Chapitre 22

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« Deux jours de voyage pour y arriver. Deux jours pour arriver jusqu'à Poitiers. Faire route avec le Dauphin était quelque chose de spectaculaire. Durant ces deux journées, je vivais au rythme de la Cour. À mon plus grand bonheur, je pouvais prier quand je le souhaitais sans être dérangée. De plus, j'avais les mêmes privilèges que les nobles autour de moi. C'était un peu comme faire partie de la haute noblesse depuis toujours : j'avais presque de meilleurs traitements qu'eux ! Et le futur roi n'étant jamais très éloigné, j'étais très bien entourée !
L'arrivée à Poitiers fut festive. Nous reçûmes un accueil tout aussi chaleureux que celui de Chinon. Assez timidement, j'observais discrètement les rues de la nouvelle capitale. Ce bourg était digne de la grandeur de notre royaume ! Les architectures tout aussi impressionnantes les unes que les autres avaient fières allures. Je ne pouvais qu'admirer tout ce qu'il se passait autour de moi. Je ne savais pas à quoi ressemblait Paris mais je n'avais qu'une envie : voir notre véritable capitale de mes propres yeux.
Alors que les nobles se séparaient peu à peu vers leurs appartements, mon cochet me dirigea vers une demeure, voire un château grandiose ! Un écriteau était écrit juste au dessus de la porte. Ne sachant pas lire, je ne pouvais m'empêcher de me demander ce qu'il y avait d'inscrit. Puis, le véhicule se stoppa devant et on me fit descendre de voiture. Je pus ainsi constater de mes propres yeux l'édifice qui me remplit d'engouement. Tous ces détails, ces motifs, c'était si beau ! Je n'arrivais pas à croire que je séjournais là.
  L'homme qui s'occupait de mon carrosse dût me rappeler pour rentrer. S'il voulait me faire réagir, c'était fort mal parti : l'intérieur était tout aussi sublime que j'en restai béa d'admiration. Un homme, que je n'avais à peine remarqué, se trouvait dans l'encadrement des escaliers. Richement vêtu, il devait, de toute évidement, faire partie de la Cour de notre Dauphin. Descendu devant moi, il me salua :
- Bien le bonjour ma chère enfant. Nous sommes honorés d'accueillir une personne telle que vous dans notre humble bâtiment : l'hôtel de la Rose !
Humble ?? Cet endroit était tout sauf humble ! Il était digne de notre futur roi ! Sûrement une simple formule de politesse. Et l'écriteau devait être le nom de l'établissement.
- Permettez-moi de me présenter, continua-t-il sur le même élan. Je suis Jean Rabateau, avocat au parlement de Paris. Enfin, de Poitiers à présent.
- Je suis ravie de vous rencontrer, répondis-je en lui serrant la main.
Rabateau me posa encore quelques questions auxquelles je fournis de simples réponses avant de m'envoyer dans ma chambre qui me fut attribuée. La pièce était tout aussi luxueuse. Je m'y installai dans un état second. Je n'arrivais pas à croire : jamais je n'aurais pensé avoir le droit à tant de privilèges ! C'était comme un rêve éveillé. Je finis par prier une dernière fois avant de m'assoupir sur le lit.

  Les trois semaines que j'eusse passées là-bas furent rythmées par les interrogatoires, que ce soit à l'hôtel ou au parlement. Ce dernier était le bâtiment le plus impressionnant qu'il m'ait été donné de connaître. J'étais toujours ébahie à chaque fois que j'y rentrais. L'intérieur était digne de sa grandeur extérieure. Et il y avait tellement de théologiens pour une commission parlementaire ! Je ne pus retenir tous les noms mais de très hautes personnes y étaient présents. Bien sûr, il y en avait certains qui étaient venus de Chinon comme Pierre de Versailles et Jourdain Morin. Et puis, il y avait Regnauld de Chartes, l'archevêque de Reims et le chancelier de France ; Jean Lombard, professeur à l'université de Paris ; Guillaume Le Maire, chanoine de Poitiers et tant d'autres de professeurs de théologie, de docteurs d'université, d'ecclésiastiques et de conseillers. Résumons tout ceci en un seul interrogatoire qui eurent commencé le 7 mars.

  Regnauld de Chartes, président de la commission, prit sa plume et ouvrit cet interrogatoire. Cependant, ce fut Jean Lombard qui me posa la première question :
- Ma chère Jeanne, permettez-moi de commencer. Pourquoi êtes-vous venue à Chinon ?
Je racontai exactement la même histoire que celle que je contais à tous : les voix de Sainte Catherine, Sainte Marguerite et celle de l'Archange que j'entendais et leur fantôme m'étaient apparus pour la première fois à l'âge de treize ans. Je continuai mon récit au fil des années pour en arriver à l'attaque des Anglais sur ma Lorraine natale qui avait fait basculé ma décision de servir le Dauphin et qui fut accomplie grâce au capitaine de Vaucouleurs. Je ne parlai pas de mes compagnons cette fois-ci. Depuis le temps qu'ils me posaient cette question, j'allais aux faits.
- Ma mission confiée par le roi des cieux, terminai-je, c'est de faire lever le siège d'Orléans et conduire le Dauphin à Reims afin de le faire sacrer.
- Depuis le début de vos interrogatoires, vous ne nommez le roi que par le nom « Dauphin ». Pourquoi ?
- J'attends le sacre de Reims pour l'appeler « roi ».
  Prenant en note, un autre homme renchérit sur une autre question :
- Tu as dit que les voix veulent libérer le peuple français de la calamité dans laquelle il est. Si elles le veulent, il n'est pas nécessaire d'avoir des gens d'armes. Elles sont assez puissantes pour détruire d'un seul coup les Anglais ou les renvoyer chez eux.
Je n'avais jamais dit qu'elles voulaient nous libérer elles-mêmes ! Je n'étais qu'une émissaire pour accomplir leur bon vouloir ! Bien entendu, elles ont eu de la compassion pour la situation française pitoyable. Elles voulaient simplement essayer de redonner de la grandeur à notre Royaume de France ! Jamais elles ne pourraient avoir un réel impact sur la guerre. Et puis, cela n'aurait certainement pas été dans leur esprit que de détruire tout un peuple pour en laisser gagner un autre ! Finalement, malgré ma confusion, je sus exactement ce qu'il fallait répondre :
- En étant au nom de Dieu, les gens d'armes batailleront et en récolteront la victoire.
Bien que cela ne faisait pas tellement partie de mes croyances, je crus bon de rajouter ceci :
- Car c'est en bataillant en son nom qu'il nous la donnera.
À mon soulagement, le juge fut content de la réponse apportée et la nota.
- En quelle langue parlent vos voix ? reprit un frère assez aigre.
- Meilleure que la vôtre ! répliquai-je avec humour.
Ce n'était pas que je n'appréciais pas la langue du limousin mais elle n'était pas aussi douce que celle des saints. Ma réflexion laissa un petit rire dans la commission qui fut tu par le chancelier de France.
- Croyez-vous en Dieu ? continua-t-il un peu piqué par ma réponse.
- Mieux que vous, souris-je avec la même assurance.
Le chancelier de France rassembla ses papiers qui paraissaient légèrement dérangés. Froidement, il me fit remarquer que, pour le moment, ce n'était seulement que des paroles en l'air. Il ne pouvait pas me croire sans une seule preuve plus évidente de ma mission. Et il ne me croirait pas tant que je ne montrerai aucun signe, soit tant que je n'aurais pas fait de miracle.
Je fus furieuse de ses insinuations ! Bien sûr, il était évident qu'il eût encore des doutes. Une jeune femme qui sortait de nul part et qui se prenait pour une sainte, voilà quelque chose de ne pas habituel ! Seulement, ma mission était bien réelle. Et les miracles, je ne pouvais pas en faire seule ! Comment voulait-il que j'en eusse fait si personne ne me laissait prendre les armes ? J'inspirai profondément pour me calmer et répondis à ces provocations avec la même froideur :
- Tout d'abord, en nom de Dieu, je ne suis pas venue à Poitiers pour faire signes mais conduisez-moi à Orléans et je vous y montrerai toutes ces preuves. La levée de ce siège sera votre signe promis. Mais pour cela, il me faudrait une armée, ne croyez-vous pas ? Et si cela arrive, alors je vous promets que ces quatre événements que j'ai vu se réaliseront : la délivrance d'Orléans, le sacre du roi à Reims, la soumission de Paris et le retour du duc d'Orléans captif en Angleterre. Que je sois là ou pas, cela s'accomplira.
Stupéfaits par ma déclaration, plus personne n'osait m'interroger. Il fut décidé que l'interrogatoire était fini pour ce jour-ci.

Au fur et à mesure que les jours passaient, les interrogatoires se multipliaient, devenant plus longs et minutieux. Une seule question que je me posai : pourquoi me questionner toujours sur les mêmes choses ? Bien que cela ne gênait pas tant que cela, je me demandais à quoi cela leur servait. Un jour, on vérifia aussi ma virginité. Seulement, plus je les côtoyais, plus je semblais les surprendre par mes réponses simples et prudentes. Ils paraissaient ébahis, séduits et émerveillés.
Entre les interrogatoires, de nombreuses personnes de toutes classes venaient me voir. Que ce soit des présidents du parlement ou de simples femmes, tous franchissaient les portes de l'hôtel. Souvent, les hommes n'étaient que de simples curieux, ne croyant pas vraiment à ces « rêveries », comme on le disait. Ils me posaient beaucoup de questions sur moi-même, jeune femme très pieuse, mes projets militaires, le Dauphin et tant d'autres choses. Je ne répondais qu'honnêtement et avec beaucoup de détermination. Et c'était avec grande surprise, les premières fois, qu'ils en ressortaient émerveillés, émus et convaincus. D'une certaine façon, j'avais l'impression de les avoir inspirés et leur avoir redonné de l'espoir rien qu'en parlant. C'était assez étrange par le fait que je ne faisais que répondre en ce quoi je me battais. Je ne pouvais m'empêcher de rire lorsque j'entendais que j'étais une créature du Ciel. Nous le sommes tous. Peu importe nos origines, notre éthique ou notre religion, nous venons tous d'une manière ou d'une autre des cieux. Je n'étais ni plus ni moins une créature de plus. Une fois, je me souvenais que quelqu'un m'avait parlé du manque de vivres à Orléans. Cet homme espérait que je pusse ravitailler le bourg mais craignait les Anglais. Comprenant bien le problème, je lui affirmai que je le ravitaillerais, peu importe les assauts des Anglais. De toutes façons, ce n'était pas une supposition. Il le fallait.
Du côté des dames de Poitiers, elles venaient en masse ! Comme les hommes, elles me posaient beaucoup de questions que je répondais volontiers. Parfois, je leur parlais de nos conditions de vie et que nous ne devions pas être considérées comme l'inférieur de l'homme mais bien son égal. Malgré les préjugés, il ne fallait plus les écouter. Il fallait les démonter. Si j'étais l'une des premières à oser briser les codes de cette société, il fallait continuer le combat pour nos petites filles. Montrer que, comme les étrangers, nous pouvions nous faire accepter. Nous valions aussi bien qu'eux. Peut-être même que, dans cette assemblée, il y avait de meilleures guerrières que moi. Sur mes paroles, une jeune demoiselle me demanda pourquoi je ne portais plus l'habit féminin. Je lui expliquai que je servais le Dauphin. Que par conséquent, je me devais de me vêtir comme un homme pour imposer le respect. Triste à dire mais j'aurais été beaucoup moins prise au sérieux si je m'étais habillée comme une demoiselle. J'en avais déjà fait l'expérience. Souvent, mes paroles les émouvaient fortement. Il était très rare que j'eusse vu une dame repartir sans que je leur arrachasse des larmes. C'était toujours surprenant de voir des femmes aussi sensibles lorsque l'on était entouré de guerrières.

Finalement, le 28 mars, après ces trois semaines à Poitiers, on m'annonça que rien n'était en ma défaveur. Sous l'impulsion de la commission, notre honorable Dauphin m'autorisa enfin à porter secours à Orléans. Les réponses fermes et honnêtes que j'avais donné avaient eu un tel effet que certains me surnommaient « la libératrice de la France ». Je n'y croyais pas vraiment. Si déjà je sortais victorieuse de mes combats, cela me suffisait amplement. Et je venais d'en remporter un.
Avec l'accord du futur roi de France, deux jours plus tard, je pus repartir seule avec mon cochet sur Chinon pour venir chercher mes amis. Je fis étape à Châtellerault une nuit où je pus me rendre dans une chapelle. Les croix sur les murs des véhicules étaient bien pratiques pour les voyages mais rien ne pouvait remplacer l'ambiance d'un lieu de culte.
Je savais que je ne devais pas m'attarder dans le bourg. Le Dauphin attendait impatiemment le signe tant promis. Il y avait aussi beaucoup de choses à faire avant la libération d'Orléans. Mais je n'avais qu'une hâte : vous revoir après tout ce temps. »

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Et voilà un nouveau chapitre ! Vive les screams qui ont gentiment attendu mon retour ! Comme vous pouvez le constater, je m'écris que sous le PDV de Jadina. Il n'y a eu deux que PDV différents, toujours raconté par Jeanne. Une lectrice me l'a fait remarqué et a souhaité voir d'autres PDV. Étant donné que je vais écrire une saison 2, cette seconde partie ne sera qu'écrit en alternance continu de PDV. Donc je voulais savoir si vous souhaiteriez voir d'autres PDV de d'autres légendaires dans L'appel de Jeanne ou si vous préfériez attendre la saison deux pour rentrer dans la tête de tous les personnes. Une autre petite question Pour l'écriture du siège d'Orleans. Préférez-vous voir Élysio ou Amy pour le rôle de page de Jeanne ?
Merci d'avoir lu jusqu'au bout !

L'appel de JeanneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant