Chapitre 31

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Gryf

Durant le reste de la soirée, nous avions seulement paradé dans les rues sombres d'Orléans. Tout souriants, les bourgeois  nous acclamaient tous de leurs fenêtres ou des allées. L'ambiance embaumait de chaleur le bourg resté trop longtemps gelé. Je voyais aussi Jadina, Danael et Shimy terriblement joyeux. Délivrant de la nourriture aux habitants, ils savaient raviver l'étincelle de l'espoir au fin fond des pupilles. Les deux aînés souriaient timidement. Ils semblaient peu habitués par ce genre de spectacle. Toutefois, ils restaient très mystérieux à mes yeux. Bien plus mûrs que nous tous, ils avaient l'air d'avoir vécus les coups les plus durs de la vie. Comme les coups de cette satanée guerre qui durait depuis bien trop longtemps.
Je tournai la tête vers la Pucelle. Brandissant fièrement son étendard, elle avait une posture d'un homme victorieux. Mais derrière cette carrure se cachait une jeune femme qui apportait sa joie. Si ma petite Jeannette la répandait par un visage radieux, le mien ne pouvait que rester neutre devant cette situation. Sûrement une habitude de ma part. Pourtant, ce n'était pas faute de ressentir le contraire : qui aurait cru qu'un juif se retrouvait auprès d'une telle personnalité ? Mon amie d'enfance m'aurait frappé si elle avait entendu mes pensées. Pour elle, peu importe mes origines, je resterais un ami particulièrement courageux qui méritait sa place auprès d'elle. Mais, peu importe ce qu'elle pouvait me dire, je le penserais toujours. Car je lui en devais beaucoup. C'était elle qui avait eu l'idée de me sortir de ma situation désastreuse. Je n'oubliais pas tout ce que je devais à Jadina, bien sûr. Seulement, elle avait été la première femme à m'avoir accepté tel que j'étais. Dès ma fuite, elle avait été la seule personne à m'avoir pris sous son aile alors que toutes les autres femmes m'avaient rejeté. « Fils envoyé par le diable » disaient-elles. Jeanne, en mettant Danael dans la confidence, m'avait aidé à rembourser mes dettes avant même mes combats de rues. Oui, je lui en devais beaucoup. Et je ne croyais toujours pas que je méritais ma place dans son épopée.

Le lendemain, dès l'aube, la Pucelle nous réveilla assez brusquement. Comment ne pas s'y habituer après tant de réveils pareils ? Et elle nous avait bien prévenus : elle avait un programme bien chargé pour les jours à venir. Sortant de la petite tente que nous avions planté, Razzia préparait déjà le petit-déjeuner. D'un simple geste de la main, il me salua. Je lui souris et m'assis sur un petit rondin de bois. D'un air songeur, j'observais le campement. Comme on pouvait s'y attendre, il était terriblement calme. Nous étions les rares audacieux pour se lever aux aurores.
Dérivant mon regard sur le cuisinier, je ne pouvais qu'être surpris de constater que cet ancien garde pouvait cuisiner. C'était tellement rare dans notre société ! N'avait-il vécu qu'avec des hommes et, par conséquent, dû apprendre à faire la cuisine lui-même ? Peut-être. J'avais bien dû apprendre à me nourrir seul dans les bois.
Peu de temps après, Jeanne nous rejoignit, talonnée de près par Jadina. Sachant qu'il n'y avait aucun inconnu dans les parages, je me détendis légèrement. J'avais du mal à lâcher prise depuis son arrivée. Bien qu'elle ne me gênait en aucun cas, c'était le fait qu'elle fût noble. Je connaissais sa tolérance qui était admirable. Mais que voulez-vous, on n'oublie pas nos malheurs en un claquement de doigt. Racontant quelques blagues, je tentai de dynamiser un peu l'atmosphère. Déjà que je restais bien trop strict, il fallait bien m'amuser un peu.
Une fois tout le monde attablé, nous dégustâmes notre repas assez rapidement. Puis, nous prîmes des paniers remplis de nourriture et d'écus pour les redistribuer.
-Il faut continuer à répandre de l'espoir, avait annoncé la Pucelle. Il faut donner ce que mérite chaque personne et leur montrer en ce pourquoi ils se battent.
« En ce pourquoi ils se battent ». Tout comme pour moi, Jeanne comptait offrir un combat à chaque personne. Un combat pour rester en vie.
La guerrière nous dirigea chacun vers un endroit précis. N'ayant que de la nourriture dans mon panier, elle m'avait envoyé dans le bourg. Je partis donc avec Jadina, Shimy et Ténébris en direction d'Orléans, les autres devant donner les soldes des soldats.

L'appel de JeanneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant