Chapitre 26

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Devant un étendard blanc, Jeanne réfléchissait sérieusement. Imaginant les motifs de sa bannière, elle traçait des formes au crayon et gommait quand cela ne lui convenait pas. Cela faisait depuis quelques jours que nous avions franchi les portes de Tours. Et quelques jours que la Pucelle avait reçu l'accord du Dauphin pour se faire son propre étendard. Au tout début, elle avait eu du mal à nous l'avouer. Elle pensait que cela faisait bien trop. Puis, approuvant son idée, nous l'avions soutenue dans son projet ; et ce fut avec une immense surprise qu'elle eut l'accord de notre Charles dans les plus brefs délais. Si cela pouvait l'aider, avait-il ajouté, cela ne le gênait pas. Le futur roi de France avait donc fait appel au peintre Poulnoir à l'armurerie. Pensant qu'il aurait le droit à un moment intime avec l'élue, l'artiste avait été désappointé de nous avoir avec lui. Et, à présent, il attendait patiemment sur une chaise.
-Pourquoi pas mettre la Fleur de Lys dessus ? suggéra Danael. Elle symboliserait notre glorieux royaume !
Notre amie dessina ce fameux symbole sur le côté. C'était de cette façon qu'elle prenait des notes. Aussi étrange que cela pouvait paraître, cela fonctionnait merveilleusement bien.
-Une épée ? proposa Razzia.
-Une armure ? renchérit Ténébris.
-Une devise ? enchaîna Gryf.
-Vous permettez que je note ?! s'énerva celle-ci en se retournant. C'est long que de dessiner vos idées !
Et d'un regard furieux, elle reprit ses dessins. Nous nous consultâmes du regard avant d'éclater de rire. Il était vrai que sa technique était plus longue à réaliser que d'écrire trois petits mots. Mais elle aurait mieux fait d'accepter que j'eusse écrit à sa place. Cela nous aurait fait gagner du temps. Je me penchai sur le drap blanc pour voir ses notes. Une croix, un guerrier, un arc avec sa flèche,  les saints qu'elle avait entendu, une fleur de lys, une armure avec son épée et un gribouillis représentant des mots y étaient inscrits. Sur la partie de ses essais était tracé une croix, symbole de l'Église où dessus était gribouillé ce qu'il voulait signifier des mots.
-Il faudrait que ce soit plus universel tout en parlant de toi, commentai-je. Quelque chose où chaque homme du peuple français pourrait s'identifier.
La jeune femme hocha la tête et enleva la croix d'église par respect pour Gryf. Un immense sourire se dessina sur mes lèvres. Malgré le fait qu'elle fût très croyante, elle n'en demeurait pas moins très tolérante. Ce n'était pas étonnant de voir une croix dessinée par une femme aussi pieuse. Mais oser la retirer était très généreux de sa part. Cela ne m'étonnerait guère qu'elle l'eût remplacée par ses voix : c'était quelque chose proche de l'Église et qui lui ressemblait.
  Barrant quelques éléments, il ne lui restait plus que le dessin des saints, sa fleur de lys, l'épée et son gribouillis. Le reste n'avait pas été jugé assez personnel ou universel.
-Vous avez aussi le revers à faire, informa le peintre qui attendait désespérément son choix.
Poulnoir semblait exaspéré par le temps qu'il fallait à la Pucelle pour choisir les motifs de son étendard. Un air qui me déplut fortement pouvait se lire sur son visage. Un air qui voulait dire que les dames étaient trop lentes. Bien qu'il ignorait que j'en étais une, je répondis par un regard glacial. De son côté, Jeanne se vengea en jouant avec ce stéréotype. Un joyeux sourire se dessina sur le visage de notre amie ; comme si elle venait de faire une grande découverte. Un petit sourire narquois se dessina aussi sur mes lèvres. Jeanne allait jouer la sotte. Et cela promettait d'être bien amusant.

  Une heure plus tard, le peintre était presque à deux doigts de se jeter par dessus une fenêtre. Il en avait tellement assez de ne rien faire ! Au lieu de pouvoir travailler sur l'un de ses « chefs-d'œuvres », il devait patienter gentiment sur sa chaise ! Sans compter le fait que tout le monde s'était pris au jeu. Nous faisions semblant de nous quereller sur cet étendard ; alors qu'en vérité, nous acceptions toutes les bannières qu'elle pouvait nous faire. Personne ne prenait le temps de lui adresser la parole pour l'occuper. Et nous n'avions seulement fini que le verso par dessus le marché ! 
   Admirant chacun le croquis de la bannière, nous avions décidé que, sur la partie droite, il y aurait un blason bleu entouré par deux anges aux ailes blanches et rouges. Ils représentaient bien plus que de simples anges du Ciel. Ils représentaient les gardiens de la paix et du bonheur. Un besoin ressenti de façon universelle. Le blason comporterait deux fleurs de lys doré à ses extrémités où une épée y serait centrée. Nous hésitions à mettre une couronne dessus. Après tout, le futur roi n'avait toujours pas été sacré. Le reste de l'étendard serait rempli de fleurs de lys sur un fond blanc.
  Toute souriante, Jeanne annonça la « bonne » nouvelle à Poulnoir :
-Vous pouvez faire le verso de mon étendard !
-Faites-moi les deux côtés, répliqua-t-il sèchement. Faites tout en même temps ! Je ne veux plus vous revoir pour un projet artistique après cette fichue bannière !
La guerrière réprimanda difficilement un fou-rire à la réaction du peintre. Le pauvre, nous lui en faisions voir de toutes les couleurs ! Il n'aurait pas dû nous juger silencieusement. Cependant, je ne cachais pas que j'aurais certainement perdu patience à sa place. Peut-être était-ce dû au Dauphin ? En personne, il lui avait confié une mission de la plus haute importance qu'il devait exécuté. Il en avait bien du courage tout de même : il allait encore rester une heure avec nous !
Hormis les fleurs qui allaient jouer le même rôle sur l'étendard, nous optâmes pour de nouveaux motifs. Retirant l'épée, il ne restait plus que les saints et son gribouillis. Dans ses yeux, il était évident qu'elle allait les demander. Après tout, c'était grâce à eux qu'elle était ici aujourd'hui ! À l'extrémité gauche, juste en face du blason et des anges, Jeanne dessina trois formes représentant respectivement les deux saintes encadrant l'Archange. Celle de gauche porterait un bouquet dans la main tandis que celle de droite une épée. Il ne restait plus que la devise.
Si elle avait fait des efforts pour éviter d'évoquer l'Église, nous fûmes tout de même d'accord pour qu'elle ait un peu de place : l'écrasante majorité du pays étant catholique. Rapidement, elle trouva sa devise et me le fit noter : « Jesus Maria ». Pas vraiment étonnant si ce n'était qu'elle avait aussi fait ce choix parce que c'était également la devise des ordres mendiants. Jusqu'au bout, elle sera restée fidèle à cette notion d'université que je lui avais apporté. Et après une deuxième heure, nous laissâmes Poulnoir qui souhaitait sincèrement commencer son œuvre.

L'appel de JeanneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant