TW : évocation mutilation, sangJe courus chercher l'une des servantes et tombai sur celle qui se dénommait Francesca, dans la cuisine. C'était une femme de la quarantaine, d'origine mexicaine, comme en témoignaient ses épais cheveux noirs et sa peau mate. C'était une lève-tôt comme moi, car elle s'affairait déjà derrière l'îlot central à préparer le petit-déjeuner. Cependant, elle leva à peine la tête à mon arrivée, malgré ma brusque irruption dans la pièce, ce qui aurait pu m'intriguer si je n'étais pas si pressée.
— T'as pas la clé de la chambre de Corine ? demandai-je, le cœur battant à tout rompre, en oubliant de la saluer.
— Elle n'aime pas être dérangée, répondit-elle tout simplement.
— J'ai entendu un bruit, insistai-je.
Elle se concentra sur ses légumes avec l'expression mitigée de quelqu'un qui voulait parler, mais qui craignait les problèmes.
— Elle va bien, affirma-t-elle en évitant mon regard.
— Qu'est-ce qui se passe dans cette chambre ? m'énervai-je.
Elle serra les lèvres, alors je jetai par terre les légumes qu'elle éminçait sous son regard choqué. J'avais l'impression que quelque chose de grave se passait et son impassibilité me fichait les boules.
— Donne-moi cette foutue clé ! Tout de suite !
Elle retira un trousseau de son jean et me le tendit, l'air effrayé. J'étais trop angoissée pour me soucier d'être malpolie.
Je courus jusqu'à la porte de Corine et ne parvins à l'ouvrir qu'après plusieurs essais, tellement mes mains tremblaient. Je m'attendais vraiment au pire. Alors quelle fut ma surprise lorsqu'à peine avais-je ouvert la porte, je tombai sur Corine dans sa chaise qui s'empressa de me faire un large sourire.
— Sara, t'es déjà debout ! s'écria-t-elle avec trop d'entrain pour être honnête.
Quelque chose clochait. Je plissai les yeux et la contournai pour entrer dans la chambre. Elle m'emboîta le pas en appuyant sur un bouton de sa chaise électrique.
— Qu'est-ce que tu cherches ? demanda-t-elle, sans parvenir à cacher sa nervosité.
— J'ai entendu un bruit.
— Je suis tombée, rigola-t-elle, mais son rire sonnait faux.
Corine ne tombait jamais. La rééducation l'avait appris à se servir pleinement ses bras, car ses jambes étaient désormais inutilisables. Son lit était assez bas et il y avait deux rampes pour qu'elle descende et accède à sa chaise sans aucun problème. Donc elle mentait.
Je faisais le tour de la chambre et elle me suivait de près, ce qui était assez suspect. Cependant, à part son attitude, il n'y avait rien à signaler. J'étais sur le point d'admettre que je m'étais inquiété pour rien lorsque quelque chose attira mon attention.
Corine recouvrait toujours ses membres inférieurs d'un plaid ou d'un couvre-jambe, car elle ne supportait pas de les regarder. Sauf que là, c'était une serviette, et elle avait une petite tâche inquiétante qui titilla ma curiosité. Je comblai la distance qui nous séparait et arrachai le tissu avant qu'elle n'ait le temps de réagir. Et ce que je découvris en dessous me glaça le sang.
Ce n'était pas qu'elle ne supportait pas de voir ses jambes ; elle voulait juste empêcher aux gens de découvrir ce qu'elle se faisait.
On resta pendant plus de 30 secondes à se dévisager en silence et pendant ce temps, des larmes s'étaient mises à couler sur mes joues, d'impuissance, de regret, de rage...
— Je vais dire ça à tout le monde, finis-je par annoncer en adoptant une expression déterminée.
— Je te l'interdis ! répliqua-t-elle en détachant chaque mot, une lueur menaçante dans le regard.
— Regarde ce que tu te fais, criai-je, révoltée, en essuyant maladroitement mes joues de mon avant-bras.
— Ça fait pas mal, affirma-t-elle d'un ton qu'elle voulait léger. Je ne ressens plus rien dans les jambes. De plus après, je mets des bandages. Ça guér...
— Est-ce que tu t'écoutes ? m'insurgeai-je dans un sanglot. Jason doit payer pour ce qu'il t'a fait.
Je me dirigeai à grands pas vers la porte et elle me bloqua de sa chaise.
— Sara, si tu fais ça, je... je fais pire.
Le choc fit décocher ma mâchoire toute seule. Je n'arrivais pas à y croire ! Pire que se mutiler comme elle le faisait ? Des cicatrices et des plaies fraîchement guéries striaient sa peau café au lait. Il n'y avait pas une zone de ses jambes qui avait été épargnée depuis l'endroit où celles-ci émergeaient de son short. Comme elle l'avait affirmé plus tôt, effectivement elle les pansait, car de nouveaux bandages recouvraient la partie au-dessus de ses genoux sur laquelle elle s'était acharnée le matin même.
— Il n'a pas fait exprès, ajouta-t-elle en pleurant. Jason n'est pas comme ça.
Le pire, c'était qu'elle avait l'air d'y croire. Ce type l'avait poussée des escaliers de notre ancien appart et elle le défendait !
Je me rappelais de ce soir-là, comme s'il s'agissait de la veille. J'avais trouvé l'appartement vide en rentrant de mon boulot du restau. J'avais donc déduit que Corine était sortie avec Jason.
Elle ne faisait que ça d'ailleurs. D'un côté, j'en avais voulu au bassiste de l'empêcher de poursuivre sa session de littérature à l'université. Mais d'un autre si elle était repartie à Chicago, j'aurais perdu une super amie. En gros, mes sentiments étaient mitigés sur cette relation, mais à l'époque, je n'éprouvais pas encore cette haine immense pour Jason.
Quelques heures plus tard, je les ai entendus arriver. Jason l'avait raccompagné jusqu'à la porte comme à son habitude. Cependant, Corine tardait à rentrer. Je prenais mon dîner lorsque j'avais entendu leur dispute augmenter d'intensité à chaque minute. Et lorsqu'il l'avait frappée contre un mur et que mon amie avait crié ; j'avais décidé de sortir pour intervenir. Mais j'étais arrivée trop tard. Elle roulait déjà dans les escaliers sous mon regard horrifié.
— Il t'a poussé, énonçai-je d'une voix que ces souvenirs douloureux avaient rendue chevrotante.
— On était bourré lui et moi, se justifia-t-elle encore une fois sans s'arrêter de pleurer. Tu sais que j'avais l'habitude de boire jusqu'à un point pas possible. Mes souvenirs sont flous, mais je me rappelle juste que j'avais découvert quelque chose dans son téléphone, puis qu'il s'était mis en colère et que... je crois que c'était à propos de Rick.
— Rick, soufflai-je, intriguée.
— Je ne me rappelle pas, OK ? Mais il n'aurait jamais fait exprès de me pousser dans ces escaliers. Il... il m'aimait.
— Il ne t'a jamais appelé, lui rappelai-je, même si ça me brisait le cœur d'appuyer là ou ça faisait mal.
C'était la première fois qu'on abordait ce sujet. Lorsqu'elle s'était réveillée à l'hôpital, elle m'avait juste fait promettre de ne rien dire à personne. Je l'avais donc regardé mentir à ses parents pour protéger un lâche qui l'avait abandonnée sans scrupules.
Jason s'était enfui à la minute même où l'ambulance était arrivée. J'avais veillé sur elle seule et étais là lorsque le verdict était tombé : sa moelle épinière avait été comprimée lors de sa chute, elle ne pourrait plus remarcher de sa vie. Ce connard n'avait jamais passé un seul coup de fil, et Corine ne trouva rien à dire pour le défendre sur ce point-là. Elle décida donc de tenter autre chose.
— Mon père va le détruire, Sara, articula-t-elle le visage baigné de larmes. Si mon père apprenait... je sais qu'il ne reculera devant rien pour lui faire payer.
— C'est tout ce qu'il mérite, crachai-je avec haine.
— Sara, ça va. Je ne ressens rien dans mes jambes. Tu sais le besoin qu'on peut éprouver de se blesser quand tout va mal. Tu le sais mieux que quiconque. Rappelle-toi, ce que t'as fait après que...
— Ce n'est pas la même chose, coupai-je.
C'était plus d'émotions que je ne pouvais supporter. J'avais besoin d'air. Je tournai les talons et sur le pas de la porte, Corine lança en adoptant à nouveau son ton menaçant :
— Si tu parles. Ce ne sera pas Jason qui me fera mal, mais toi.
Je n'ajoutai plus un mot et sortis dans la rue encore vide à cause de l'heure matinale. Je me mis à courir de toutes mes forces, sans rythme, sans destination. Avec pour seul compagnon le bruit de mes baskets sur l'asphalte et celui de ma respiration haletante en parcourant les rues silencieuses du quartier résidentiel. Les habitations presque toutes construites sur le même modèle : clôture, jardin, maison de style crescendo et piscine à l'arrière, étaient flous dans mon champ de vision. Je ne savais même pas ce que je fixais, tout ce que voulais, c'était disparaître.
Je ne m'arrêtai que lorsque mes poumons et mon estomac protestèrent. Puis ce dernier-là se contracta et je vomis dans la haie bien entretenue de quelqu'un. Ce qui bien sûr, était le cadet de mes soucis !
Je m'écroulais ensuite par terre et pleurai mes tripes. Comment les choses avaient-elles pu arriver là ? Et cette servante qui était au courant qui ne disait rien. Comment pouvait-elle supporter cela ? Mon souffle était court, les larmes inondaient mon visage et je faisais ce bruit déchirant à cause de mes sanglots, à chaque fois que j'inspirais de l'air. J'avais envie d'exploser. Je me sentais si impuissante ! Corine méritait tellement plus.
Je ne saurais compter précisément, mais passai au moins un quart d'heure par terre. Lorsque je m'apaisai un peu. Je tirai mon téléphone de ma trousse banane et appelai Lucas. Je calmai ma respiration, me levai et marchai un peu afin de pouvoir parler normalement, ou pour au moins essayer. Il était désormais six heures du matin, mais le pianiste devait être épuisé après le concert de la veille. Cependant, je ne pouvais pas attendre.
— Sara ! décrocha-t-il d'un voix pâteuse.
— Lucas, je suis désolée, je sais que tu es crevé. Je t'en prie, n'en parle à personne, mais je peux avoir le numéro de Jason. C'est pour... je...il...
Je n'avais pas préparé de mensonge et ne pus arrêter de bégayer le temps d'en trouver un. Cependant, Lucas me surprit encore une fois en déclarant :
— Je te l'envoie !
— Merci de tout cœur, soupirai-je, reconnaissante.
Je n'avais pas appelé Rick, car je n'aurais pas pu m'en sortir aussi facilement avec lui. De plus, je n'avais pas envie de l'entendre. Par contre, j'avais su d'avance que je pourrais compter sur Lucas.
Il était tellement gentil avec moi qu'au début j'avais trouvé ça suspect. Mais je n'avais rien trouvé à redire de mal sur lui. De plus, au fur et à mesure qu'on se parlait, j'avais découvert en lui un ami fidèle. Il s'intéressait à des choses sur moi, qu'à mon avis Rick ne pensait jamais. Jusqu'à présent, je ne comprenais pas pourquoi il était comme ça, mais ce n'était pas comme si les amis pleuvaient devant ma porte. L'amitié de Lucas m'était donc très précieuse.
— Je sais, je suis le meilleur, rigola-t-il d'une voix ensommeillée. Bon, là, je m'en vais, je décède. Ciao !
— Ciao !
Quelques secondes plus tard, le numéro de Jason arrivait dans un sms. Je l'appelai tout de suite et il répondit en grommelant :
— Ça a intérêt à être important, car sinon...
— Sinon te pousses la personne dans un escalier ? le narguai-je, acide.
— Toi, la pute ! soupira-t-il, agacé. Qu'est-ce que tu veux ?
— Que tu appelles Corine. Que tu viennes la voir, car sinon...
— T'as pas d'ordre à me passer. Veux-tu que Rick découvre qui tu es vraiment ?
— Je... m'étranglai-je, effrayée, avant d'entamer une grande respiration et de décider : fais comme tu veux !
Ce n'était pas ce que je voulais, mais s'il lui disait ; Rick serait sûrement dégouté et arrêterait de jouer. Peut-être que ce serait pour le mieux.
— Quoi ? s'intrigua Jason, visiblement surpris.
— Raccrochons ! Va lui dire, moi, je l'appelle. Si tu veux balancer mon secret à Rick, je crois qu'il mérite aussi de connaître le tien.
Un ange passa.
— T'es qu'une petite salope, finit-il par exploser.
— Et toi, un lâche ! rétorquai-je sur le même ton. Elle se détruit à cause de toi, pendant que tu mènes la belle vie. Rappelle-toi qui est son père Jason ! Tu vas assumer tes actes ou de deux coups de fil, je fais effondrer ton monde. Ou devrais-je plutôt Twitter ? Ouais, ce serait cool, m'écriai-je avec un enthousiasme feint.
— Corine était saoule. Elle ne sait pas ce qu'elle dit, tenta-t-il, mais sa voix avait perdu de son assurance. Je ne... Rick... Rick n'a pas à savoir. De toute façon, c'est un mensonge.
Je ne comprenais pas de quoi il parlait ! J'avais vu la chute, comment pouvait-il accuser Corine de mentir ? De plus, il avait l'air de s'en foutre de l'éventualité que les autres soient au courant. Tout ce qu'il retenait c'était que Rick ne devait pas savoir ! Pourquoi lui plus qu'un autre ? À moins qu'il y eût autre chose qu'il ne devait pas savoir. Pensait-il que Corine m'avait confié...
Mes souvenirs sont flous, mais je me rappelle juste que j'avais découvert quelque chose dans son téléphone, puis qu'il s'était mis en colère et que... je crois que c'était à propos de Rick.
Après m'être rappelé les paroles de Corine, j'eus comme un déclic et compris finalement tout ! J'avais découvert ce que McGraal craignait tellement que Rick apprenne. J'avais désormais une idée de ce que Corine avait trouvé dans son téléphone et qui l'avait mis en colère...
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Rock Hard, Love Harder
General FictionRick Rivera est une superstar du rock adulée de toutes. Mais le ténébreux chanteur cache un lourd secret... *** Pour protéger sa célébrité et son homosexualité, Rick accepte de conclure un faux contrat avec Sara suite à un concours de circonstances...