un vent glacial trompait son mutisme et se promenait entre les meubles et les murs finement ouvragés, signe d'une vie perdue dans les abîmes du danger. Un seul cri, et ce fut toute l'ambiance de la demeure qui s'en trouva troublée.Marchant d'un pas rapide, un jeune homme richement paré poussa les grands battants de la grande salle de réception. À ses trousses, une femme le suivait, inquiète de l'état de son fils de prédilection. La réunion dans cette immense salle avait tourné au cauchemar. Dans un premier temps menée dans le but d'apporter une amélioration, cela n'avait qu'empiré la situation. À présent, la situation était plus critique que jamais.
-Charles ! hurla la noble alors qu'elle tentait de le rattraper. Charles, arrêtez-vous immédiatement !
Le dénommé Charles jeta un bref coup d'œil vers sa mère de substitution sans ralentir le pas. Il le savait. Il savait qu'elle allait le poursuivre. Cette femme avait toujours eu un fort caractère et une audace sans précédent. Cette femme qui inspirait la crainte et le respect à toute la cour du dauphin. Cette femme du nom de Yolande d'Aragon.
-Est-ce vraiment un comportement digne d'un futur souverain que vous avez eu ? Est-ce un comportement légitime du futur roi Charles VII ? Vous avez cruellement manqué de sang-froid tout à l'heure !
Sans prêter beaucoup d'attention à ses paroles, le dauphin poussa une nouvelle porte et se dirigea vers une armoire finement taillée, dans un coin à gauche de la pièce. Déverrouillant le cadenas, il attrapa une carte et la déposa sur la longue table rectangulaire centrale. Alors qu'il allait prendre une plume, Yolande fut plus vive et s'en saisit pour la briser en deux :
-Vous allez m'écouter une bonne fois pour toutes jeune roi !
-Mais de quel roi parlez-vous Madame ?? explosa ce dernier à bout de nerf. Le traité de Troyes m'a déshérité au profit de ma sœur, Catherine de Valois, et de son fils âgé de six ans ! Je ne suis plus dauphin, je n'ai plus aucun titre !
-Ce traité ne prouve en rien votre usurpation à la Couronne du royaume de France. Vous l'avez dit vous-même, le petit Henry n'est pas apte à se faire couronner. De plus, vous négligez votre importance au sein du parti Armagnac.
Un rire sinistre s'éleva dans la pièce. Mille fois il avait entendu ces paroles. Et une fois encore, il n'y croyait pas. Ce traité de l'an de grâce 1420 avait été une profonde blessure pour le déchu. Il avait été signé par sa mère en personne, Isabeau de Bavière. Alors, si sa propre mère l'avait écarté du trône, comment Yolande d'Aragon pourrait-elle le convaincre de sa légitimité ? Le seul moyen de le prouver serait un couronnement à Reims. Et évidemment, le bourg était cerné par les Anglais ! Ces ennemis qui avaient foulé le sol français et semaient la terreur depuis près d'un siècle. Peu à peu, ils avaient gagné du terrain, ne laissant que la moitié des terres au dauphin. De jour en jour, le parti des Armagnacs se réduisait, aussi rapidement que la fidélité au jeune Charles. Ses sujets croyaient davantage en les Bourguignons, alliés aux Anglais.
Mais devait-il lui rappeler une nouvelle fois cette terrible situation ? Devait-il ajouter les tensions qui se multipliaient, à commencer à sa cour ? Non, elle ne la connaissait que trop bien. Cependant, sa foi restait inébranlable. Elle pensait sincèrement au basculement du conflit en leur faveur. Pourtant, le déchu n'y croyait plus. Pour lui, il ne restait qu'une seule option : la fuite vers la péninsule Ibérique.Sans réfléchir davantage, il plongea son index droit dans l'encrier et traça une croix au niveau du bourg de Chinon. Puis, il observa la péninsule. Cinq royaumes se présentaient à lui : le Portugal, la Castille, le Narval, la Grenade et l'Aragon. Sans hésitation, il fit une nouvelle croix au niveau de l'Aragon, à l'Est et frontalier avec son royaume, pays natal de Yolande. Il en était certain : il trouverait l'asile auprès du souverain Alphonse V.
-Il est hors de question de vous voir demander l'asile dans mon royaume, petit roi des Bourges !
En entendant ses paroles, le jeune dauphin se figea. « Roi des Bourges », voilà le surnom méprisant, donné suite à sa fuite de Paris vers ce bourg, qu'il détestait tant. Courroucé par cette appellation, il se retourna vers Yolande et la fusilla du regard :
-Vous aussi ? Vous aussi vous ne me voyez que par le « petit roi des Bourges » ??
-Je vous verrais comme tel si vous optez pour l'option de facilité : la fuite ! Je ne vous ai pas élevé, nourri et chéri pour que vous abandonniez si vite ! Vous devez reconquérir votre royaume, tel est votre destin. Avec l'aide de l'équipe de la prophétie.
Un soupir sortit de sa bouche alors qu'il se rendait compte de la véracité de ses mots. Sans la dame d'Aragon, il aurait été empoisonné comme ses frères, serait devenu fou comme son père ou anglais comme sa sœur. Pourtant, la situation était terrible. Depuis juillet de cette année, de nombreux bourgs avaient été pris entre Paris et Orléans : Angerville, Toury ou encore Patay. De plus, Orléans, la porte vers les terres du futur Charles VII, était assiégé. Si ses ennemis réussissaient à s'emparer de ce bourg, la victoire de l'Angleterre serait sans appel. Le royaume de France serait perdu. Et il ne savait comment lui venir en aide...
Dans ce tableau si glacial, une seule lueur d'espoir demeurait : la prophétie de Merlin. « Une jeune fille vierge des marches de Lorraine sera envoyée sur place. Accompagnée par six justiciers de tous les horizons et incarnant les plus belles valeurs, ils rétabliraient toute chose. Initiés à toutes les connaissances, c'est de leur seul souffle qu'ils se dresseront et assècheront les sources nuisibles. Et que de même que le royaume avait été perdu par une femme, il serait rétabli par une fille. » Bien qu'il n'y croyait guère, il devait admettre qu'elle était la fleur ensevelie sous la neige. Le seul bourgeon, le seul rayon de soleil qui réchauffait cette atmosphère gelée. Et comme Yolande d'Aragon, il n'avait plus rien à perdre à espérer à un miracle, à l'ouverture de ses pétales enneigées._______
Voici donc le prologue de mon histoire : « L'appel de Jeanne ». Cette partie a été rédigé 2 ans après le début de sa publication, en octobre 2016. Elle n'a connu aucune modification depuis le début de sa rédaction. La qualité des premiers chapitres en pâtit donc par rapport au prologue, par les anachronismes ou les incohérences. Mais dès que possible, je me lance dans une grande réécriture !
En espérant que ce prologue vous ait plu et que vous oserez continuer cette histoire !
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L'appel de Jeanne
De Todo« Depuis quelques temps, notre armée connaît des défaites cuisantes. Nous avons tous subi les conséquences de cet affreux conflit. Des batailles intérieures vivront sûrement à jamais dans nos âmes. Mais nous devons les utiliser pour en faire des com...