À peine passé la porte d'entrée, je pris la direction du home bar qui avait été rénové depuis un moment, après ma casse de la dernière fois.
De toute façon, je n'avais touché qu'aux boissons. Les étagères lumineuses, désormais occupées par de nouvelles bouteilles rutilantes étaient restées intactes. De même que le comptoir en arc de cercle, avec son allure graphique qui lui était conférée par les lumières encastrées sous le bar. Tout était parfaitement soigné.
Personne ne pourrait deviner qu'un mois plus tôt, le home bar avait souffert de l'une de mes crises de colère.
Sara déboula dans la pièce, alors même que j'allais me servir un verre de Whisky. Elle parcourut la salle aux murs noirs du regard, en s'attardant sur les ampoules des néons blancs, comme si elle les remarquait pour la première fois. Finalement elle posa les yeux sur moi et s'avança d'un air déterminé.
Je n'avais pas envie de parler. J'aurais préféré qu'elle poursuive un peu plus longtemps sa contemplation.
Personnellement, j'aimais particulièrement le décor en noir et blanc de cette bâtisse choisie par les soins de Maryse.
Je me rappelais que lorsque ma psy avait conseillé à mon équipe de m'accorder du repos à la fin de Fantasy tour, je n'avais pas vraiment de maison à proprement parler. À l'époque, je respirais à peine entre les avions, les hôtels, et les bus de tournée.
J'avais presque enchaîné trois tournées mondiales l'une après l'autre.
Donc quand pour la première fois, dès le début de ma carrière à dix-huit ans, j'allais avoir des « vacances ». Maryse m'avait fait remarquer que je ne pourrais pas passer tout ce temps dans un hôtel, qu'il me fallait un toit à moi.
— Choisis ce que tu veux, tant qu'il y a du noir et du blanc, avais-je exigé.
Et j'avais obtenu cette magnifique maison avec mezzanine, avec effectivement, du noir et du blanc à volonté.
Mais c'était le cadet des soucis de Sara.
J'avais espéré la voir abandonner, après mon comportement peu encourageant dans la voiture. Cependant, elle s'installa, le visage grave, sur un tabouret juste en face de moi.
Elle attendit ensuite patiemment que je termine de remplir le verre posé sur le comptoir en inox, puis sans prévenir, elle l'attrapa avant moi.
— Tu as un vol demain tôt, me rappela-t-elle. Un verre chez toi est toujours suivi d'au moins une dizaine d'autres, c'est pour toi que je fais ça, se justifia-t-elle en l'avalant cul sec.
Ensuite, elle grimaça et reposa le récipient vide en me défiant de regard.
Qu'est-ce qui venait exactement de se passer ?
— Je peux le remplir, tu sais ? fis-je remarquer en haussant un sourcil.
— Et moi, je peux le reboire, rétorqua-t-elle, ses yeux émeraude vissés aux miens, en se croisant les bras sur le bar. On n'est pas des gamins. Évitons tout ça. Maintenant, pour la dernière fois Rivera, que s'est-il passé avec ton père ?
— Sara je...
Elle me décocha sa mine grave spéciale : « Je t'interdis de me sortir un bobard ! » , et je dus me résoudre à cracher le morceau.
Je m'accoudai au comptoir et me pris la tête entre les mains.
— Je lui ai cassé le nez, avouai-je en déglutissant difficilement. Enfin, je crois... Mais ça a pissé le sang.
Je ne relevai pas tout de suite la tête, car j'imaginais l'expression déconfite de Sara. Son silence ne fit qu'augmenter mon sentiment de culpabilité et tentai-je de me justifier maladroitement.
— C'est la première fois depuis longtemps que j'ai autant perdu le contrôle. Je te jure ! Et c'était comme s'il faisait tout pour me sortir de mes gonds.
Après un temps qui me sembla interminable, elle finit par commenter d'une voix hésitante :
— Eh bien ! On peut dire que c'était soirée spéciale boxe aujourd'hui.
Lorsque j'osai la regarder enfin, il n'y avait aucune trace de dégoût ou de reproche sur son visage comme je m'y attendais. J'avais quand même frappé un homme qui faisait deux fois mon âge, et qui plus est allait mourir. Tout le monde avait le droit de m'en vouloir sur ce coup-là. Et même si je détestais Dant, je n'étais néanmoins pas fier de mon geste.
Cependant, le visage de Sara trahissait uniquement de l'incompréhension. Ce qui me soulagea un peu et me poussa à poursuivre :
— Je voulais qu'il s'excuse. Je sais que cela peut paraître stupide et capricieux, mais j'en ai besoin pour pouvoir tirer un trait sur ce chapitre de ma vie.
Presque instinctivement, je déposai une main sur la sienne à la recherche de contact. Comme elle ne se dégagea pas, cela m'encouragea à enchaîner :
— Je ne dis pas ça pour justifier mon acte, mais plutôt pour que tu comprennes. Il ne regrettait rien, ou alors il n'en avait vraiment pas l'air. Ça m'a blessé à un point que tu ne saurais même pas imaginer.
Sara, je n'ai pas encore la force de pardonner à quelqu'un qui n'est pas désolé de m'avoir fait de la peine. Il a agi comme si la façon dont il m'a traité était normale, juste parce qu'il avait de soi-disant raisons de le faire. Sara je...
La rage contre laquelle j'avais lutté toute ma vie revenait au galop et m'empêchait de continuer. Je m'éloignai d'elle de peur de faire quelque chose de stupide, et lui tournai le dos. Je contractais les mâchoires en faisant face aux rangées de bouteilles qui n'attendaient que d'être servies et me passai les deux mains dans les cheveux . Finalement je fermai les yeux et entamai une longue et profonde respiration pour tenter de me détendre.
Sara passa derrière le comptoir et se rapprocha de moi.
— Écoute ! débuta-t-elle, le front plissé. Je ne vais pas dire que je sais ce que tu ressens. Mon père... Mon père ne m'avait jamais maltraitée. Mais je sais que c'est l'un des tours préférés de la vie : nous mettre comme ça, face à nos plus grands maux du passé et nous intimer l'ordre de pardonner aux responsables. Comme si c'était aussi facile ! pesta-t-elle en levant les yeux au ciel. Ton père n'a pas compris qu'il fallait y aller doucement. Mais tu es un homme maintenant, tu n'as plus à encaisser et ensuite exploser. Fixe les règles ! Dis-lui ce que tu veux. Peut-être que lui-même ne se rend pas compte de ses erreurs.
Elle était tellement... C'était qui cette fille ? Elle était juste parfaite. J'avais envie de la serrer dans mes bras et de ne jamais la laisser partir. Mais ça voudrait dire que j'avais l'intention de suivre ses conseils. Or, même si ses mots m'avaient touché. C'était fini pour moi et Dant.
— Merci, prononçai-je en forçant un sourire, qui sortit plutôt comme une grimace. De toute façon, ça n'a plus d'importance. C'est fini, je n'irai plus le voir.
— Mais Rick...
— C'est fini, Sara ! tranchai-je en pivotant pour lui faire face.
C'en fut suivi d'un long moment pendant lequel on se dévisagea intensément : regard bleu dans regard vert ; nos visages n'étant désormais plus qu'à quelques centimètres l'un de l'autre. Irrésistiblement, mes yeux furent attirés par sa bouche pleine, et je me surpris à trouver la petite coupure sur sa lèvre inférieure sexy.
Avaient-elles le même goût sucré que l'autre fois ? La petite blessure, changerait-elle quelque chose ?
Lorsque mes yeux remontèrent enfin contrer les siens, je ne pus manquer les clignements répétés de ceux-ci. C'était comme si elle luttait afin de s'éclaircir les idées.
Est-elle en train de penser aux mêmes choses que moi ? Ne pus-je m'empêcher de me questionner.
Instinctivement, je comblai la faible distance entre nous afin de rapprocher encore plus nos lèvres. Cependant, avant qu'elles ne puissent se toucher elle me repoussa légèrement de ses paumes.
— Ce n'est pas une très bonne idée ! estima-t-elle, sans parvenir à cacher l'effort que cela lui demandait.
— Non, pas du tout ! affirmai-je à contrecœur.
— C'est mieux si on s'en tient à notre accord initial, renchérit-elle sans quitter mes lèvres des yeux.
— Oui, je comprends. On s'en tient à notre accord, répétai-je comme un idiot alors que je n'en pensais pas un mot.
Et on resta planté là, à regarder partout ailleurs, sauf dans la direction de l'autre, un malaise palpable planant entre nous.
— T'es sexy avec de l'eye-liner ! dit-elle d'une voix suave au bout d'un moment.
— Merci, souris-je, touché par son compliment. Moi, j'adore ton caraco...
— Même si il est à motif fleuri, termina-t-elle avec moi, ce qui nous fit rire tous les deux.
Effectivement, je me moquais souvent de son obsession pour les vêtements à imprimé fleuri. Alors, quand l'un d'entre eux me plaisait malgré tout et que je la complimentais dessus, j'ajoutais toujours ça en fin de phrase. Mais je ne pensais pas qu'elle avait retenu.
Une fois nos rires éteints, le silence pesant s'installa de nouveau entre nous. Je décidai d'y mettre fin en tournant les talons.
— Eh bien, bonne nuit ! murmurai-je en la contournant.
Cependant, elle me surprit en me retenant par la main.
— Attends ! s'écria-t-elle en serrant très fort les yeux, comme si elle n'arrivait pas à croire qu'elle ait dit ça.
J'attendais sa prochaine réaction comme ma prochaine respiration. Celle-ci arriva finalement au bout d'une trentaine de secondes.
— Embrasse-moi, me pria-t-elle en gardant ses paupières closes.
J'avais envie de lui demander si elle en était sûre. Mais comme ça risquait de gâcher le moment, je m'avançai lentement, lui laissant largement le temps de changer d'avis. Je déposai ensuite délicatement une paume sur sa joue, puis une deuxième, avant de cueillir tendrement ses lèvres avec les miennes.
Et oui ! Elles avaient toujours cet exquis goût sucré ! fut ma première pensée.
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Rock Hard, Love Harder
Ficción GeneralRick Rivera est une superstar du rock adulée de toutes. Mais le ténébreux chanteur cache un lourd secret... *** Pour protéger sa célébrité et son homosexualité, Rick accepte de conclure un faux contrat avec Sara suite à un concours de circonstances...