Chapitre 11

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Les lueurs de l'aube me réveillèrent doucement. Allongée sur l'herbe, une couverture sur moi, je me frottai les yeux avant de les ouvrir. Je pus constater que nous nous trouvions dans une clairière. Seule une charrette avait été installée à la frontière avec la forêt. Je compris alors qu'il n'y avait que nous. Je m'assis et observai autour de moi. Jeanne et Danael était déjà en train de rassembler toutes les affaires. Je dérivai mon regard en direction des braises rouges qui restaient du feu. Par la fatigué par ces derniers jours bien agités, Razzia dormait encore. Je retirai la couverture avant d'aller le réveiller. Avec douceur, je le secouais. Il grogna et ouvrit ses paupières. Aveuglé par cette intensité soudaine de lumière, il plaça son bras droit devant sa figure. Je ne pus m'empêcher de sourire et de me mettre au dessus lui.
- Dame Jadina ? murmura-t-il d'une voix encore bien endormi.
- Razzia, s'il vous plaît, cessez avec « dame », « ma damoiselle » ou encore « ma dame ». Nous allons sûrement passer le restant de nos jours ensemble. Cela deviendra vraiment lourd. Faites comme les autres ! Et pendant que j'y suis, arrêtons ce vouvoiement.
Mon garde me regarda avec de tels yeux ronds que je crus qu'ils allaient sortir de leur orbite ! Il ouvrit la bouche avant de la fermer. Hésitant comme un jeune enfant, il n'osait pas parler. Il devait encore être sous le choc de la nouvelle.

  Je me souvenais très bien de la réaction de Danael et Jeanne quand je lui avais la même chose. C'était une année après notre rencontre. L'appréciant de plus en plus, je ne voulais pas me sentir supérieur par rapport à mon chevalier. Sachant que sa principale qualité était la noblesse, il était très ému par ma demande. Comme mon garde, il n'avait pas osé dire un seul mot. À ma plus grande surprise, il avait posé un genou à terre et avait bafouillé qu'il ne méritait pas cet honneur. Ne comprenant pas son refus, j'avais insisté. Tout rouge, il n'osait même pas me regarder dans les yeux ! J'eus longuement soupiré avant de lui faire relever sa tête, le forçant à avoir un contact visuel avec moi. Je ne savais pas ce qu'il se passait dans sa tête mais il paraissait bouleversé. Le sourire aux lèvres, je lui avais donc dit ce que je pensais vraiment de lui et la raison de ce « privilège ». M'étant légèrement reculée, je l'avais vu se prosterner comme on le fait devant note honorable Dauphin. Un certain malaise s'était emparé de moi. Je ne souhaitais absolument pas avoir ce genre de choses ! Ne sachant plus quoi faire, j'étais pétrifiée. C'était à ce moment-là que Jeanne avait décidé de faire son apparition ! Toute tremblante, je m'étais retournée vers elle. D'un air interrogateur, elle regardait la scène qui se déroulait sous ses yeux ahuris. D'une voix mal assurée, je lui avais expliquée que je ne voulais plus de vouvoiement de sa part. J'eus aussi omis le fait que je voulais qu'elle cesse aussi toutes ces exigences dues à mon rang. Passant de l'incompréhension à la surprise totale, elle était figée sur place. J'avais bien l'air maligne avec mes deux amis. Ce fut finalement la jeune femme qui avait réagi la première. Me souriant d'une grande reconnaissance, elle s'agenouilla devant moi en me disant que c'était un grand honneur avant de se relever. Toujours aussi souriante, elle était allée « réveiller » Danael qui était toujours sous le choc. Il avait fallu des semaines pour qu'il s'y fusse habitué et qu'il n'eusse plus d'hésitation.

  Toujours en état de choc, Razzia finit par hocher la tête avant d'aider Dan à emballer les affaires. Avait-il vraiment compris ce que j'attendais de lui ? Je ne le pensais pas. Depuis qu'il était à mon service, il avait toujours été obéissant au doigt et à l'œil. Il avait toujours respecté toutes ces exigences. Hochant les épaules, je me dirigeai vers les chevaux pour les seller. Il était temps de lever le camps.
  Assise à côté de Dan et de Jeanne, j'observais la forêt. Mon garde était devant et guidait les cheveux. Je fus époustouflée par tant de couleurs. Ne m'aventurant qu'en nuit, je passais rapidement mon chemin sans me soucier de ce qui m'entourait. C'était comme si je découvrais un tout nouveau monde. Les odeurs des différents arbres, je les sentais avec beaucoup d'attention. Mon chevalier me sourit :
- Ce n'est pourtant pas la première fois que tu viens en forêt ?
- Non, répondis-je avec un petit rire, bien évidemment ! Mais je n'y avais jamais prêté une grande attention. Il faut dire que j'ai un peu peur des bêtes qui rôdent ici.
Il éclata de rire alors que Jeanne souriait malicieusement. Mais qu'est-ce que j'avais bien pu encore dire ? Tout de même ! On m'avait toujours appris à être très prudente. Des loups affamés pouvaient bien nous attaquer ! Je n'aimais vraiment pas ces animaux. Toujours en train de s'attaquer aux troupeaux ! Le Professeur Vangelis me contait tant d'horreur à leur égard étant toute petite ! Il disait qu'ils mangeaient les petites filles sans aucun scrupule. J'en étais terrorisée. Je me cachais toujours sous les duvets en tremblant de peur. Alors, quand je me rendais chez Danael, je me dépêchais. Les loups et les brigands me dissuadaient de flâner dans la forêt.
- J'imagine que tu as peur des loups ! s'exclama mon amie joyeusement. Tu sais, il ne faut pas en être terrifié. Après tout, grâce à des amis, je me rends compte qu'ils sont bien plus humains que nous.
Je me tournai vers elle en ouvrant grand les yeux, bouche bée par sa déclaration. Ces bêtes, plus humaines que les humains ?? Sérieusement, j'aimerais bien voir ça ! S'attaquer à nos récoltes, ce n'est pas ce que l'on peut appeler de l'humanisme.
- Oui, reprit-elle, c'est très dur de le croire. On sait qu'ils s'attaquent à tout ce qu'ils peuvent manger. Malheureusement, des enfants y passent. Mais quand c'est la famine, on veut manger, vivre ! Je pense qu'ils n'ont pas suffisamment pour se nourrir.
- Tu dis ça depuis que Shimy a fait connaissance avec un louveteau ! rectifia Dan.
- Shimy la fileuse ?? sautai-je sur mes deux amis prise de surprise. Elle a recueilli un louveteau ?? Est-elle au moins au courant du danger qu'il représente ?
- Jadina ! gloussa le jeune garçon. Bien-sûr qu'elle en était consciente ! Mais tu ne la connais qu'en tant que fileuse. L'amour qu'elle porte pour les animaux est telle qu'elle ne pouvait pas le laisser mourir. Il était seul Jadina, terriblement seul. Sans mère. Elle n'a pas pu s'empêcher de le recueillir. Au début terrifiés par cette bête, nous nous sommes peu à peu pris d'affection pour lui. Il a même un nom : Lion-Feu.
J'en étais sidérée. Un loup recueilli ? C'était bien la première fois que j'entendais ça ! Dire que nous tuons les chevaux malades. Elle devait être très proche de la nature. Je n'aurais jamais osé m'en approcher ! Pourtant, une certaine curiosité m'envahit. J'aimerais bien le connaître.
- Shimy a parfaitement raison ! intervint une voix venue du feuillage des arbres. Les animaux sont bien plus humains que nous ! Il n'y a qu'à voir les massacres pour comprendre qui est le véritable monstre.
Danael poussa un long soupir avant de se lever et d'hurler :
- Gryf ! Tu es épuisant ! Arrête tes manigances et montre-toi ! Tu deviens de plus en plus impoli !
Jeanne donna un grand coup de coude dans le ventre du garçon ; ce qui lui coupa le souffle. Mais qu'est-ce qu'il lui avait bien pris ? On ne donne pas de coups ainsi ! Choquée par son geste, je l'interrogeai du regard en aidant Danael à reprendre ses esprits. Ses yeux nous fusillèrent avant qu'ils ne se tournent vers la voix du fameux Gryf :
- Écoute, même si Dan dit très souvent des bêtises, il n'a pas totalement tort. Premièrement, tu pourrais venir nous dire bonjour. Et deuxièmement, tu as sauvé Jadina toi aussi. Tu t'es battu pour sa liberté. Alors je pense que tu devrais la saluer.
Je relevai la tête en observant de façon incrédule la jeune femme. Ses traits montraient une grande assurance. C'était impressionnant de voir la manière dont elle pouvait changer d'humeur en si peu de temps. Je dérivai mon regard sur le jeune garçon. Il hocha la tête pour affirmer ces propos. Interdite puis émue par son geste, je ne puis que bafouiller un petit merci. L'émotion était tellement forte ! Il avait risqué sa vie pour moi ! Qui étais-je pour lui ? Une inconnue. Et pourtant, il avait participé à mon sauvetage sans aucune arrière pensée ! Les yeux pleins de reconnaissance, je m'assis en observant les arbres.
- Écoute, répondit assez froidement leur ami caché, je fais ce que je veux. Je déteste l'injustice point ! Je ne comptais pas me présenter.
- Tu m'énerve Gryf !!! explosa Dan. Tu pourrais faire des efforts bon-sang !
Je sentais la colère bouillonner chez notre jeune chevalier. Sans plus attendre, il sauta de la charrette et commença à grimper le plus rapidement possible dans les branches des arbres en disant qu'il allait l'attraper par la peau des fesses. Un rire joyeux s'éleva dans les airs pendant qu'une silhouette se déplaçait agilement. Jeanne ne put s'empêcher d'éclater de rire à son tour. Pliée en deux, elle en avait les larmes aux yeux. Je la fis asseoir avant qu'un cri strident ne me parviennent aux oreilles. Cela ne fit que faire glousser mon amie d'avantage. Mon garde se retourna et nous observa de manière surpris. Je ne pus m'empêcher d'hocher les épaules avant qu'il ne se retourne en souriant malicieusement.

  Puis je me retournai vers la forêt. La première chose que je vis était Danael qui serrait intensément la branche d'un arbre. La peur pouvait se lire dans ses yeux.
- Dan ! s'exclama Jeanne entre deux fous rire. Aurais-tu oublié que tu avais le vertige ?
- Ce n'est vraiment pas drôle ! se défendit ce dernier en tremblotant. C'est tellement haut ! Viens s'il te plaît !
- Et on nous envoie ces boulets sur les lieux de batailles ! Bon, j'arrive !
Je la vis grimper telle un singe dans le feuillage. Comme à un jeune enfant terrifié, elle l'accompagna dans sa descente. Son souffle saccagé montrait le terrible vertige qu'il avait. Gentiment, elle le fit asseoir dans la charrette avant de repartir dans les arbres pour sûrement retrouver Gryf.
  Je pris mon ami dans les bras qui tentait vainement de se calmer. Je lui conseillai d'inspirer profondément et finit par se calmer.
- Gryf ! hurla-t-il. Tu me le payeras !
J'éclatai de rire avant de reprendre mon sérieux :
- Pourquoi se cache-t-il ?
- Pardon ??
- Pourquoi n'ose-t-il pas s'approcher de moi ?
- Eh bien, soupira mon ami, depuis très jeune, il a été victime de discrimination. Il est devenu très méfiant et n'ose plus s'approcher de quiconque.
- Je comprends. Après tout, cette société est tellement injuste.
J'entendis des bruits de bois à côté de moi. Nous nous retournâmes pour voir mon amie qui tenait un jeune garçon par les épaules. Il avait les cheveux roux et quelques tâches de rousseur sur son visage. Ses yeux reflétait le feu qui se trouvait en lui. Sans vraiment réfléchir, je me prosternai devant lui :
- Je vous remercie du plus profond de cœur.
Je me relevai et vis de la surprise et de l'incompréhension dans son regard. Il se tourna vers ses amis qui lui fit comprendre qu'il n'avait pas à avoir peur. Il me sourit et me fit un signe de la tête.

Assise sur la banquette, j'observais de plus près ce jeune garçon. Semblant plus jeune que moi, son visage renfrogné montrait les séquelles que la vie lui avait infligé. En rien il n'avait l'allure d'un jeune homme de son âge et paraissait être bien plus âgé. Sa dureté était de mise : il n'osait même pas discuter avec ses amis ! Ses vêtements déchirés qui montraient qu'il était un paysan serf portaient des tâches de sang. Malgré toutes les blessures qu'il pouvait cacher de cette bataille, il se semblait pas souffrir. Cela me faisait mal de le voir ainsi. J'aurais tant aimé pouvoir sympathiser avec lui ! Je soupirais en détournant mon regard. Les premières maisons du bourg étaient en vue.

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Et voilà un nouveau chapitre ! Sincèrement désolée pour le retard, j'essayerais pendant les vacances d'avancer cette histoire au maximum.

L'appel de JeanneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant