Chapitre 54

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  21 juin de l'an de grâce 1429.  Aux frontières de Sully-sur-Loire, nous réfléchissions à un moyen de persuader notre honorable Dauphin de se faire couronner à Reims. La discussion de la veille n'avait pas suffisante. Nous devions avoir une réponse positive. C'était pourquoi, depuis ce matin, nous le cherchions partout. Les nobles refusaient de nous donner quelque information qui soit. Les bourgeois n'avaient pas la moindre idée de l'endroit où l'on pouvait le trouver. Vers treize heures, fatigués par nos recherches vaines, nous décidâmes de rentrer au campement. S'il était parti dans un autre bourg, il ne servait à rien de poursuivre notre quête. Il y avait bien trop de cités à inspecter.
  Alors que Razzia préparait le repas, j'en profitai pour nettoyer mes armes à la rivière. J'entendis quelqu'un se rapprocher de moi. En tournant ma tête vers l'inconnu, mon sang se glaça. Devant moi se trouvait Halan, mon fiancé ! Ténébris m'avait bien prévenue que notre entourage était venu pour Patay. Pourtant, je ne pensais pas croiser l'un d'entre eux. Pourvu qu'il ne m'adressât pas la parole ; il n'était pas question  de prendre le risque d'être découverte.
-Vous aussi vous étiez à Patay ? me demanda-t-il.
Évidemment, il fallait qu'il m'adressât la parole ! La tension montait, je le sentais bien. Mais je ne devais pas me laisser perturber, sous peine de paraître trop suspecte. Alors, d'une voix rauque, je lui répondis que j'y avais bien été présente. Néanmoins, la fatigue des batailles précédentes m'avait poussée à rester en retrait. Halan hocha doucement la tête. Suite à sa demande, je lui appris également que j'étais présente depuis le siège d'Orléans. En entendant le nom de ce bourg, ses yeux s'illuminèrent. Et il me bombarda de questions sur La Pucelle ! Interdite devant la tournure des évènements, il me fut difficile de répondre. Je ne voulais pas qu'il sût que je faisais partie de la légendaire équipe. Je dus me souvenir de ce que disaient nos hommes sur Jeanne. Et sans réfléchir davantage, je transposai leurs dires. Néanmoins, je les pensais tout autant qu'eux. Mon amie avait un immense courage et une carrure sans nom. Elle était imposante et savait faire renaître les espoirs les plus meurtris. Elle était grande source d'inspiration. Et surtout, c'était la foi incarnée. Halan me sourit. Il souhaitait vraiment pouvoir la rencontrer un jour. Mon visage se crispa. Il était hors de question de le voir près de notre campement ! Dans un mouvement de panique, je me levai brusquement et partis. La présence des Orchidiens et de mon fiancé allait se rendre plus difficile à gérer que ce que je pensais.

  À peine arrivée au campement, Gryf se précipita sur moi et m'attrapa le bras. Sans comprendre, je le suivis jusqu'à ma monture où il m'ordonna de monter dessus. Sous mon air médusé, le jeune garçon finit par m'expliquer qu'une vision de Jeanne avait révélé l'emplacement de notre Dauphin. Sainte Marguerite lui avait demandé de se rendre dans l'abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire, au plus tard à seize heures. Comme nous allions manger en route, Razzia et Ténébris estimaient le temps de trajet de deux heures et demi. C'était tout juste pour arriver à l'heure demandée ! Dès lors que je compris l'urgence de la situation, j'enfourchai mon cheval, récupérai le déjeuner que me tendait Gryf, le rangeai dans ma sacoche et rejoignis le reste de notre équipe. Il n'y avait plus une minute à perdre !
  Plus nous voyions l'heure tourner, plus nous faisions accélérer le pas à nos montures. Manger nos repas durant la première demi-heure nous avait fait perdre beaucoup de temps. À présent, nous faisions galoper nos chevaux à vive allure pour rattraper le temps perdu. Razzia ne cessait de nous presser en nous rappelant le nombre de lieues à parcourir. Même si le périmètre avait été sécurisé, les routes que nous empruntions restaient incertaines : les Anglais avait mis une belle pagaille durant leur fuite.
  Finalement, nous arrivâmes tout juste devant l'abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire. Jeanne sauta de son cheval pour se précipiter à l'intérieur. Nous ne la suivîmes pas ; ses voix nous l'avaient interdit. Elles pensaient que cette rencontre devait avoir autant d'impact que le jour de leur rencontre. Alors nous attachâmes les destriers à un arbre et nous nous assîmes près des parois extérieures de l'abbaye. Le bourg semblait vide ce jour-ci.
-L'arrivée des Orchidiens va finir par nous porter préjudice, marmonnai-je au groupe. Halan est déjà venu me parler...
Ma demi-sœur se retourna vers moi, les yeux remplis par la stupéfaction :
-Rassure-nous, il ne t'a pas reconnue ?
-Oh non, bien heureusement ! Mais pour combien de temps ? Et si ce n'est pas lui, cela pourrait être un autre membre de la famille...
Un silence pesant s'installa. Cette histoire nous préoccupait tous. Et personne ne savait comment gérer cette situation. Nous ne pouvions pas les fuir indéfiniment. Tôt ou tard, ils se dirigeraient vers la légendaire équipe, notamment La Pucelle, pour mieux nous connaître et pour leur redonner foi en l'avenir. Après un long moment de réflexion, Danael brisa le silence et nous proposa un face-à-face. Pour lui, les fuir ne mènerait à rien ; nous risquions juste d'être bien plus suspects. Néanmoins, si les vêtements ne posaient guère de problème, Ténébris et moi devions apprendre à muter notre voix. Surtout moi. L'ancienne Orchidienne n'avait pas revu nos parents depuis près de six ans ; elle n'avait plus rien à voir avec la jeune dame qui avait été envoyée au couvent. Quant à moi, il s'était à peine écoulé six mois depuis mon bannissement ! Shimy trouva l'idée de Dan absurde. Si elle était d'accord pour dire que la légendaire équipe ne devait pas se cacher d'eux, elle était opposée à me forcer à discuter avec mes parents si l'occasion se présentait. Pour elle, il fallait mieux que je me retirasse dans notre tente quand un membre de ma famille viendrait à nous. L'idée fut adoptée ; c'était la décision la plus censée à prendre.

L'appel de JeanneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant