⭐79. Sors

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— Eh ben, comme tu peux le voir, je suis en vie, soupirai-je en essayant de relativiser... Au fait, je voulais te dire que j'étais désolé de ne pas avoir répondu à tes messages la dernière fois, m'excusai-je avec autant de sincérité que de sérieux. Tu méritais mieux que ça. Tu méritais mieux que tout ce que je t'ai offert. J'espère que tu t'en rends compte. Je regrette la façon dont je t'ai traité. Je... je n'étais pas prêt pour notre relation. On va dire que j'ai rencontré une bonne personne à un mauvais moment de ma vie, terminai-je avec un petit sourire triste.
Il resta interdit plusieurs bonnes secondes avant de se mettre à me dévisager les sourcils froncés, comme s'il me voyait pour la première fois.
J'aurais dû lui faire mes excuses plus tôt. La façon dont je l'avais traité était vraiment ignoble. J'espérais qu'il arriverait à me pardonner un jour.
— Et là... tu es prêt ? demanda-t-il d'une voix hésitante.
— Plus ou moins, admis-je avec un long soupir en me mordant la lèvre inférieure à l'endroit où savait être mon labret.
On m'avait enlevé tous mes piercings à l'hôpital et je n'avais jamais encore pris le temps de les remettre. De toute façon, avec ma mine actuelle, ils ne pourraient que me rendre ridicule. Cependant, je n'avais pas pu me défaire de l'habitude de tirer sur ma lèvre comme si l'anneau était encore là.
Marcos cligna plusieurs fois des yeux, comme s'il n'arrivait pas à croire ce que je venais d'avancer. Oui, j'étais effectivement capable d'assumer une relation avec un homme désormais.
— Mais mon cœur est déjà pris, plussoyai-je en déglutissant difficilement à cause du nœud dans ma gorge, qui accompagnait tous les souvenirs de Sara.
Il baissa la tête et la hocha faiblement, en fixant ses doigts d'un air déconfit.
Il ne m'aimait quand même pas encore, non ? Si ?
— Marcos, ce n'est pas pour être méchant, mais je t'ai menti, trompé, utilisé. Je n'en vaux pas la peine. Tu dois passer à autre chose. Je te le souhaite de tout cœur.
— Oui, je sais, souffla-t-il comme pour lui-même.
Un ange passa et je triturai, mal à l'aise, un petit morceau de pizza qui avait atterri à mon insu, sur le marbre. Lui, il restait là à fixer ses mains, comme s'il n'avait plus la force de me regarder.
Je ne savais plus trop quoi lui dire. J'avais vraiment espéré qu'il guérisse de moi.
— J'ai rencontré quelqu'un, lança-t-il d'une voix faiblarde au moment où je pensais à une connerie pour meubler le silence.
— Ah bon ! m'exclamai-je. Il est comment ? m'enquis-je avec un intérêt sincère.
Sa posture se détendit quelque peu et il finit par croiser mon regard.
— Il est grand comme toi, raconta-t-il avec un sourire à peine perceptible. Mais c'est le seul point commun entre vous deux. Il est plutôt timide et...
— Deux coincés du cul ! raillai-je. Ça va être intéressant à suivre.
C'était fou comme j'en discutais avec lui comme si de rien n'était. Pour être honnête, j'étais vraiment content pour lui. Cependant, je me fis la réflexion que même après cinquante ans ; je ne serais jamais prêt à avoir ce genre de conversation avec Sara.
À un moment donné, elle viendrait forcément me demander de signer des papiers de divorce, pour qu'elle refasse sa vie. Mais j'avais la nausée rien que d'y penser.
— Je vais voir ce que ça va donner, formula Marcos d'un ton plus confiant, en jouant avec ses doigts. Il est plutôt cool. Et... je dois t'oublier.
— Voilà ! applaudis-je en levant vivement la main, avant de pester en grimaçant : Merde !
J'avais momentanément oublié que j'étais un rhume. Mais mes côtes n'avaient pas perdu de temps pour me le rappeler.
Marcos quant à lui avait littéralement bondi de son tabouret. Et en moins de deux, il était déjà à mes côtés, les sourcils froncés, l'expression inquiète.
— Tu as mal ? Qu'est-ce...
— Hey ! Ça va, le rassurai-je avec un sourire de guingois.
Effectivement, la douleur avait été vive, mais brève.
— D'accord, prononça-t-il avec circonspection en insérant ses mains dans ses poches.
— T'es toujours aussi maman poule à ce que je vois, le taquinai-je.
Il haussa les épaules, l'air de dire « je n'y peux rien » et je lui me sentis obligé d'avouer :
— T'es une magnifique personne. J'espère que tu le sais. Je me suis comporté comme con avec toi, mais ce n'était pas de ta faute.
J'espérais que le faire réaliser qu'il n'aurait pas pu me garder peu importaient ses efforts, le libérerait de ce sentiment de culpabilité que les gens ressentaient après chaque rupture. C'était de ma faute ; la mienne uniquement. Il n'avait pas à se tourmenter avec des « et si ».
Il ne me fit pas de réponses immédiates. Il balaya de préférence la pièce du regard, tout en évitant de poser ses yeux sur moi ; les lèvres pincées, comme s'il essayait de contenir un trop-plein d'émotions.
Le malaise était vraiment palpable entre nous et je ne savais pas comment y mettre fin. Heureusement, il finit par prendre une grande respiration, comme s'il avait besoin de rassembler tout son courage avant de demander :
— Je peux te serrer une dernière fois dans mes bras ?
Cette requête me décontenança un moment, mais je ne réfléchis pas longtemps avant d'acquiescer :
— Pourquoi pas ? Mais serre pas trop fort. Je suis un légume en reconstruction.
Il sourit doucement et je déposai ma main valide sur son dos pendant qu'il m'enlaçait en nouant délicatement ses bras sur ma taille.
Je fermai ensuite les yeux en inhalant son odeur poivrée et citronnée, mais ça n'eut plus aucun effet sur moi. C'était juste agréable de ressentir un peu de chaleur humaine, après tout ce temps.
Lorsqu'il se détacha de moi, il me surprit encore une fois, en m'embrassant brièvement au coin de la bouche.
— Ça va aller, s'exprima-t-il d'un air déterminé, comme pour lui-même. Je vais t'oublier.
— Pas trop quand même, protestai-je avec un rictus goguenard. Mon ego risque de ne pas apprécier.
Il recula en expirant longuement, comme quelqu'un qui venait de prendre une grande résolution, puis il annonça :
— Je m'en vais. Ne t'en fais pas ! Tu n'as pas besoin de me reconduire. Repose-toi... Au revoir, Rick.
Il tourna les talons et je le regardai le cœur léger, s'éloigner d'un pas décidé.
Je le stoppai cependant, avant qu'il ne disparaisse totalement de ma vue en l'appelant :
— Hey !
Il se retourna, la mine interrogatrice et je lui souhaitai :
— Sois heureux ! Tu le mérites.
— Je vais essayer, promit-il.
On échangea un dernier sourire et il partit pour de bon. J'étais vraiment content que cette histoire soit réglée entre nous.
Le lendemain, je reçus un mystérieux colis d'un expéditeur anonyme. Ma curiosité me poussa vite à déchirer l'emballage, et un sourire franc prit naissance sur mon visage en découvrant le contenu. C'était la photo de moi en noir et blanc, autrefois accrochée au-dessus du lit de Marcos.
Il était vraiment prêt à aller de l'avant, et aussi étrange que ça pouvait paraître, ça me faisait un bien fou. Je ne m'étais pas rendu compte que la culpabilité due à l'échec de notre relation me pesait, jusqu'à ce que j'en sois libéré.
Là, je pouvais déclarer en toute quiétude que la page « Marcos et moi » était définitivement tournée.
Profitant de ce petit regain d'énergie, j'avais fait un peu d'exercice, même si j'étais au courant que mon médecin n'approuverait pas cette décision. Mais l'effort m'avait manqué et j'avais remarqué avec horreur que je commençais à perdre de la masse musculaire.
Contrairement à mon habitude, la séance n'avait pas duré plus d'une demi-heure. Il avait fallu que je tienne compte de mes côtes et de mon poignet, après tout.
Mais en tout cas, je me sentais un peu mieux après avoir transpiré.
Une serviette autour du cou, je m'apprêtais à monter prendre une douche lorsque Monica avec son éternelle queue de cheval fournie, sur l'écran du visiophone, capta toute mon attention.
— J'ai respecté ta décision et je t'ai laissé de l'espace. Mais là, il est temps de sortir de ton château et d'affronter tes problèmes comme un homme.
Je ne répondis pas, car je n'avais rien à répondre. En fait, je comptais sur mon silence pour la décourager, comme Daphney et les autres avant elle.
Mais c'était Monica. J'aurais dû savoir que ce serait plus compliqué avec elle.
— Rick ! Je suis là pour toi. Tu n'as pas à endurer ça tout seul. Sors, on trouvera une solution ensemble.
Quelle solution ? Je n'étais tout simplement pas encore prêt à affronter le monde. J'étais dégoûté de tout. Elle ne pourrait pas comprendre. Je ne me sentais pas capable de faire face à Sara.
— Bats-toi ! Rick, te terrer ici ne va rien arranger.
Aussi persévérante était-elle ; je me fis la réflexion qu'elle ne pourrait pas passer la journée devant chez moi. Je tournai donc le dos à l'appareil et m'apprêtais à gravir les escaliers lorsque je me statufiai à ces mots :
— Allez, bad boy ! Arrête de te cacher !
Mon sang ne fit qu'un tour et je me ruai en grimaçant vers le moniteur.
— Qu.. quoi ? bégayai-je. Tu m'as appelé comment ?
Jusque-là, il n'y avait eu qu'une seule personne sur terre à me surnommer de la sorte. Avait-elle vu Sara ? Avaient-elles parlé de moi ? Qu'avaient-elles conclu ?
Dire que j'étais nerveux était un euphémisme. Monica avait certainement dû deviner qu'elle tenait quelque chose, car elle exigea d'un ton plus confiant :
— Sors ! On doit discuter.
Fais chier !
D'un côté, j'avais peur de ce qu'elle pourrait m'apprendre. Mais d'un autre, je mourrais de savoir ce qu'elle avait à me confier, bien que je susse qu'il serait accompagné d'un long sermon sur mon comportement.
Je sortis dans la cour, mais je n'ouvris pas le portail, comme si celui-ci risquait de me protéger d'une éventuelle mauvaise nouvelle.
— Tu l'as vu ? allai-je droit au but, d'un ton qui cachait à peine mon impatience. Elle... elle me déteste ?
Elle demeura immobile, à me dévisager comme si elle hésitait entre avoir pitié de moi et me gifler.
— Monica ! m'agaçai-je, en passant nerveusement ma main valide dans mes cheveux, qui mériteraient bien un coup de ciseaux.
— Ça prend combien de temps pour passer un appel, Rick ? m'interrogea-t-elle, le ton accusateur.
— Je n'ai pas la force de l'affronter, confessai-je avec un regard fuyant. Elle m'a donné une chance. Une chance, Monica ! Et je l'ai fichu en l'air en moins d'un mois. Je... ne saurais même pas par quoi commencer, pestai-je en levant un bras d'un geste impuissant.
Elle se remit à m'examiner, avec la même expression chiante sur le visage et je décidai de rentrer.
— Elle mérite mieux que moi, conclus-je en tournant les talons.
— Quand on aime quelqu'un et qu'on croit ne pas le mériter ; on se bat pour y arriver. Mais si on baisse les bras, c'est que vraiment on ne mérite pas cette personne.
Ses mots m'avaient figé sur place et involontairement une larme roula sur ma joue.
Elle n'avait pas le droit d'avoir raison à ce point. Je ne savais pas ce que je devais dire à Sara. Je me sentais si minable ! Je méritais de me terrer chez moi et me morfondre. Monica n'avait pas le droit de venir troubler mon repos avec ses mots. D'autant plus que ça ne me donnait aucun indice sur ce que je devais faire. Il y avait des fois, où je regrettais vraiment de l'avoir rencontré.
— Tu ne comprends que dalle, aboyai-je en me retournant. Je suis un putain de fardeau. Elle est mieux sans moi.
— Ça c'était à elle de le décider ! rétorqua-t-elle sur le même ton. Tu l'as plus abandonné, qu'autre chose. Et figure-toi que je n'ai même pas le droit d'être là. Je lui ai promis de ne rien te dire, mais elle s'apprête à commettre une bêtise et je... je ne sais pas quoi faire. C'est de toi dont elle a besoin, idiot. Mais toi tu...
Elle avait levé les bras comme si elle n'avait pas trouvé les mots pour décrire le cas désespéré que j'étais. Puis elle les laissa ensuite tomber lourdement contre son corps avant de se passer les mains dans les cheveux dans un geste tourmenté.
— Elle s'apprête à commettre une bêtise ? m'étranglai-je en imaginant le pire. De quoi s'agit-il ?
Ma voix s'était émoussée à la dernière syllabe. Je m'étais rapproché du portail. La peur s'était emparée de chaque cellule de mon corps et j'attendais la réponse à ma question, le cœur battant à mes oreilles comme un tambour.
La psychologue semblait mitigée. Elle fit un aller-retour et se passa la main sur le visage comme si elle essayait d'anticiper les conséquences de ses futurs propos.
— Dis-moi de quoi il s'agit ! hurlai-je au bord de la crise.
— Elle souffre d'une cardiopathie congénitale, comme son père, commença-t-elle d'une voix hésitante.
J'avais l'impression que ce n'était pas tout. En plus, comment était-ce possible ?
— Je croyais que c'était quelque chose qui se savait depuis la naissance ? Elle n'a jamais été malade. Et qu'est-ce que ça à voir avec ce que tu viens de dire, bordel ?
Mon esprit partait dans tous les sens. J'avais chaud et froid. Je savais d'avance que je n'allais pas aimer la suite, mais je devais savoir.
— La plupart du temps, ça se manifeste par des complications dès la naissance, confirma Monica d'un air contrit, comme si elle regrettait d'avoir à me briser. Mais j'ai fait des recherches. Il arrive parfois que quelqu'un vive avec un cœur partiellement fragile, sans que ça ne pose de problèmes. Cependant, la maladie va en quelque sorte... s'activer, lorsque le cœur doit effectuer plus de travail que d'habitude, et...
— Et pourquoi diable son cœur doit désor...
Le reste de ma phrase s'était évanoui, tandis que mes yeux s'écarquillaient, car je venais de comprendre.
Je sentis le ciel me tomber sur les épaules, et un goût amer m'envahit la bouche.
Non. Non. Non. Ça ne pouvait pas arriver. Ça ne pouvait pas m'arriver. Elle m'avait promis... Comment ? Pourquoi moi ? Pourquoi nous ? C'était l'horreur !
Et à l'expression pitoyable de Monica, je devinais que ce n'était même pas le pire. Mon crâne m'élançait. Je voulais disparaître, je voulais que le monde s'arrête. Je souhaitai de tout mon cœur que ceci ne fut qu'un putain de cauchemar, particulièrement lorsque ma sœur m'annonça, la mine grave :
— Rick, elle refuse d'avorter et le temps presse. Mettre au monde un enfant avec cette maladie est extrêmement risqué. Deux, c'est carrément du suicide.

Rock Hard, Love HarderOù les histoires vivent. Découvrez maintenant