Compulsion - Tome 2

Chapitre 15

Alyssa

« Tu es peut-être amoureuse de mon frère, Alyssa, mais je te rappelle que tu m'aimes aussi. Pire même, tu es beaucoup plus éprise de moi que de Ian. »

Les paroles provocantes de Jevred tournent inlassablement en boucle dans ma tête, m'empêchant toute autre forme de raisonnement dans l'immédiat. Il s'est écoulé des minutes, ou des heures, – peut-être même des jours, allez savoir –, depuis que Jevred s'est éloigné de moi dans l'obscurité, me laissant pétrifiée sur place, dans cette ruelle. Seule.

Les bras ramenés sur ma poitrine, j'exhale de petits voiles de buée, sentant un froid mordant m'étreindre toute entière. Les yeux résolument ancrés dans le vague, j'essaie difficilement de ravaler la boule de peur et de culpabilité qui s'est formée dans ma gorge.

Tout au fond de moi, je sais que si ses mots étaient faux ils ne m'atteindraient pas autant, cependant la partie fière et obstinée qui est en moi refuse de prêter trop de foi aux paroles d'un homme visiblement blessé et énervé. Après tout, je connais suffisamment bien Jevred pour comprendre qu'il n'apprécie pas que son frère entretienne une relation avec moi, la fille qu'il souhaite remettre dans son lit. Et pourtant... Le fond du problème ne réside pas dans l'attitude de Jevred, mais bien dans la mienne. Car ce soir, au mépris de la moralité et de la bienséance, je me serais offerte à cet homme fabuleux si ma conscience ne m'avait pas poussée à lui faire cette révélation.

Au diable mon entêtement grotesque, cet homme m'a fait chavirer à la seconde où nos yeux se sont croisés, quatre ans plus tôt. Jamais je ne m'étais sentie aussi troublée par un homme, et tout ce qu'il m'a dit tout à l'heure ne fait que le confirmer... Il n'est pas seulement un beau mec au physique et au charisme exceptionnels, un brin arrogant et à l'humour caustique. Jevred est un homme qui possède une âme et un cœur chaleureux, même s'il ne les ouvre pas à n'importe qui.

J'ai pu apercevoir celui qu'il est au plus profond de lui-même, et je suis prête à payer une fortune pour revoir le sourire si particulier qu'il a quand il parle de ses épopées d'enfance. Je serais prête à tout pour réentendre le ton de voix qu'il emploie pour résumer les vingt meilleurs livres qu'il a lu dans son adolescence. Et je serais prête à me damner aux enfers s'il pouvait me regarder à nouveau avec tendresse et dévotion, comme lorsqu'il allait et venait en moi...

Dans ces moments-là, j'avais l'impression d'être spéciale, unique... et aimée. Je croyais avoir de l'importance, une véritable importance pour Jevred, parce que je sentais qu'il n'était pas du genre à s'ouvrir auprès de n'importe qui.

Chimères...

Un faible rire m'échappe. Oui, il est fort probable que tout ce que j'ai cru entrapercevoir ne soit que chimères. J'ai sans doute accordé trop de poids à toutes ces choses, nous inventant une bulle intime hors de l'espace et du temps. J'ai dû faire preuve d'un excès de romantisme et de sensibilité naïve. Surtout lorsque l'on pense à la manière dont il m'a quittée...

Il faut un début à tout...

La tête basse, je sens soudain tout le poids de ma tristesse lester mon abdomen en réalisant que mon désarroi tient du fait que si j'ai fantasmé mon importance aux yeux de Jevred, c'est parce que, pour moi, il n'était pas seulement un coup d'un soir. Ça n'était pas juste le mec canon qui m'a fait passer une nuit inoubliable, c'était la personne à qui je m'étais ouverte le plus après Evannah.

Une bise glaciale s'est levée dans mon sein, et cette fois, la fraîcheur de la nuit n'y est pour rien.

Alors j'ai peur. Peur de lui donner entièrement raison. Peur de constater que ses paroles, dont l'écho résonne à l'infini dans ma tête à présent, soient vraies... J'ai tout simplement peur de l'aimer encore. Pire, de l'aimer bien plus aujourd'hui qu'il y a quatre ans.