Chapitre 24

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Il nous fallut un bon jour pour nous installer convenablement. Ayant mélangés nos affaires avec Jeanne, nous nous passions à tour de rôle les charrettes. Elles étaient lourdes et surchargées. Ce n'était qu'au crépuscule que nous eûmes enfin fini tout ceci. Tout ensemble, avec l'accord de nos hôtes, nous nous étions mis à visiter Tours. Durant notre circuit, nous apprîmes à notre amie que c'était notre hôte, Colas de Montbazon, qui fabriquerait son armure. Il était tellement joyeux d'avoir eu le droit à un tel privilège ! Il ne cessait de nous poser des questions au sujet de la Pucelle. Bien entendu, nous ne dévoilions que ce qu'elle disait aux autres personnes. Et cela semblait amplement lui suffire : sans la voir, il en était déjà impressionné.
Du côté de la guerrière, elle nous appris qu'elle passerait la journée suivante dans l'armurerie. Selon elle, il n'y avait pas une seconde à perdre. Le plus tôt son armure serait faite, le plus tôt elle pourrait délivrer Orléans.

Ce fut donc le cinquième jour du mois d'avril de l'an de grâce 1429, au petit matin, que la jeune guerrière frappa à la porte. Pour une fois, elle était venue à huit heures ! À l'accoutumé, elle commençait toutes ses activités une heure plus tôt. Elle avait été sympathique de nous avoir laissé autant de temps pour nous préparer, malgré le fait que nous nous étions levés aux aurores. Avec elle, il valait mieux être dans ses horaires pour éviter les mauvaises surprises.
Montbazon descendit rapidement les escaliers, mes compagnons et moi sur ses talons. Il paraissait tellement angoissé de rencontrer Jeanne ! Comme si on allait le juger, il ouvrit craintivement la porte pour laisser entrevoir la Pucelle.
- Bien le bonjour monseigneur, salua-t-elle joyeusement, je...
La jeune femme ne put finir sa phrase avant d'être prise d'une certaine stupeur. En effet, l'homme s'était courbé et tremblait légèrement. Sans comprendre, elle nous consulta du regard en cherchant un peu d'aide. Seulement, nous étions aussi désemparés qu'elle ne l'était. Bien qu'il avait révélé une grande admiration pour l'élue, jamais nous n'aurions imaginé une telle réaction de sa part ! C'était terriblement déconcertant. Comme personne n'avait apporté d'aide à Jeanne, elle soupira discrètement et prit l'attitude très stoïque qu'elle avait en public :
- Relevez-vous mon cher ami ! Je ne mérite pas un tel honneur. C'est plutôt moi qui devrais être honorée d'être dans une armurerie si prestigieuse.
Se relevant légèrement mais n'osant pas croiser son regard, notre hôte protesta :
- L'honneur est sincèrement pour moi. Vous êtes la libératrice de la France ! Vous êtes une créature divine.
La brune secoua la tête, un grand sourire sur ses lèvres. « Libératrice de la France », c'était bien trop exagéré ! Jamais elle ne pensait réussir à libérer notre glorieux royaume ! Et si elle y arrivait, jamais elle ne l'aurait fait seule. Tous ces soldats dans l'ombre, c'était eux qui fallaient remercier pour elle.
- Vous me direz cela lorsque j'aurais libéré Orléans de ces Anglais de malheur. Pas avant.
- Et modeste en plus ! s'exalta Colas en lui ouvrant le passage avec sa main droite.
Dans un geste de respect, nous les laissâmes passer pour les suivre juste derrière.

L'armurerie avait été très bien pensée : le sous-sol et le rez-de chaussé avait été conçus rien que pour le travail. Les deux derniers étages étaient les pièces à vivre. Il était évident que rien n'était placé au dessus de la forge. Apercevant au loin la porte donnant dessus, je pouvais voir dans les yeux de Danael beaucoup de nostalgie qu'il osa me confier :
- Dire, qu'il y a près de trois mois, j'étais dans ma propre forge, avec mes propres armes. Et aujourd'hui, je vagabonde avec vous tous. Jamais je n'aurais imaginé que ma vie prendrait un tel tournant. Je n'en suis pas mécontent. Seulement, quand je vois toutes ces armes et ces armures autour de moi, je ne peux m'empêcher de repenser à tout ça.
« Sûrement comme Shimy », voulus-je ajouter en la contemplant. Elle avait perdu, elle aussi, son emploi. Si nous repassions dans un commerce de fils, la même nostalgie la submergerait. Après tout, nous avions tant abandonné ! Les regrets étaient certainement normaux. Mais pour rien au monde je ne ferais marche arrière ! Pas pour être avec ce crétin Halan ! Mais je ne pus dire tout cela. Pas devant notre hôte en tout cas.
- Tu pourrais toujours lui demander d'utiliser un peu ses outils, finis-je par dire. Il comprendra, je pense.
Peu sûr de ma déclaration, il hocha tout de même la tête. J'espérais sincèrement qu'il eût le courage pour faire la demande. Qu'avait-il à y perdre s'il le faisait si ce n'était que les regrets ? Un moment de joie intense ne s'offrait qu'à lui.
Tournant la clef dans la serrure, il ouvrit la porte qui menait au sous-sol et nous invita à nous engouffrer dans l'escalier. Nous découvrîmes alors la véritable armurerie. Qui aurait cru qu'elle serait sous terre ? Et si complète ! Jamais je n'avais vu un tel espace ! Les yeux brillants d'admiration, Dan observait partout autour de lui. Face à cette armurerie, sa forge ne valait rien. Il avait l'air tellement heureux d'être ici que cela remplit mon coeur de félicité. Ses yeux et son sourire admiratifs me faisaient littéralement fondre. Je dus ignorer tous mes sentiments pour rester aussi stoïque que les autres. Pourtant cela était dur : Danael me faisait terriblement tourner la tête.
- Commençons par le commencement, énonça Montbazon d'une façon devenue bien plus professionnelle. On m'a demandé une armure complète pour la Pucelle. Le payement s'élevant à cent livres a été effectué. Nous n'avons plus qu'à en faire une digne de ce nom.
Sur ses mots, il partit en direction des brigandines, soit des petites cottes de mailles en nous priant de bien vouloir le suivre.

L'appel de JeanneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant