Chapitre 12

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  Le soleil se levait à travers la ville endormie. Filtrant la fenêtre de ma chambre où j'étais logée, les rayons du soleil me réveillèrent. Je me levai et me dirigeai vers cette petite ouverture pour observer les bâtiments de Vaucouleurs. Cela faisait presque une semaine que nous étions arrivés ici. À notre plus grand étonnement, Jeanne avait choisi de se rendre chez une famille de bourgeoise, les Le Royer, qu'elle connaissait. Avec gentillesse, Henri et Catherine Le Royer nous avait accueilli dans leur humble demeure. Pas besoin de préciser que tout le monde m'appelait Jade à présent. Jadina était un prénom très peu répandu. Seule moi, la jeune comtesse d'Orchidia le portait. La population, avide de prophéties qui pourraient les faire espérer, nous avait facilement apprécié. Ils soutenaient fortement la cause de mon amie. Danael l'aidait à perfectionner nos attaques, même s'il n'aurait bientôt plus rien à nous apprendre. Je commençais à comprendre pourquoi tout le monde la trouvait bien trop pieuse. Quand le jeune garçon disait qu'elle pouvait passer cinq fois par jour à l'église, ce n'était pas une blague ! Quand nous nous y rendions pour nous offrir de quoi manger, elle se rendait toujours au purgatoire et y passait des heures ! J'avais tenté de la faire sortir, en vain. Elle trouvait toujours une excuse plausible pour rester dans ce lieu de culte.
  Gryf avait été le seul à avoir refuser l'offre de nos hébergeurs. Il disait préférer rester sur Domrémy. Toujours aussi mystérieux ce garçon.

  Un bruit venu de la cuisine me tira de mes pensées. J'avais oublié à quel point les gens se levaient tôt ici ! J'ouvris l'armoire et y sortis une simple robe aux tons de la campagne et l'enfilai le plus rapidement possible. Ceci fait, je descendis les escaliers quatre à quatre et vit Jeanne qui faisait le petit déjeuner. Je m'approchai d'elle et me penchai sur son épaule :
- Des œufs tout frais, expliqua-t-elle en continuant ce qu'elle faisait. Madame avait décidé de nous en faire aujourd'hui. Je l'ai simplement devancé.
Elle se tourna vers moi un petit sourire avant de mettre sa première assiette sur la table. Sans vraiment trop réfléchir, je décidai de lui donner un coup de main en mettant le couvert. J'ouvris tous les tiroirs et les rangements pour trouver ces couverts.
- Tu sais Jade, reprit-elle pensive pendant que je m'emparais des fourchettes, dans mon enfance, j'ai toujours été une petite fille bonne à marier. Servir les hommes me fascinait. Je me disais : « Il faut que je sois la meilleure femme possible, comme ça Mère sera super fière de moi ! ». Et puis j'ai compris que c'était injuste. Pourquoi sommes-nous sous-estimée ? Pourquoi dire que nous sommes le sexe faible ? Ça me fait rire amèrement. Serait-il possible qu'un jour les femmes soient l'égal des hommes ? Qu'en penses-tu  Jade ?
Un lourd silence suivit ses paroles. Jamais je ne l'avais vu aussi sombre. Comme si une grave injustice venait d'être commise. Mais que lui répondre ? Oui, moi aussi je rêvais d'un monde plus juste. Sans discrimination. Pourtant, elle ne semblait pas attendre de réponse. Ses yeux perdus dans l'assiette, elle finit par avouer :
- Le duc Charles II de Lorraine est malade. Je connais le remède mais ce qu'il a fait me dégoûte.

  Le petit déjeuner pris, Jeanne décida de se rendre chez ce fameux duc pour lui promettre de prier sa guérison en échange de l'abandon de sa maîtresse pendant que nous, autres, nous rendrions visite à Shimy la fileuse. J'avais ouïe dire qu'elle pourrait nous être d'une grande aide. Sur le trajet, je demandai à Danael si Jeanne aurait une chance de se faire prendre au sérieux. Il hocha simplement les épaules, songeur. Cela pourrait peut-être marcher.
  Arrivés à Domrémy, nous pûmes constater les dégâts. Des maisons avaient brûlé, des objets brisés. Mon cœur se serra en voyant tant de corps sans vie. Comment allions-nous retrouver Shimy ? La pâleur de Danael montrait la douleur qu'il ressentait. C'était tout de même la ville qui l'avait vu naître et grandir. Gryf avait raison : les hommes étaient des monstres. Plus nous avancions, plus nous avions peur. Et si elle était morte ? Non, il ne fallait pas y penser. Finalement, nous arrivâmes devant le commerce de notre fileuse. Un grand soulagement se fit ressentir chez Dan. Grâce à sa structure en pierre, le commerce avait mieux résisté à cet assaut, malgré les quelques marques qui montraient le passage des Anglais. Nous descendîmes de la charrette avant de rentrer. L'intérieur avait été un peu saccagé mais la propriétaire avait fait de son mieux pour que cela fût passé inaperçu. Toujours aussi admiratrice de son travail, je ne pus m'empêcher de toucher à tous ces fils sous le regard noir de Razzia. Après avoir fait le tour de la boutique, je rejoignis mes compagnons et attendis cette fameuse Shimy avec eux. Très rapidement, une ombre fine s'approcha du comptoir pour laisser apparaître la personne que nous étions venus voir. Un grand sourire illumina son visage pâle et se précipita au cou de notre chevalier. Ses longs cheveux châtains peu soignés montraient l'inquiétude qu'elle avait vécu ces derniers jours.
- Oh Danael ! Tu m'as fait tellement peur ! Heureusement que tu n'as rien !
- Shimy ! J'ai eu tellement peur aussi ! Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
- À ton avis ? Les Anglais ont pillé et incendié notre bourg. Lion-Feu va bien. Et Jeannette ? Et Gryf ?
- Tu ne devrais plus l'appeler comme ça, elle a quand même dix-sept ans. Elle va bien et a toujours son caractère bien trempé. Pour ce qui est de Gryf, il a disparu lorsque nous sommes partis de Neufchâteau, la ville où nous nous sommes réfugiés.
- Au moins il va bien, c'est le principal.
Je ne pus m'empêcher d'avoir une petite quinte de toux. Les retrouvailles devenaient longues. Les deux amis se retournèrent avant que je ne me présente. La jeune femme eut un timide sourire avant qu'elle ne se fût retournée vers Razzia qui se présenta à son tour. Doucement, je lui demandais si je pouvais voir son loup. Elle acquiesça et nous pria de la suivre.
  Je découvrais alors les locaux de sa boutique. Derrière son comptoir se trouvait un long couloir qui débouchait sur des escaliers. Deux portes se trouvaient à leur opposé. Apparemment, celle de droite donnait sur son atelier à tisser, celle de gauche se trouvait Lion-Feu et les escaliers sur les pièces à vivre. Shimy sortit de sa poche un trousseau de clefs, enfonça l'une d'entre elles dans la serrure et ouvrit la porte. Elle nous invita à rentrer avant de disparaître dans l'encadrement de la porte. Danael fut le premier à se précipiter suivi de près par Razzia, n'ayant pas peur du loup. Ce fut plus compliqué pour moi. Même si ma curiosité me poussait à le voir, une certaine inquiétude pouvait se lire sur mon visage. Inspirant profondément, j'entrais dans la pièce. Elle s'avérait être une verrière où les rayons du soleil pouvaient traverser l'espèce de grande fenêtre. Du fond de la pièce, je pouvais voir Dan et Shimy papouiller une bête aussi haute qu'un chien de berger et ses pattes étaient aussi noir que l'ébène. Son pelage brun lui couvrait tout le reste de son corps. Seule une liste noir qui traversait son visage au milieu faisait ressortir ses pattes. Craintivement, je m'approchai de lui. Même s'il ressemblait plus à un gros chien qu'à un loup, il ne fallait pas oublier à quel point ces animaux pouvaient être dangereux.
Arrivée à sa hauteur, nous nous dévisageâmes. Lion-Feu se tourna vers sa maîtresse qui esquiva un petit sourire. Il se retourna vers moi avant de s'approcher tout doucement. Je tendais la main pour toucher son museau. Avec précaution, je fis remonter ma main le long de son visage. Il ferma les yeux et s'abandonna à mon geste tendre en secouant affectueusement la tête. Un sourire se dessina sur mes lèvres : c'était tellement chou ! Avec une envie irrésistible de le câliner, je fis courir mes doigt le long de sa fourrure. Lion-Feu s'allongea et me laissa le loisir de le chouchouter. Un rire cristallin s'échappa de ma bouche. Jamais je n'aurais pensé être aussi heureuse qu'en cet instant. Ce loup était comme un gros chien : agréable et inoffensif. Mes amis avaient raisons : cette bête me prouvait que les animaux sauvages pouvaient se montrer bien plus humain que nous. Sans que je ne m'en rende compte, les autres s'étaient jeté sur le pauvre Lion-Feu pour en profiter au maximum. Après tout, il nous donnait l'envie de rester auprès de lui.

Après des heures de soin sur le pauvre animal, nous décidâmes enfin de parler de Jeanne. La journée était bien avancée et nous étions au beau milieu de l'après-midi. Danael lui expliqua que notre guerrière avait reçu un appel de saints et que nous avions décidé de l'accompagner dans son aventure.
- Même vous ma comtesse ? m'interrogea-t-elle.
- Même moi. Comme Jeanne, je veux briser les préjugés de ce monde.
- Dame Jadina est des plus douées dans l'art du combat. Certes, elle n'a pas l'expérience des plus grands guerriers de notre histoire mais elle possède leur talent.
Je ne pus m'empêcher de fusiller Razzia du regard. Bien qu'il croyait en mon talent de combattante, qu'est-ce que je lui avais dit ? D'arrêter ces exigeantes dues à mon rang ! Je soupirai : je sentais qu'il allait avoir du mal à s'en défaire.
- Et vous voudriez que je fasse partie de votre équipe ? reprit la jeune fille.
- Évidemment ! s'écria Dan. Tu manies l'arc comme personne ! Tu pourrais nous être très utile pour servir la justice !
- Servir la justice..., réfléchit-elle songeuse, si je peux m'occuper de ces saletés d'Anglais, je veux bien venir avec vous.
- Shimy, intervins-je avant que mon chevalier ne saute de joie, pourrais-tu nous faire une petite démonstration ?
La concernée m'observa d'un œil mauvais. Très mauvais même. Mais qu'avais-je dit de travers ? Je me tournai vers Danael qui ne fit que me sourire. Je compris alors qu'elle n'aimait pas que l'on remette ses aptitudes en question. Je la vis soupirer avant qu'elle ne fût disparue de la pièce. Nous attendîmes quelques instants avant qu'elle ne fût réapparue. Un arc et des flèches dans le dos, elle ressemblait à un vrai archer. Mais ne disait-on pas que l'habit ne fait pas forcément le moine ?
- Je vous présente mon arc. Cela fait depuis sept ans que je l'ai. J'ai aujourd'hui dix ans et je suis sans contestée la plus jeune. Mais voilà ce que j'aime plus que tout faire avec.
Dix ans ?! Elle était bien jeune ! J'avais hâte de la voir à l'œuvre.

- Est-ce suffisant ? questionna la jeune femme. Ou dois-je continuer ?
Devant mes yeux ahuris se trouvait une flèche qui avait été plus ou moins transpercée par cinq autres ! Et cela en à peine une vingtaine de secondes ! Je remarquai alors que Shimy me dévisageait longuement. Elle semblait attendre une réponse. Mais ce n'était pas si compliqué ! Ce qu'elle avait fait était tout bonnement incroyable : cette demoiselle état bien meilleure que les archers de ce monde ! Cette démonstration me laissait sans voix, au sens propre du terme. Évidemment qu'elle avait le droit de venir avec nous, cela allait de soi !
- Ça va, finis-je par répondre encore sous le choc, c'est parfait.
Triomphant, elle me sourit d'un air supérieur. Cette femme allait sûrement être plutôt agaçante. Son arrogance allait fortement me déplaire.
  Ce fut à ce moment que Jeanne arriva. Exténuée, elle nous expliqua qu'elle avait promis de prier pour la guérison du duc en échange de l'abandon par le duc de sa maîtresse la belle Alison Du May et d'une petite escorte pour mieux assurer la sécurité de tous. Ce fut une grande joie, pour elle, que de savoir que son amie ferait partie du voyage.
- Et pour Gryf ? demanda-t-elle. Vous savez s'il accepterait ?
- Ça ne va pas être facile, commenta la plus jeune d'entre nous, il faut faire beaucoup de démarches pour qu'il puisse venir avec nous.
- Et si cela marche ? risquai-je à demander.
- Alors je peux vous garantir que le convaincre ne sera pas une partie de plaisir, affirma Danael, loin de là.

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Et voilà un nouveau chapitre. Je ne sais pas s'il faisait des « baies vitrées » à cette époque mais j'ai voulu que notre Lion-Feu ait un peu de lumière. Et un joyeux Noël à tous !

L'appel de JeanneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant