Je dus cligner plusieurs fois des yeux avant de finalement parvenir à les ouvrir. Cependant, lorsque j'y arrivai, la lumière crue de la pièce me le fit tout de suite regretter. Puis ensuite, ce fut l'élancement dans ma tête et la désagréable sensation qu'une voiture m'était passée sur les côtes qui me fit gémir de douleur. De plus, je me sentais si faible... tellement faible.
À ce qu'il paraissait, rien n'allait pour moi. Ma langue faisait la taille de ma bite – enfin, c'était l'impression que j'avais. J'avais des difficultés à respirer. Et pour couronner le tout, mon visage partiellement occupé par un plâtre pour le nez, me donnait l'impression d'être en carton.
Pas de doute : j'étais mort, et ça, c'était l'enfer.
— Monsieur ! Ah, vous êtes réveillé ? s'exclama quelqu'un à ma droite.
Je fermai les yeux sous l'impact et hurlai intérieurement de frustration et de souffrance mêlées. À mon avis, une perceuse dans mes tympans aurait probablement eu le même effet.
Qui avait donné à cette personne l'idée de parler ?
— Je vais appeler un médecin, reprit la criminelle ; car oui, j'avais désormais capté qu'il s'agissait d'une et non d'un tortionnaire. Vous avez subi un traumatisme crânien, plus pas mal de fractures costales et au poignet, m'annonça-t-elle ensuite d'un ton professionnel. Luttez pour rester éveillé s'il vous plaît, je reviens.
Ce ne fut pas très évident de lui obéir. J'étais déjà tellement fatigué et menaçais de m'assoupir à tout instant. Pourtant, je me doutais bien que j'avais dû dormir des plombes, ou peut-être même des jours...
Mais attendez ! Quoi ? J'avais bien entendu ? Mon poignet était encore fracturé ? Si c'était un message de La Nature pour que j'arrête de me branler ; elle perdait son temps.
Pour cela, il aurait fallu me laisser crever. Mais j'avais réalisé que la mort avait cette fâcheuse tendance à ne jamais vouloir de moi, même quand je m'offrais à elle sur un plateau d'argent. Je n'arrivais toujours pas à saisir pourquoi.
Un jeune médecin, à peine plus vieux que moi rentra quelques minutes plus tard dans la chambre et accentua mon supplice en me flashant les yeux.
J'avais atterri à Sadist hospital, ou quoi ?
Il procéda ensuite à des examens routiniers et je le vis hocher la tête d'un air satisfait. Il m'avait l'air plutôt sympathique, le jeunot !
Cependant, je l'oubliai bien assez vite, car mes paupières s'étaient faites de plus en plus lourdes, et je ne pris pas longtemps avant de sombrer à nouveau dans le néant...
Pendant à peu près une semaine, je passai mon temps à voguer entre l'inconscient et le conscient ; n'arrivant même pas à rester éveillé plus d'une heure. Nonobstant, en me réveillant ce jour-là, je sus tout de suite que mon état s'était amélioré.
J'avais toujours mal, mais pas avec la même intensité. Ma langue et ma tête n'étaient plus aussi lourdes. Et pour changer, ce ne fut pas une infirmière que je trouvai à mon chevet, mais Maryse.
— Hey, ça va ? s'enquit-elle d'un ton maternel en s'approchant de mon lit.
— Je pète la forme, ironisai-je et la manager serra les lèvres, comme si elle avait subitement réalisé que sa question était stupide.
Elle tripota son alliance quelque temps, l'air embarrassé, et lorsque le silence s'étira au point de devenir gênant, je demandai :
— On est où exactement ?
— On est à L.A., s'empressa-t-elle de répondre, comme si elle n'attendait qu'une opportunité pour pouvoir s'exprimer. J'ai trouvé une excuse pour expliquer ta disparition. Mais ne t'en fais pas ; personne ne saura que t'es ici. Tu seras en paix le temps de guérir. J'ai pris des précautions pour que la nouvelle ne s'ébruite pas, m'informa-t-elle d'un air déterminé, à l'instar d'un soldat fier d'avoir réussi sa mission.
— Youpi ! grommelai-je d'un ton aussi impassible que mon expression. Tu peux redresser mon lit s'il te plaît ?
Elle s'exécuta avant de reprendre, les yeux implorant ma clémence, comme si je risquais de péter un câble à tout moment :
— Rick, je suis désolée que ça se soit passé comme ça. Je n'étais pas là, et Jason m'a informé d'une bagarre entre toi et un homme dans le hall. J'ai vite appelé toute la sécurité pour qu'ils rappliquent en bas. Je crois que Grant a essayé de me dire que c'était faux, mais je lui ai hurlé de se dépêcher. Je regrette vraiment ce qu'ils t'ont fait. Mais ne t'en fais pas, quand tu reprendras la tourn...
— J'arrête, l'interrompis-je de cette voix monotone qui était devenue la mienne.
Je m'en foutais un peu de ce qu'elle racontait depuis tout à l'heure. Quant à Jason, je ne comprenais pas vraiment ses motivations. Pourquoi avoir voulu que moi et Lucas on se retrouve quasi seuls ? Il s'attendait peut-être à ce que son pote me tabasse, ou était-ce l'inverse ? Et si oui, pourquoi ?
De toute façon, ça n'avait plus d'importance. Dès que le rhume qui me servait de cerveau avait commencé à fonctionner plus ou moins normalement, j'avais pris ma décision. C'en était fini de moi et de ces gars.
— Quoi ? s'étrangla Maryse en plissant les sourcils.
— J'arrête la tournée, répétai-je. J'arrête Starecord. Je t'arrête, toi. Je ne veux plus continuer.
Elle cligna plusieurs fois ses yeux bruns, comme pour s'assurer qu'elle n'était pas victime d'une illusion. Mais elle se reprit rapidement et discourut de ce ton éloquent qu'elle employait lorsqu'il s'agissait de business :
— Rick, cette bagarre ne s'ébruitera pas. Pour la vidéo, tes attachés de presse sont en train de la supprimer de partout. J'ai fini par soutirer la vérité à Lucas : t'étais sous GBH à cette soirée. Mais on ne pourra pas livrer cette information au public, sans dévoiler la tension qu'il y a entre vous ; et je préfère vraiment que ça ne se sache pas. Mais si ça a affecté ta relation avec Sara, je peux...
Pendant qu'elle déblatérait du vent, j'avais tourné ma tête de l'autre côté et sa voix s'était émoussée peu à peu, jusqu'à devenir un simple bruit de fond.
Comme ça, Lucas m'avait administré la drogue du violeur ! Ça expliquait clairement mon trou de mémoire et mon comportement déjanté sur la vidéo. Mais peu importait ; que mon équipe réussisse à la faire disparaître des réseaux ou pas, les conséquences, elles resteraient les mêmes. Sara l'avait certainement déjà vue et ça l'avait probablement démolie.
Je n'avais pas envie que Maryse aille lui parler ou quoi que ce soit. Elle méritait de vivre heureuse et en paix. Si je rentrais dans sa vie à nouveau, j'allais forcément trouver un nouveau moyen de lui faire souffrir. Je n'y pouvais rien : ça faisait partie de moi. J'étais un aimant à dramas. Sara méritait mieux que toute cette merde.
Maryse, elle ne cessait de babiller, à grand renfort de gestes.
Je voulais bien lui faire comprendre qu'elle perdait son temps. À un moment donné, j'eus vraiment l'intention de l'envoyer bouler avec ses conneries sur la tournée, mais je n'en trouvai pas l'énergie. Alors, je continuais à fixer le mur opposé, comme si j'en étais passionné, alors qu'il s'agissait juste de celui d'une chambre d'hôpital traditionnelle ; même si on avait essayé de lui conférer une petite touche chaleureuse à celle-ci.
- Rick ! Tu as un contrat, embraya la manager d'un ton grave. Turner risque de te traîner en justice. Prends le temps de réfléchir. Monica, elle te fait du bien, non ? Elle pourra t'aider à aller mieux, si tu veux refaire une dép...
Je la laissai causer dans le vide quelques secondes encore, avant de me tourner brusquement vers elle, lorsqu'une idée me frappa comme un camion.
— Pourquoi tu as menacé les autres des pires tortures s'ils dévoilaient qu'il y avait eu quelque chose entre moi et Jason ?
Ma question sembla la prendre au dépourvu et elle cligna des yeux d'un air hébété quelques secondes, avant de reprendre avec véhémence :
— Parce que ce ne serait pas bon pour ta carrière, Rick. Tu le sais. Ça n'a pas de sens ! Les trucs entre deux hommes, les gens n'accepteront jamais ça ; surtout dans ton cas. Tu es heureux avec Sara, non ? Je comprends que tu aies pu te perdre quelque temps, mais...
— C'était toi, pas vrai ? la coupai-je en la fixant droit dans les yeux.
— Quoi ? s'intrigua-t-elle.
— La lettre. C'était toi.
Elle se figea, puis ouvrit la bouche pour protester, avant de la refermer juste après, comme si les mots n'arrivaient pas à sortir. Elle retenta au moins deux fois, avant de réussir à articuler d'un ton mal assuré, en soutenant tant bien que mal mon regard :
— Non. Je...
— T'as pas besoin de mentir, cinglai-je en tournant de nouveau la tête vers le mur opposé. Je m'en fous.
Je me souvenais parfaitement du jour où elle avait débarqué chez moi sans prévenir et avait surpris Marcos et moi dans une situation qui ne laissait aucun doute sur le genre d'activité qu'on avait entrepris dans le salon. Son expression scandalisée aurait dû m'alarmer, mais comme à l'époque, je n'assumais pas trop cette partie de moi, mon esprit s'était plus concentré sur la honte que j'éprouvais, qu'autre chose.
Par la suite, elle m'avait posé des tas de questions étranges sur mon homosexualité. Je n'avais pas répondu, évidemment ; c'était un sujet vraiment sensible chez moi à ce moment-là. Cependant, moins d'un mois plus tard, je n'avais pas eu d'autres choix que de me tourner vers elle, car j'avais eu la peur de ma vie à cause d'une mystérieuse lettre.
C'était elle qui m'avait glissé l'idée de me marier avec une fille ; comme s'il y aurait eu une chance que ça change grand-chose, si celle-là n'avait pas été Sara.
J'étais déjà mal dans ma peau ; ça n'avait pas été difficile pour elle de me bourrer le crâne de doute. Je me détestais et elle m'avait fait miroiter que je risquais de perdre l'adoration de mes fans ; la seule source d'amour constante à laquelle j'avais été habitué jusque-là. Mon complexe aidant, je m'étais fait avoir comme un vulgaire bleu.
Si je n'étais pas si vide émotionnellement, j'aurais presque pu m'offusquer d'avoir été aussi con.
Ce qui m'avait mis la puce à l'oreille, c'était lorsque Lucas m'avait confié cette affaire de menace. Maintenant que je n'en avais rien à foutre que les gens découvrent ce que j'avais toujours caché sur ma sexualité, je m'étais demandé pourquoi elle, ça lui tenait tellement à cœur que celle-ci reste secrète ?
Et là, sa réaction venait de confirmer tous mes doutes et je n'arrivais même pas à être en colère.
— Rick, j'ai toujours tout fait pour ton bien...
— Je t'ai dit que je m'en foutais, assenai-je d'un ton aussi froid que tranchant. Il faut de tout pour faire un monde, non ? Des homophobes, des gays, tout... Je suppose que tu as passé un petit marché avec Daphney pour me livrer à elle ?
Puis je levai ma main valide, avant même qu'elle ne prononce quoi que ce soit, pour la stopper :
— Tu sais quoi ? Réponds pas. Je ne veux rien savoir.
Et je le pensais. Après tout, quelle importance ? De plus, sans elle, je n'aurais sûrement pas recroisé Sara, et n'aurais jamais connu tous ces merveilleux moments avec elle.
Or, cette fille m'avait tout appris : la vie, l'amour... tout. Même si c'était fini, je chérirais à jamais le souvenir de chaque seconde qu'on avait passée ensemble.
Mon seul regret, c'était juste qu'elle-même ait à les regretter.
Maryse n'avait visiblement pas abandonné l'idée de se défendre, car elle avait repris d'un ton suppliant :
— Ricardo, écoute...
— Sors ! ordonnai-je avec calme, mais fermeté. Merci pour tout ce que tu as fait pour moi, mais c'est fini . Passe le bonjour à Turner et dis-lui que dès que je sors, ce sera son bureau ma première destination.
J'avais fermé les yeux pour signifier que la conversation était terminée, mais je sentais qu'elle hésitait encore à partir, même si elle demeurait silencieuse.
— Je suis désolée de t'avoir blessé, finit-elle par s'exprimer d'une voix faible que j'aurais presque pu qualifier de sincère. Je t'ai toujours aimé comme un fils. Je voulais juste t'aider à guérir de... de cette chose. Je... je ne voulais vraiment pas que tu répugnes les gens, ou que tu sois harcelé, ou...
— Tu veux vraiment que je crie au secours ? la menaçai-je, sans daigner ouvrir mes paupières. Je t'ai dit de t'en aller !
Elle ne s'éloigna d'un pas incertain qu'au bout de quelques longues secondes, et je rouvris mes yeux lorsque la porte se referma finalement derrière elle.
Elle ne voulait pas que je répugne les gens. Donc je la répugnais, elle ? Parce que, oui. J'avais fini par comprendre qu'elle n'avait fait que projeter ses opinions sur les autres.
Elle avait vraiment cru que me jeter de force dans les bras d'une fille, en l'occurrence Daphney, risquerait de me « guérir » ?
Encore une fois, je m'étonnai de mon impassibilité face à toutes ces révélations. C'était comme si mon humanité s'était éteinte lorsque je m'étais écroulé dans cette chambre à Miami. J'avais perdu goût à tout, et ce qui me choquait dans tout ça, c'était que ça n'arrivait même pas à me choquer.
Monica, l'une des rares personnes dans la confidence de mon emplacement, était passée me voir le jour suivant, mais elle était repartie aussi vite qu'elle était venue.
J'avais été franc avec elle. Ce n'était pas personnel. Je n'avais juste pas envie de voir qui que ce soit.
Enfin, qui que ce soit à part celle dont je m'étais promis de laisser vivre tranquillement.
C'était clair que cette promesse allait être dure à respecter, mais j'espérais pouvoir tenir bon, car il le fallait. Sortir définitivement de sa vie était le meilleur cadeau que je pouvais lui faire.
☆☆☆
Une semaine plus tard, j'avais encore le nez et le poignet plâtrés. Mes côtes, quant à elles n'étaient plus aussi douloureuses, mais je ressentais quand même une petite gêne à chaque inspiration. Je savais qu'il leur faudrait un moment avant d'être complètement guéries, mais je n'avais plus la force de rester dans cet hôpital.
Maryse m'avait laissé un mot avec les vêtements et les clés qu'elle m'avait fait apporter, mais je déchirai celui-ci sans prendre la peine de le lire. Peu importait ce qu'elle avait à me dire, je m'en foutais.
Ensuite, je dus répéter plusieurs fois les recommandations du séduisant médecin avant que celui-ci ne me laisse finalement partir. Au bout de la quatrième fois, j'étais à deux doigts de péter un câble, mais heureusement que ce fut la dernière et on put se quitter sur une note assez cordiale.
Comme promis, ma première destination fut le bureau de Turner. Son assistante me conduisit rapidement auprès de lui et je m'installai sans un mot dans le fauteuil en face de lui, en me mettant à le fixer de mes yeux de mort-vivant.
— C'est quand tu pourras enlever ces trucs et reprendre la tournée ? s'enquit-il sans perdre de temps, en désignant mes plâtres de son menton.
Je ne répliquai pas et me contentai de cligner des yeux, le visage aussi expressif qu'une momie.
C'était fou comme j'étais devenu avare en énergie !
— Ta tante m'a informé de ta connerie d'idée, reprit-il d'un ton légèrement agacé. Je lui ai dit que tu reviendras à la raison. Ce n'est pas la première fois que t'as une connerie d'idée, après tout.
Il se croisa les mains sur son bureau en attente de ma réponse, mais je ne pipai mot en continuant à le dévisager.
Le silence s'étirait et le producteur avait de plus de mal à cacher son irritation. Cependant, il réussit à tenir bon une minute, jusqu'à ce que l'une de ses paupières du bas tressaute et qu'il n'explose en se levant brusquement de son fauteuil :
— Tu sais combien d'argent j'ai dépensé pour cet album ?
— Je signe où pour te le rembourser ?
Il se figea, comme s'il ne s'attendait pas à ce que je réponde aussi calmement, ou que je réponde tout court. À croire qu'il s'était déjà habitué à mon mutisme.
J'avais en effet, beaucoup de mal à parler pour ne rien dire dernièrement. Et jusque-là, depuis mon arrivée, je n'avais pas éprouvé ni le désir ni le besoin de m'exprimer. Mais j'étais venu ici pour obtenir ma liberté, ou même l'acheter si c'était nécessaire. Alors, il n'y avait pas eu de meilleures occasions pour se prononcer.
— Disque de platine en un mois, petit con, grinça l'homme d'affaires en me pointant du doigt. Tu penses que je vais te laisser abandonner comme ça ? Tu veux vraiment que je te traîne en justice ?
Ce genre de menace ne fonctionnait plus sur moi. En fait, plus rien ne marchait sur moi. D'ailleurs, mon expression tout aussi flegmatique qu'ennuyée suite à sa provocation en était la parfaite preuve.
— T'es qu'un ingrat ! cracha-t-il en me fusillant du regard.
La carte de la culpabilité. Ça aussi, c'était devenu obsolète.
J'avais réglé toutes mes dettes envers Starecord. En fait, ça faisait longtemps que je ne devais plus rien à Turner. Pourquoi m'étais-je autant laissé manipuler, finalement ? Le manège du producteur était si clair. Je supposais que la suite, c'était le chantage.
— Tu vas continuer cette putain de tournée, ou je balance toutes les saletés que j'ai dû couvrir pour toi ces dernières années, vociféra-t-il, le regard meurtrier.
Je disais ?
En fin de compte, il était vraiment prévisible ; j'avais juste été trop aveugle ces dernières années pour m'en apercevoir. Mais c'était fini désormais. D'ailleurs, un sourire amusé étira mon visage tuméfié — le premier depuis deux semaines — et je l'encourageai d'un geste de la main :
— Vas-y ! Balance ! Tu veux que je t'aide ? Commençons : Je suis un ancien junkie, bon ça tout le monde le sait. Je crie tout le temps sur les gens qui travaillent avec moi. Mais passons plutôt aux news croustillants : Je baisais mes employées quand j'avais la flemme d'aller me chercher une meuf et que j'avais un besoin pressant... Une fois, une sado m'a mordu le pénis. Sur le coup, je l'ai giflée tellement fort qu'elle s'est effondrée par terre. Mais comme je l'ai dit, c'était une sado : elle m'a demandé de recommencer. Du coup, je ne pense pas que je risque grand-chose de ce côté-ci. Je n'en avais jamais parlé, mais si tu veux, je peux te livrer plein d'autres petits secrets du genre. Ah merde, j'allais oublier, fis-je en me frappant le front de façon théâtrale. J'ai épousé une fille pour cacher le fait que j'avais une relation avec un homme. Mais je suis tombé amoureux d'elle. Du coup, je ne sais plus trop quelle est mon orientation sexuelle. Ça ferait un gros buzz, tu penses pas ?
Je discourais de manière exagérément passionnée, et l'homme d'affaires me dévisagea comme s'il me voyait pour la première fois. Et lorsque je terminai en lui adressant un sourire tout aussi large que faux, je lus quelque chose que je n'avais jamais vu dans ses yeux de fouine auparavant : la déconfiture. À mon avis, les gens de la légendaire fable devaient avoir ce regard-là en perdant la poule aux œufs d'or.
Turner venait finalement de réaliser que cette fois-ci, je partirais pour de bon.
— Tu sais, moi aussi, j'ai des choses à raconter sur cette maison de disques, rajoutai-je avec un haussement d'épaules désinvolte. Mais on peut la jouer simple. Tu me laisses m'en aller et je te rends les 3/4 de l'argent que j'ai gagné « grâce à toi », déclarai-je, sarcastique, en mimant les guillemets.
Je méritais bien sûr chaque dollar sur mon compte en banque. Mais si me séparer de quelques milliers d'entre eux était là le prix de ma liberté, j'étais prêt à la saisir.
— Je répète : je signe où pour ne plus avoir affaire avec toi.
— Tu vas le regretter, m'avertit-il en désespoir de cause.
— J'en doute, assurai-je d'un air déterminé.
Et quelques minutes plus tard, je quittai l'immeuble de Starecord, libéré d'un poids... et d'une bonne partie de ma fortune, mais c'était le cadet de mes soucis.
Ce chapitre de ma vie était définitivement terminé !
Je n'avais plus la tête à la musique pour le moment. Mais au moins, j'avais la certitude que quand ça me reviendrait, je serais totalement libre de mes choix.
Je sentais comme un air de renouveau s'infiltrer dans mes poumons. Et pour couronner le tout, j'avais eu une idée assez révolutionnaire qui avait germé dans mon esprit dans le bureau même de Turner.
Les gays avaient leurs communautés. La majorité de la population était hétéro. On nous avait toujours donné une vision binaire du monde. Donc on devait presque obligatoirement faire partie de l'un ou l'autre de ces groupes. Mais qu'en était-il de nous autres qui étions perdus et incapables de nous identifier à l'une de ces catégories ?
La communauté LGBTQ tentait vainement de nous laisser une petite place. Mais pouvaient-ils vraiment nous comprendre, alors que nous étions un mystère pour nous-mêmes ?
Moi, par exemple, j'avais été attiré depuis toujours par des hommes, mais je l'avais caché pendant des années en couchant avec plein de femmes différentes, même si ça m'avait rendu malheureux. Et puis, juste au moment où je m'étais pour la première fois laissé aller avec quelqu'un du même sexe que moi, j'étais soudainement tombé amoureux d'une femme.
Je savais que je n'étais pas le seul. Peut-être qu'en ce moment même, un homme qui avait toujours été gay se mettait inexplicablement à rêver d'une femme en particulier ou de plusieurs. Je pourrais imaginer tant d'autres exemples de ce genre, mais ce qui resterait sûr, c'était que la société ne nous comprendrait jamais, et je ne pouvais même pas leur en vouloir.
Certains nous considéreraient peut-être comme des traîtres à la cause LGBTQ. Et les hétéros nous verraient sûrement comme des homosexuels qui ne s'assumaient pas. Pourtant, nous n'étions ni l'un ni l'autre, nous étions juste nous-mêmes : des exceptions.
Je n'allais pas m'engager pour l'entière communauté LGBTQ, mais pour ceux qui étaient perdus ; qui se sentaient comme des anomalies... Qui de mieux pour les comprendre que moi ?
Je savais que là dehors, il y avait des gens qui se détestaient parce qu'ils se sentaient... illogiques. Je l'avais aussi fait pendant longtemps. Mais on était comme on était, et quelqu'un de sage m'avait appris qu'on méritait d'être accepté et aimé comme tel...
Quelqu'un de vraiment génial.
Quelqu'un que j'aurais souhaité voir assis sur mon piano, en entrant dans ma salle de musique. Je me mis d'ailleurs à caresser l'instrument avec nostalgie et un sourire triste prit naissance sur mon visage.
— J'espère sincèrement que tu trouveras quelqu'un à la hauteur de la personne magnifique que tu es, soufflai-je dans le vide, la gorge nouée. Je regrette juste de ne pas pouvoir être ce quelqu'un pour toi.
VOUS LISEZ
Rock Hard, Love Harder
General FictionRick Rivera est une superstar du rock adulée de toutes. Mais le ténébreux chanteur cache un lourd secret... *** Pour protéger sa célébrité et son homosexualité, Rick accepte de conclure un faux contrat avec Sara suite à un concours de circonstances...