Compulsion - Tome 2

Chapitre 1

Aujourd'hui...

Alyssa

Au pied des marches de l'escalier extérieur de la cité U, j'allume une cigarette afin de calmer mes nerfs avant de rejoindre mes amis dans l'un des appartements. En levant les yeux vers les fenêtres, j'aperçois quelques ombres massives se mouvoir au rythme de la musique, qui se déversent jusqu'à moi. Soudain, les murs de la bâtisse se mettent à trembler légèrement lorsque les fêtards du troisième étage sautent à chaque « Jump » crié par la sono. Dans d'autres circonstances, j'aurais sans doute ri puis levé les yeux au ciel, amusée par la frivolité de mes compagnons, mais le cœur n'y est pas ce soir.

Voilà trois jours que j'ai croisé Jevred dans ce maudit parc, et il n'a plus quitté mes pensées depuis lors. Son air satisfait et un peu arrogant semble encore me narguer fièrement. A n'en pas douter, notre rencontre fortuite a causé bien plus de plaisir à Jevred qu'à moi. Il semblait vraiment s'amuser de la situation... même si je ne comprends pas pourquoi lui y accorderait autant d'importance. Après tout, ce n'est pas lui qui s'est fait planter après la plus belle nuit de sa vie...

Stop ! Terrain miné, on n'approche pas !

Pour une fois, j'écoute ma conscience et enferme à double tour ces pensées... stupides et romanesques au fond de mon esprit. Contrariée par ma faiblesse d'esprit, je tire plus vivement sur ma cigarette et exhale un long nuage de fumée dans la nuit noire. Je jette le mégot dans une poubelle près de l'entrée, et ressors une nouvelle clope de mon paquet. Je suis très énervée ce soir, presque fébrile. J'ai impérativement besoin de me défouler. Et au lieu de déclencher un esclandre, voire une rixe avec un ou deux abrutis, je me rabats sur la nicotine, et plus tard sur l'alcool. J'ai les nerfs beaucoup trop à fleur de peau, et toute la faute en incombe à Jevred et son retour cauchemardesque dans ma vie.

Je ne pensais plus jamais le revoir. Durant ces quatre dernières années, j'ai tout fait pour me persuader que son absence était une bénédiction, la meilleure chose qui me soit arrivée dans la vie, et j'y suis brillamment parvenue. Je croyais que c'était un homme de passage, un ami d'un ami d'ami qui venait profiter des soirées étudiantes lorsqu'il en avait l'occasion, mais qu'une fois la fête terminée, il retournait chez lui : très loin. Je m'étais vraiment persuadée que Jevred n'était pas d'ici, vu que je ne l'avais jamais plus recroisé au cours de soirées, ou même sur le campus. Après qu'il se soit éclipsé de cette chambre cette nuit-là, sans un mot, je m'étais consolée en me disant que je ne reverrais plus jamais cet espèce de goujat rôder dans les parages... Mais le revoilà.

Quand je l'ai revu dans ce parc, l'air aussi à l'aise, aussi détendu, et – soyons honnête – plus beau que jamais, j'ai compris mon erreur. Je n'ai aucune certitude sur ce que j'avance, mais je sens que j'ai raison. Jevred habite ici, à Chicago. Il a visiblement des habitudes ici, comme de faire un jogging le long du lac Michigan. Il n'est pas d'ailleurs, il ne vit pas dans une ville lointaine et inaccessible. Il pourrait se révéler être mon voisin que l'ironie de la situation ne m'étonnerait même pas...

Il se tenait là, devant moi, plus beau que n'importe quelle divinité grecque, et j'ai presque pété un câble à sa vue. J'étais tellement en colère – Non, rectification, je suis tellement en colère contre lui – que mon premier réflexe a été de vouloir le fracasser en deux... Puis mon traître de corps, lui, a voulu se jeter dans ses bras tout de suite après.

Je ne savais plus si je devais lui hurler dessus jusqu'à en perdre ma voix, ou bien l'enlacer de toutes mes forces. J'étais déchirée entre l'envie de l'étriper, et l'envie de l'embrasser. Et puis c'est finalement en étant ravagée par toutes ces émotions contradictoires, que j'ai fini par choisir la troisième option : m'enfuir. J'ai pris la fuite, sans adresser la moindre parole à Jevred, sans lui laisser le temps de comprendre ce que je faisais, et j'ai rejoint le plus vite possible ma meilleure amie et ma fille dans ma voiture.