🌟55. There for you

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Ma... sœur était en train de me suivre, mais comme elle se tenait à une distance respectable, Grant ne pouvait pas réagir, et moi non plus. Et ce, même lorsqu'elle s'engouffra dans l'ascenseur après nous, à peine quelques secondes avant que les portes de celui-ci se referment.
Je ne pouvais pas me plaindre, car elle en avait parfaitement le droit. Cependant, son regard scrutateur commençait sérieusement à me taper sur les nerfs.
Après avoir exigé qu'on réembauche Will, j'avais quitté le bureau de Turner à grands pas, sous les regards intrigués de tout le monde. Je n'avais plus rien ajouté à l'intention de la psy, car peu m'importait ce qu'elle voulait ; moi, je n'avais absolument rien à lui dire.
Cependant, quelques secondes plus tard, lorsque j'avais senti quelqu'un me talonner, j'avais su de qui il s'agissait sans même avoir à me retourner. Et là, ses yeux mystérieux ne cessaient de m'analyser, comme s'ils pouvaient deviner les plus sombres secrets de mon âme.
— Que veux-tu ? explosai-je en croisant finalement son regard.
— Donc tu savais que j'existais ? résuma-t-elle en tapotant son menton de son pouce.
— Que veux-tu ? répétai-je, de plus en plus à cran.
— Créer des liens avec la seule famille qu'il me reste, exposa-t-elle de cette voix assurée et parfaitement monotone qui la caractérisait.
— Ton père est encore vivant, pour ton info, répliquai-je. Techniquement, je ne suis pas ta seule famille.
— Il n'avait jamais voulu me rencontrer. J'ai essayé, mais il s'est toujours débrouillé pour m'éviter. Apparemment, il n'y avait plus de place pour moi, dans sa vie avec toi. Mais bon, ça fait un moment que moi non plus, je ne veux plus le voir.
Elle n'était pas triste. C'était une dure vérité, mais elle semblait l'avoir acceptée depuis longtemps et être passée à autre chose.
— Crois-moi, tu n'as rien raté, soupirai-je. Si tu cherchais un père aimant et présent, t'avais pris la mauvaise direction.
Elle recommença à se tapoter le menton, un bras accoudé à l'autre sous sa poitrine ; l'expression concentrée comme si elle essayait de décrypter le message caché derrière chacune des syllabes de ma précédente phrase. Je détestais les gens qui avaient ce genre de regard, comme s'ils avaient connaissance de choses que nous autres, pauvres mortels, nous ignorions.
Heureusement, la porte de l'ascenseur s'ouvrit à ce moment-là sur le parking de l'immeuble. J'entrepris alors de mettre le plus de distance entre nous en rejoignant à grands pas, la berline de Grant.
— Laisse-moi te connaître ! lança-t-elle par-dessus mon épaule.
— Pourquoi ? pivotai-je sans cesser ma progression vers la voiture. On a rien à se dire. Qu'est-ce que t'espérais sincèrement en te ramenant maintenant ?
— Ma mère est morte le mois dernier, et je n'avais jamais connu sa famille, annonça-t-elle d'un ton nostalgique qui me figea. Je savais depuis longtemps que tu existais, mais après mon échec avec Dant, je m'étais dit qu'avec toi, je n'aurais aucune chance. Ensuite, j'avais totalement renoncé quand tu es devenu une star. Mais récemment, le désir de te rencontrer ne m'a plus quittée. Lorsque le docteur Lesly a fait appel à moi pour ton dossier, je l'ai vu comme un signe du destin. Il fallait que je te voie.
— Je suis désolée pour ta mère, m'exprimai-je avec sincérité. Mais je ne ferai pas un bon frère. Je crains malheureusement que tu n'aies plus personne, résumai-je avant de tourner les talons.
— Je peux t'aider ! s'écria-t-elle et je m'arrêtai de nouveau.
— Ai-je l'air malade ?
— Non. Mais le docteur Lesly m'a remis ton dossier. La métaphore de la femme mariée ; je crois avoir deviné ce que c'était.
— Mêle-toi de tes affaires, crachai-je d'un air menaçant, piqué au vif.
Je n'avais jamais su parler de mon homosexualité à voix haute. Je ne pouvais tout simplement pas. Maryse l'avait découvert en débarquant chez moi sans prévenir, un jour où j'y avais invité Marcos. À Daphney, je lui avais raconté ce qui s'était réellement passé chez Chrysta, et elle avait déduit la suite.
Le docteur Lesly avait senti que je refoulais quelque chose, et elle m'avait suggéré de le lui confier en utilisant des termes allégoriques. Alors je lui avais raconté que j'aimais les femmes mariées, et que j'en avais honte. On en discutait tout le temps. Elle me conseillait de vivre pour moi, de l'accepter, mais je n'y étais jamais arrivé.
J'avais préféré me convaincre du contraire, mais je savais qu'elle avait compris depuis le début de quoi je parlais. Il n'était guère surprenant que sa chère consœur l'ait deviné à son tour. Mais voilà, ça ne la regardait pas. Je ne l'avais pas accepté en tant que psy à ce que je savais. Comment avait-elle pu lire mon dossier ? Était-ce seulement légal ce qu'elles avaient fait ?
— Je ne te juge pas, promit-elle. Tu es de ma famille. Je veux juste être là pour toi.
— Je ne veux pas de ton aide. Je ne te connais pas et je n'ai pas envie de faire l'effort. Tu ferais mieux de retourner d'où tu viens, conclus-je d'un ton cassant en grimpant dans la voiture.
— Je serai là quand t'auras besoin de moi, l'entendis-je lancer au loin.
Ça n'arrivera pas ! décidai-je.
— Et je m'appelle Monica, s'écria-t-elle ensuite.
Je m'en fous de ton nom, Monica.
J'envoyai un message aux gars sur le groupe et exigeai qu'on se retrouve tout de suite au studio.
J'aurais dû être en train de m'écrouler de fatigue à cause du décalage horaire, mais mystérieusement, je débordais d'une énergie que je ne me connaissais pas jusque-là. C'était certainement dû à la colère qui grondait en moi comme un orage. Turner voulait de la rage sur ces chansons ; il l'aurait. De plus, la présence de Lucas en était une source constante ; le producteur ne risquerait pas d'être déçu.
En communiquant le moins possible, les musiciens et moi retravaillâmes sur l'instrumental de Devil's captive avec un zèle dont on faisait rarement preuve. On était tous déchaînés, comme si on voulait tout donner afin qu'on puisse s'en aller le plus vite possible.
Je ne quittai le studio que vers huit heures du soir. Et à ce moment-là, j'étais tellement crevé que je faillis rater l'appel de Daphney.
— Daph, on se parlera plus tard. Je suis fati...
— Rick, s'il te plaît, viens me chercher ! supplia-t-elle d'une voix hachée, entrecoupée de sanglots.
— Qu'est-ce qui se passe ? m'inquiétai-je, sur le qui-vive.
- Je crois... je crois que j'ai tué quelqu'un.
Pendant un moment, je restai immobile, en attendant de me réveiller du rêve. Je refusais de croire que j'avais bien entendu. Devant mon silence, Daphney paniqua de plus belle :
- Il est immobile Rick ! Il a essayé de me... de me toucher et je lui ai mis un coup de vase sur la tête. Là, il refuse de bouger. Je veux pas aller en prison, sanglota-t-elle.
Ce n'était donc pas un putain de rêve. Merde !
— Respire Daph ! Peut-être qu'il est juste dans les vapes, tentai-je de la rassurer. Baisse-toi et prends son pouls.
— Non ! s'écria-t-elle comme si je lui avais demandé de lui arracher un bras. Je veux pas le toucher. Je n'en ai pas la force, Rick. Il est mort putain ! J'ai tué quelqu'un.
Je me passai une main si fort dans les cheveux que je m'étonnai de ne pas les voir tomber après coup.
— Ok, j'arrive, soupirai-je en sentant les prémices d'une migraine. Tu es où ?
- Dans un hôtel à Hidden Hills, je crois que le nom c'est, Holiday inn express &amp ; suit. Je suis au troisième étage.
Je l'entendis bouger avant d'ajouter :
- C'est la chambre 49. Je vais pas aller en prison, pas vrai ?
— Non, ne t'en fais pas, répondis-je, priant cependant pour avoir raison. Bouge pas.
— Monsieur, tout va bien ? s'enquit Grant.
Donc mon inquiétude se lisait tant que ça sur mon visage ?
— Oui, oui ! mentis-je. J'ai besoin de tes clés.
— Quoi ?
Oui, je n'avais plus de licence. De plus, lui demander ses clés comme ça était tout à fait inhabituel. Pourtant, il me les tendit ; d'un geste quoique réticent, mais c'était déjà ça. Je le remerciai avant de m'engouffrer dans la voiture et d'attacher ma ceinture.
Malgré l'urgence et l'impatience qui habitaient chacune de mes terminaisons nerveuses, je m'efforçai d'adopter une conduite normale, afin de ne pas attirer l'attention de la police sur moi. Et finalement, après une éternité, j'atterris devant ledit hôtel en prenant le soin de bien me stationner.
Et si on me reconnaissait ? Et si c'était grave, puis mon arrivée empirait les choses ? Ma gueule était tellement repérable et je ne portais pas de sweat à capuche ! Je commençais vraiment à paniquer lorsque la solution se présenta devant moi sous la forme d'un adolescent pianotant sur son portable.
J'arrachai son bonnet et il s'arrêta de râler à la minute où je lui tendis le billet de cinquante.
— Mes lunettes sont aussi à vendre ! proposa-t-il avec enthousiasme en les sortant de sa poche.
J'acceptai volontiers et il s'écria :
— Ravi d'avoir fait affaire avec vous !
Je pénétrai dans le hall de l'hôtel en essayant de me faire discret et je finis par arriver sans encombre au troisième étage. Je toquai ensuite contre la porte que m'avait indiquée Daph et attendis en scrutant le couloir à gauche et à droite comme un criminel.
Il fallut un bon moment à mon amie d'enfance avant de demander d'une petite voix mal assurée :
— Rick ! C'est toi ?
Je répondis par l'affirmative et elle déverrouilla lentement la porte comme si elle en doutait encore. Lorsqu'elle fut certaine qu'il s'agissait bien de moi, elle plongea dans mes bras et m'inonda le torse de larmes.
— Rentrons d'abord ! suggérai-je, le cœur battant la chamade.
Je trouvai l'homme en question, étendu sur le ventre au milieu d'un petit salon d'une suite moyenne. Je m'approchai de lui et Daph s'écroula, le dos contre la porte ; elle qui en temps normal aurait presque préféré perdre un ongle plutôt que de salir sa robe noire de créateur.
Je priai intérieurement pour trouver un pouls et m'agenouillai en touchant le cou du type. Un son régulier me répondit et je soupirai de soulagement en fermant les yeux. J'en informai Daphney d'un hochement de tête et elle fut secouée de longs sanglots - de délivrance, je suppose.
Je la rejoignis par terre et enlevai le bonnet et les lunettes, que je trouvai stupides dans de telles circonstances, avant de passer un bras autour d'elle en lui caressant les cheveux.
— Chuuut ! Ça va aller, ça va aller, répétai-je jusqu'à ce que ses larmes tarissent.
— Merci ! couina-t-elle lorsque ses sanglots furent calmés.
— D'accord ! Maintenant peux-tu me dire ce qui s'est passé ? murmurai-je doucement.
Elle se redressa et me raconta :
— Une amie m'a fait faire sa connaissance. C'est un jeune réalisateur qui commence à faire parler de lui. Il m'a dit qu'il me trouvait bien pour l'un des rôles de son prochain film. Après le restau, il m'a invité à l'accompagner, histoire que je fasse un essai pour le rôle, aujourd'hui même. Détendue par le vin, je n'avais pas une seule seconde anticipé cette situation. Dès notre arrivée, il a commencé à me faire des avances, que j'avais mises sur le compte de l'alcool. Je n'ai réagi que lorsqu'il a continué de me toucher alors que je lui avais ordonné d'arrêter. Je pensais vraiment l'avoir tué. Pourquoi je me retrouve toujours dans ce genre de situation ? se remit-elle à sangloter.
Je recommençai à la câliner en la serrant fort contre moi, et on resta par terre, dans cette position durant plusieurs bonnes minutes.
— Tu penses pas qu'on doive appeler une ambulance ? Ou... je ne sais pas. Peut-être qu'il fait une commotion, s'inquiéta Daphney.
— Tant mieux alors, crachai-je.
Daphney était un cliché. Enfin, elle en avait tout l'air. La jolie blonde à la plastique parfaite, superficielle et extravagante. Les gens — enfin, les connards — se mettaient souvent en tête qu'elle était teubée, et qu'elle voudrait obligatoirement baiser, ou que ça ne la dérangerait pas s'ils entreprenaient quelque chose.
Elle était pourtant loin d'être comme ils le croyaient. Non seulement elle n'était pas conne, mais elle ne couchait pas non plus à droite à gauche.
Elle avait peur de l'engagement et des responsabilités. Je ne lui connaissais que deux ex, et l'un d'eux datait du collège. Enfin, deux ex, plus moi, mais notre relation ne comptait pas. Je ne voulais pas dire qu'elle n'avait jamais couché avec d'autres mecs, mais juste qu'elle n'était pas la machine à sexe que les gens s'imaginaient.
— Rick ! insista-t-elle. On devrait vraiment appeler une ambulance.
Je soupirai et cédai de mauvaise foi. À leur arrivée, je leur racontai que notre pseudo-ami avait glissé et heurté un coin de la table. Je leur donnai mon numéro et insistai pour qu'ils m'appellent dès qu'il se réveillerait, car j'avais envie d'avoir une discussion avec ce connard, seul, d'homme à homme.
— Qu'est-ce que je vais faire ? s'affola Daphney de nouveau, une fois l'ambulance partie. Tu imagines s'il décide de porter plainte. Rick, pourquoi ça m'arrive à moi ?
— T'en fais pas ! la rassurai-je. Il ne va pas porter plainte.
J'allais m'en assurer personnellement. Et elle ne devrait pas avoir à s'inquiéter parce que cet enfoiré avait essayé de profiter d'elle. Mais on ne savait jamais avec ce genre d'individus. Il serait peut-être capable de tout nier en bloc pour endosser le rôle de la victime.
— Mais je ne peux pas m'empêcher de m'en faire, paniqua Daphney. Je ne veux pas aller en prison.
Je la pris fermement par les épaules et l'incitai à me regarder.
— Hey, tout va bien se passer. Je te le promets.
— D'accord, s'autorisa-t-elle à souffler en m'enlaçant.
Il était presque minuit lorsque je vérifiai l'heure dans mon portable qui s'éteignit aussitôt. Mon amie d'enfance se contentait de fixer la route, la tête appuyée contre la vitre, perdue dans ses pensées.
Elle m'avait demandé de rouler sans m'indiquer une destination fixe et je m'étais contenté d'obéir, vu son état ; tout en croisant les doigts pour que la police ne me tombe pas dessus. J'étais fatigué et j'avais mal à la tête. Par deux fois, je m'étais surpris à passer au même endroit sans vraiment savoir où je me situais, mais je n'avais pas le cœur à la laisser tomber.
J'engageais un virage qu'à mon avis, j'empruntais pour la deuxième fois, lorsque ma passagère se mit à fredonner une chanson des Beatles qui passait à la radio. Je montai le volume et chantonnai I want to hold your hand avec elle. Elle m'adressa un petit sourire reconnaissant et on ne prit pas longtemps avant de chanter à tue-tête, comme des adolescents sur la route.
Il était minuit passé quand je remarquai que mon réservoir était à sec. Ce ne serait pas un problème si je ne me trouvais pas sur une route déserte dans la vallée de San Fernando.
Comme la batterie de mon téléphone était à plat, j'empruntai celui de Daph, mais réalisai vite que je ne connaissais pas le numéro de mon garde du corps par cœur.
— T'as Ty dans tes contacts, pas vrai ?
— Euh, pourquoi ? demanda la blonde, d'un air prudent, en attendant de voir où je voulais en venir.
— Je veux l'appeler, il saurait peut-être le numéro de Grant, expliquai-je et elle se détendit quelque peu.
— Ah d'accord. Vas-y ! Appelle-le ! Enfin si...
Le guitariste décrocha à la première sonnerie et je n'entendis pas le reste de la phrase de mon amie.
- Daph ? fit Ty avec une intonation surprise.
— Non, c'est moi.
- Rick ! Que fais-tu avec le téléphone de Daphney ?
— Elle était...
L'intéressée secoua la tête en signe de négation signifiant que je ne devais pas poursuivre, alors j'inventai :
— Elle était bourrée et m'a appelé pour venir la chercher. Maintenant, on est coincés. Tu n'aurais pas le numéro de Grant, par hasard ?
— Ah ! fit-il tout simplement.
J'attendis, mais il n'ajouta pas grand-chose.
— Ty ?
- Ah oui, le numéro. Je crois que je l'ai. Et... Daphney est à côté de toi ?
— Oui, elle... dort. Elle s'est pris une grosse cuite.
— Ah ! répéta-t-il comme s'il se demandait s'il devait me croire ou non.
— Le numéro, Ty ! insistai-je.
- Je raccroche et te l'envoie par sms.
— Merci, je te revaudrais ça.
— Hum, conclut-il avant de couper l'appel.
Ty avait toujours été bizarre, mais ces derniers temps, on aurait dit que ça s'était empiré. Je me tournai vers Daphney et demandai, curieux :
— Il y a quoi exactement entre vous ?
Elle n'eut pas le temps de répondre. Le message était déjà là. J'appelai l'ancien flic qui me promit d'arriver dans peu de temps. J'avais sa voiture en main et lui téléphonais à minuit pour venir me chercher au milieu de nulle part. À mon avis, il devait vraiment penser à se trouver un nouveau travail ou alors à demander une augmentation à Turner.
— Merci d'être venu, s'exprima Daphney avec sincérité.
— Je n'avais pas de raisons de ne pas venir. Je ne compte même plus le nombre de fois où tu m'as sauvé les fesses, lui souris-je tendrement.
— Tu ne peux pas les compter, car ils sont de zéro. Tu as toujours été là dans ce genre de situations, que j'aurais honte de laisser qui que ce soit d'autre découvrir, sous peine d'être traitée d'empotée. Je ne sais pas ce que je ferais sans toi.
— Tu penses que j'aurais fait ça pour une profiteuse ? Ne te sous-estime pas Daphney Bross, t'es une amie géniale !
— Je peux m'appuyer sur toi ? lança-t-elle de but en blanc.
— Euh, oui. Vas-y !
Elle se blottit contre moi et je passai une main sur ses épaules dans le silence de la voiture.
J'avais eu Sara dans la même position, il n'y avait même pas une journée de cela. Pourtant, là, c'était totalement différent. Mon cœur ne s'emballait pas, je ne lui caresserais pas non plus les cheveux en souriant de bonheur.
La magie ne s'opérait qu'avec cette mini tornade aux yeux verts qu'était la femme de ma vie. D'ailleurs, elle devait être morte d'inquiétude à cette heure. Je m'en voulais beaucoup de ne pas l'avoir prévenue de mon retard, mais tout était allé si vite.
— Ty veut plus, mais moi pas, s'éleva la voix de Daphney quelques minutes plus tard.
— Quoi ?
— Tu m'as demandé ce qu'il y avait entre nous. Il veut plus, mais moi non, répéta-t-elle. Je ne me rappelle même plus comment on s'était retrouvé à coucher ensemble. Au début, je voyais bien qu'il me méprisait et je le lui rendais bien. Puis tout s'est enchaîné tellement vite. Je me suis réveillée dans son lit et il a proposé qu'on se revoie, mais j'ai refusé. Je crois que ça l'a blessé et il m'a craché que ça ne l'étonnait même pas venant de moi ; que je ne valais pas plus que ce qu'on disait de moi, que j'étais superficielle etc etc. C'était pour ça que j'étais furieuse quand j'ai découvert que c'était lui qui gardait K-pop en revenant de Paris. On se détestait. Enfin moi, je le haïssais. Mais on s'est recroisé par hasard et encore une fois, on s'est retrouvé sous la couette... Puis une autre fois, et une autre fois...
Elle s'interrompit et replaça quelques mèches rebelles derrière ses oreilles avant d'enchaîner :
— J'aime bien sa présence. Je veux dire, il y a ce truc entre nous... Enfin, niveau sexe. Et pour le moment, je ne veux pas plus. Je le lui ai répété, et pas plus tard qu'hier, on s'est encore disputé. Je ne sais même pas pourquoi il a répondu à l'appel, vu qu'il m'a assuré ne plus vouloir de contact avec moi. Mais bon, ce n'est pas comme si c'est la première fois.
— Je pense que tu devrais être moins dure avec lui, opinai-je. C'est un mec bien, tu sais ?
C'était vrai. Je n'aurais jamais dit ça d'un autre de mes musiciens. Mais Ty n'était pas comme eux. Il n'était pas du genre à sauter de fille en fille comme Jason et Lucas. Il sortait rarement faire la fête. En plus, il était tellement réservé ! Quatre ans qu'on travaillait ensemble et je ne savais quasiment rien de lui. Cependant, je ne pouvais pas critiquer en mal le peu qu'il m'avait laissé voir. Apparemment Daphney, elle, n'était pas du même avis.
— Il est tellement...
— Bizarre, terminai-je avec un petit rire.
— Oui ! Un moment, il est disposé à discuter. Il m'écoute et parfois même, on rit. Mais la plupart du temps, il est renfermé sur lui-même, il ne parle presque pas... comme s'il n'était plus de ce monde. En plus sa manie de me critiquer et me juger à chaque fois qu'on se dispute... Je... Bref, je ne veux pas de relation avec Ty Felton.
— Je ne sais pas quoi te dire, admis-je. Je ne suis pas le plus doué pour donner des conseils de couple.
— On n'est pas un couple ! objecta-t-elle. Je ne veux pas être en couple. Enfin, pas comme ça. Peut-être que je cours après une chimère. Mais je veux quelque chose d'unique. Quelqu'un qui me voit vraiment ; qui ne me juge pas comme tout le monde le fait. Genre, si on pouvait d'abord devenir meilleurs amis, pour qu'il apprenne à me connaître... Mais personne ne veut jamais devenir meilleur ami avec moi. On veut juste me sauter. J'en ai marre ! Ty, lui, je ne saisis pas trop ce qu'il veut dire par « Je veux plus » , mais ce n'est certainement pas ce que moi, j'ai envie.
— Tu as au moins essayé de lui demander de devenir ton meilleur ami ? tentai-je.
— Il me trouverait stupide, fit-elle en haussant les épaules. Tout le monde me trouve stupide ou outrancière.
— Donne-lui sa chance, tu ne sais jamais. Et moi, je ne te trouve pas stupide. Originale, te va mieux, à mon avis. D'ailleurs, pourquoi t'as appelé ton chien K-pop ?
— La ferme ! grogna-t-elle en me tapant sur le torse.
— Je veux dire pourquoi pas Hip-Hop ou Jazz ? m'amusai-je en faisant fi de sa remarque.
Elle rigola en me tapant à nouveau et je feignis d'avoir mal pour lui faire plaisir.
On passa les quelques minutes suivantes à discuter et à se marrer. Après un moment, j'oubliai même les évènements désagréables de la veille qui nous avaient conduit là. Et j'avais l'impression qu'à elle aussi, ça lui était momentanément sorti de l'esprit, pour mon plus grand bonheur.
Malheureusement, l'arrivée de Grant mit fin à nos échanges. On se promit de s'appeler, et le colosse nous ramena chez nous, Daphney la première.
Sara dormait encore, lorsque je rentrai enfin. En espérant qu'elle ait mangé, je ne la réveillai pas, car je n'avais pas l'énergie pour expliquer mon retard. Je pris une douche et me blottis sous mes draps, sans même prendre la peine de m'habiller.
Je me réveillai le lendemain vers dix heures, avec une faim de loup. J'avais encore sommeil, mais les gargouillements de mon ventre m'encouragèrent à sortir du lit. Je trouvai un petit mot de Sara sur ma table de chevet et je me mis à sourire avant même de commencer à lire.
« Je n'avais pas le cœur à te réveiller. Tu semblais si profondément endormi. Je t'aime même si tu ronfles. On se parle plus tard. OK »
Elle n'était donc pas en colère pour hier ! Soulagé d'un poids, je descendis les escaliers, le cœur léger en quête de quoi engloutir.
Encore une fois, Nan avait pensé à tout en me préparant un festin de roi hyper protéiné, en guise de petit-déjeuner. Son augmentation devenait vraiment un impératif, ce mois-ci.
Je passai le reste de la journée au studio et ne rentrai qu'à sept heures du soir, presque en même temps que Sara, qui avait visiblement passé son permis, car ce n'était plus Quinn qui conduisait pour elle.
Je lui fis un long câlin dans le vestibule et lui demandai finalement entre deux baisers :
— Ça va ?
— Ça va ! Mais t'es pas rentré hier soir et j'ai pas pu te joindre, énonça-t-elle avec un pli sur le front.
— Hey ! C'est sexy. Elle joue à la petite femme protectrice, m'amusai-je.
— Alors, t'étais où ? s'enquit-elle sans se départir de son air grave.
— Il s'est passé... commençai-je avant d'être interrompu par l'interphone dans lequel on annonçait un visiteur.
— Qui ? grommelai-je à mon gardien.
Peu importait qui voulait me voir, je n'étais pas d'humeur. Mais la visite était pour Sara, pas pour moi.
— Un certain monsieur Adams prétend vous rapporter quelque chose que vous avez oublié dans sa voiture. Dois-je le laisser entrer ? se renseigna l'employé.
— Non, j'arrive, répondit Sara en sortant immédiatement dans la cour.
Évidemment, je lui emboîtai le pas, car je voulais comprendre ce qui se passait exactement.
Mon ancien camarade se tenait devant la barrière, dans toute sa splendeur, un sourire idiot sur ses lèvres parfaites, que j'eus tout de suite envie de lui enlever avec mon poing. Le pire, c'était que Sara lui sourit en retour en récupérant son téléphone à travers la grille.
— Tu peux m'expliquer ce que faisait ton putain de téléphone entre les mains de Shawn ? explosai-je.

Rock Hard, Love HarderOù les histoires vivent. Découvrez maintenant