J'avais eu le temps d'apercevoir Marcos, assis sur son lit d'hôpital faisant face à un gringalet aux cheveux crépus et au sweat trop large. Celui-là, je ne l'avais vu que de dos, mais rien qu'à sa façon de parler, j'avais su qu'il n'était pas net.
— J'ai besoin d'argent, avait-il dit en reniflant, comme pour me donner raison. Voyons cousin, je ne veux pas vraiment te faire du mal.
Sa voix était nerveuse, comme s'il se retenait de ne pas faire une certaine chose. De plus, ses reniflements répétés étaient plus que douteuses. Cependant, ça ne semblait pas atteindre Marcos, qui avait répondu avec son calme habituel :
— Je n'ai pas tout cet argent. Et même si je l'avais, je ne te le donnerais pas.
Suite à cela, la voix du noiraud était montée de façon inquiétante et c'était là que je m'étais figé avant d'atteindre la porte de la chambre.
— J'ai pas hésité à tuer mon partenaire pour toi ! Pour que le secret de ton petit chéri reste intact.
— C'était ton choix ! argua Marcos avec véhémence. Je t'ai juste dit que j'ai changé d'avis, que je ne voulais plus qu'on divulgue ces vidéos. Tu aurais seulement pu lui prendre l'appareil photo des mains. C'est toi qui a choisi de le tuer.
— Il ne voulait pas lâcher l'affaire, expliqua-t-il en reniflant à nouveau. Il imaginait le fric que pouvait rapporter un scoop comme ça sur ton petit copain. Mais toi et moi, on est de la même famille ; je respecte ta volonté. Je veux juste un peu d'argent, après je te laisse tranquille.
— Sors de ma chambre, Jhonny ! somma Marcos d'une voix éreintée comme s'il s'adressait à un gamin particulièrement épuisant.
— Marcos, je n'ai pas envie de faire ça, menaça le fameux Jhonny. Je sais à quel point, tu auras mauvaise conscience après. C'est vrai, je te connais assez bien ; on a grandi ensemble après tout.
— Je suis ici à cause de toi ! s'emporta l'intéressé.
— Voilà ! s'écria Jhonny comme si c'était évident. J'aurais pu te tuer, mais je l'ai pas fait. J'aurais pu vendre ces photos à un magazine à potins, mais là encore, je m'en suis abstenu. Tout ce que je te demande, c'est un peu de fric et comme bonus tu récupéreras ces fichues photos et vidéos. Tu traînes avec les riches maintenant, tu as dû amasser un max d'argent depuis le temps. Allez Marcos, je n'ai pas envie de me fâcher et toi aussi, je te le promets.
Je n'arrivais pas à croire ce que je venais d'entendre. C'était donc lui qui m'avait fait suivre en Grèce ! Il avait voulu dévoiler mon secret à mon insu, après m'avoir promis à maintes reprises qu'il comprenait. Je me sentais trahi. Et le fait qu'il ait changé d'avis à la dernière minute ne changeait absolument rien, puisqu'un homme était mort par sa faute.
— Combien ? demandai-je en entrant dans la chambre.
Surpris de cette intervention, ils se tournèrent brusquement dans ma direction. Le fameux Jhonny me détailla de la tête au pied et un sourire carnassier pris naissance sur sa face de racaille. Quant à Marcos, je ne saurais décrire l'expression sur son visage à ce moment-là, car je n'avais pas eu la force de le regarder.
— Combien d'argent tu veux ? répétai-je en feignant l'ennui.
— Cinquante mille dollars, répondit le truand sans hésiter.
— Et tu remettras tous les fichiers en ta possession ? Tu n'en souffleras rien à personne ?
Il acquiesça en insérant ses mains dans la poche de son sweat. Mais comment pouvait-on avoir confiance en ce type d'individus ?
— Qu'est-ce qui me garantit que tu n'as pas des copies quelque part pour quand t'auras à nouveau besoin d'argent ? Tu n'as pas hésité à tuer un homme. Pour quelle raison te ferais-je confiance ?
— Tu n'as pas trop le choix, ricana-t-il d'un air mauvais. Écoute, si j'en avais eu l'intention, il y a longtemps que ton petit secret n'en serait plus un. J'ai toutes les preuves pour ça, crois-moi. Mais pour une raison que j'ignore, mon cher cousin-ci présent ne veut pas que ça se sache, alors...
Il adressa un sourire démoniaque à ce dernier avant de reprendre en reniflant :
— Je suis une pourriture, je sais. Mais je n'en ai rien à faire de qui baise qui. Ou alors qui fait sensation dans la presse. Mon seul centre d'intérêt, c'est le fric. Vos petites machinations et complots entre riches ne m'intéressent pas. Je n'ai rien contre Marcos, il m'a juste demandé un service. Mais il fait partie des autres, maintenant. Si je peux lui extraire de l'argent, je le fais. Aussi simple que ça. Payez et plus jamais vous n'entendrez parler de moi. À moins, bien sûr que Marcos n'ait à nouveau besoin d'une petite faveur...
Je ne me sentais toujours pas capable de me tourner dans la direction de mon ex amant. Mon cerveau fonctionnait à plein régime pour déterminer si je devais donner cet argent ou pas. C'était Marcos qui avait déconné ; pourquoi serait-ce à moi de régler ça ? Mais en même temps si je ne le faisais pas, ce type pourrait lui infliger n'importe quoi. Et il ne fallait pas oublier que si Sara apprenait pour ma relation avec le photographe, il était fort probable que je la perde à jamais.
— Ce soir, 18 h, cédai-je. Derrière l'hôpital. Je te donne l'argent, tu me remets tout ce que t'as en ta possession.
— Ne sois pas en retard, me prévint Jhonny avec un sourire victorieux. Je fais des choses pas très nettes pour faire passer le temps.
Je n'en doutais pas une seconde.
Suite à cela, il sortit, et nous laissa seuls dans la chambre. Ses pas résonnèrent quelque temps dans le couloir, puis finalement, un lourd silence s'installa dans la chambre.
Je m'adossai à un mur et me mis à taper du pied tandis que mes yeux se posaient partout dans la chambre, sauf sur Marcos. Et vu le temps pendant lequel s'étira ce silence pesant entre nous, je doutais que lui aussi hésitait à prendre la parole. La tension qui régnait dans la salle était presque palpable et plus d'une minute s'écoula avant qu'il ne lâche enfin :
— J'imagine que c'est le moment où tu vas te mettre en colère et me crier dessus.
— Non, contredis-je en croisant finalement son regard. C'est celle où je vais sortir de cette chambre pour ne plus jamais y remettre les pieds.
— Pourquoi ? Parce que je t'aime et que je suis jaloux ? ricana-t-il sans enthousiasme.
— Non, parce que tu t'es foutu de moi ! explosai-je. Tu m'avais dit que tu étais OK ! Tu m'avais promis que tu comprenais, mais tu as osé organiser tout ça dans mon dos. Comment as-tu pu me faire ça ?
— Mais bien sûr ! Il n'y a que Sa Majesté qui ait des sentiments. Il n'y a que toi qui aies le droit de faire des erreurs. Je te rappelle que je ne suis même pas allé jusqu'au bout. Même à la dernière minute, je me suis mis de côté, ENCORE UNE FOIS. J'ai préféré mettre mes sentiments en sourdine pour respecter ta foutue volonté !
— Quelqu'un est mort par ta faute !
— Ce n'était pas censé se passer comme ça !
On était dans un hôpital. À force de nous crier dessus, il y avait de fortes chances qu'un médecin ou qu'une infirmière rapplique. Si j'avais pu passer l'entrée en rabattant ma capuche sur mon visage, je doute que ça suffise pour passer inaperçu si on m'accusait d'agresser un malade. Je fis glisser mes doigts dans mes cheveux et pris le temps de respirer pour me forcer à me calmer.
— Comment penses-tu que je vais faire pour te pardonner ça ?
Marcos quant à lui, ne semblait pas prêt à vouloir baisser d'un ton. Son calme légendaire s'était comme envolé et il me cracha, furibond :
— De la même façon que j'ai tout fait pour te pardonner d'avoir baisé cette fille dans mon dos et de m'avoir pris pour un con. De la même façon que j'ai accepté de mettre mon ego de côté et de tolérer ce foutu mariage. Tout ça, parce que tu n'es pas fichu d'accepter qui tu es. Tu préfères accuser le monde entier au lieu d'admettre que c'est toi qui en as honte. Tu aimes les hommes, Rick. Ça ne se change pas.
Je ne l'avais jamais vu aussi en colère. Ses yeux lançaient des éclairs et il les planta droit dans les miens en poursuivant :
— Je sais que ce que j'ai fait est mal. Je ne voulais pas que ça en arrive là. Mais toi, tu trouves des raisons à toutes tes erreurs, pourquoi pas moi ? Parce que c'est toi la star ? Tu as été un parfait connard « à cause de ton père », cita-t-il en mimant les guillemets. Tu as été égoïste toute ta vie « à cause de la solitude que t'as connue étant enfant » . Tu me trompes, Rick, dès le début de notre relation ; pour ça t'as même pas d'excuse. Et bien sûr, ajouta-t-il d'un ton ironique. Tu t'es marié parce que dévoiler que t'es gay n'était pas bon pour ton image...
Il s'arrêta brusquement et fixa le plafond en expirant par la bouche comme pour se ressaisir. Apparemment, ça ne marcha pas, car il reprit, fulminant :
— Moi, j'ai pas tenu une promesse. Une promesse stupide qui m'a exigé de museler tout ce que j'avais d'amour-propre. Oui, j'ai failli dévoiler ton secret que j'ai promis de garder. Mais c'est parce que je t'aime. Parce que l'idée de vous imaginer tous les deux m'arrache le cœur, alors que ce serait si simple qu'on soit ensemble, toi et moi. Mais OK, c'est moi le grand méchant. Je ne mérite pas d'être pardonné. Je mérite que tu me largues maintenant pour que t'ailles te consoler dans les bras de Sara, parce que je t'ai brisé le cœur ! Pauvre Rick ! railla-t-il.
— Arrête ! soufflai-je en fermant les yeux.
Je ne voulais plus rien entendre. J'avais besoin de temps pour démêler mes émotions, dont la colère, la culpabilité et la déception se disputaient la première place. J'avais mal à la tête et peinais à garder mon calme.
— Sinon quoi ? me nargua Marcos. Tu vas me frapper ? Tu vas te battre avec moi comme tu l'as fait avec tous ceux qui n'agissaient pas selon ton bon vouloir ? Comme tu as cogné ton propre père ? Au fond, avait-il tort ? Non, la bonne question, c'est : était-il si mauvais, ou as-tu tout inventé pour avoir le beau rôle comme d'habitude ? Et même si vraiment, il était quelqu'un de méchant ; je suis sûr que c'est de ta faute. Après tout élever un fils égoïste comme toi doit laisser des séquelles. Quelqu'un qui naît en tuant sa mère...
Je crois que tout le monde avait déjà connu un de ces moments dans une conversation où soit eux, soit leur interlocuteur, savaient être allés trop loin.
À ce moment-là, Marcos aussi le savait. Son visage avait perdu son expression furieuse pour adopter une autre, surprise. C'était comme si lui-même était étonné de ce qu'il venait de dire. Surpris ou pas, le mal était déjà fait, et ça avait eu l'effet escompté : celle d'un coup de massue en pleine poitrine.
Je n'étais pas directement responsable de la mort d'Elza ; elle était décédée en me donnant naissance. Pourtant, Dant me sortait toujours cette accusation quand il était en colère : il me crachait au visage que sa femme n'aurait pas dû mourir pour un moins que rien comme moi. Et à chaque reprise, ces mots avaient eu le mérite de flageller une partie de mon cœur.
J'avais raconté tout ça à Marcos : chaque détail de mon enfance ; mon mal-être en grandissant ; cette impression d'avoir été maudit... Tout. Il savait mieux que quiconque à quel point c'était un sujet sensible dans mon cas, mais il n'avait pas hésité ; remuant un couteau dans une plaie qui commençait à peine à cicatriser.
— Bien ! prononçai-je en guise de toute réponse avant de tourner les talons, un nœud dans ma gorge, menaçant de m'étouffer à tout moment.
— Rick, je...
Je ne m'arrêtai pas. Peu importait ce qu'il avait d'autre à me dire, je m'en foutais. Je voulais être le plus loin possible de lui. Je voulais disparaître. Je voulais fuir L.A. et tous ses problèmes... Mais avant, je voulais me recroqueviller dans un coin et pleurer.
C'en était trop. C'en était putain de trop ! Je luttais pour ne pas craquer dans la rue, mais des larmes silencieuses dévalèrent quand même mes joues.
Je me sentais minable. J'avais mal et étais à deux doigts de m'effondrer avec toute cette pression sur les épaules. Marcos était juste la goutte d'eau à faire déborder la vase. Je n'en pouvais plus.
Je réussis cependant à tenir durant tout le trajet en taxi, mais en arrivant chez moi, j'implosai. Je m'écroulai juste après avoir fermé la porte d'entrée et je pleurai de toute mon âme. De colère, de frustration, de déception, de culpabilité, de dégoût, de douleur... J'en avais marre de toute cette merde. Je donnerais vraiment tout pour disparaître.
Je ne saurais préciser combien de temps je passai par terre à me lamenter, mais à un moment donné, mes sanglots s'arrêtèrent et je me recroquevillai encore plus sur moi-même. Je n'avais plus la force de me relever. Je me sentais vidé, faible, dégoûté...
Enfin, jusqu'à ce que ces bottines que je connaissais tellement apparaissent dans mon champ de vision. Dès que je les vis, un regain d'énergie me parcourut et je levai la tête vers leur propriétaire ; nullement embarrassé d'être découvert dans cette position. J'étais encore trop épuisé pour être gêné.
De plus, vu son état à elle, je doute qu'elle fût d'humeur à se moquer du mien. À ma grande surprise, j'avais découvert ses yeux dans la même situation que j'imaginais les miens : gonflés et rougis par les larmes.
Peut-être qu'elle aussi avait besoin d'une pause. Peut-être qu'on n'avait plus rien à faire dans cette ville. Avec espoir, je me redressai pour être à sa hauteur et l'implorai, en plaçant tout mon désespoir dans ma voix :
— S'il te plaît, pars avec moi !
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Rock Hard, Love Harder
Genel KurguRick Rivera est une superstar du rock adulée de toutes. Mais le ténébreux chanteur cache un lourd secret... *** Pour protéger sa célébrité et son homosexualité, Rick accepte de conclure un faux contrat avec Sara suite à un concours de circonstances...