⭐37. Liars

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« J'espère pour que toi que tu n'as pas oublié le vernissage de ce soir », lus-je sur mon iPhone.
Sara ne mettait jamais de points à la fin de ses messages. Jamais. Je souris légèrement à cette pensée en grimpant dans le 4×4 venu nous récupérer à l'aéroport privé Van Nuys. Je rentrais à peine du Brésil, fatigué comme tout.
Et non, je n'avais pas oublié le vernissage qui aurait lieu dans exactement deux heures. J'avais juste un petit détour à faire avant de rentrer à la maison me préparer pour l'occasion.
Shawn Adams, le nouveau prodige de la photographie derrière cette exposition à but caritatif, était un ancien pote du collège... Enfin, on traînait ensemble, on ne se racontait pas nos petits secrets, ou nos états d'âme. À l'époque, on faisait partie du même cercle : les populaires, les joueurs de l'équipe de basket, les mecs à meufs... En tout cas, notre ancien lien était la seule raison pour laquelle j'allais faire l'effort de me rendre à cet évènement, car sincèrement, je n'avais pas la tête à cela.
Il s'était débrouillé pour me remettre personnellement l'invitation et avait insisté pour que je vienne avec ma femme. Tout en rigolant, il m'avait fait promettre de lui faire faire connaissance avec la légende qui avait réussi à me mettre le grappin dessus.
Justement, je venais de recevoir un nouveau message de cette légende avant même que je ne réponde au premier.
« Il est hors de question que j'y aille seule », insista-t-elle.
« Relax ! Ton époux est rentré. Il va venir prendre soin de toi. On ira ensemble ma belle et je t'empoignerai les fesses avec ardeur devant les caméras, comme le mari passionné que je suis. », répondis-je en rigolant d'avance, car j'étais certain qu'une réplique cinglante n'allait pas tarder.
Effectivement, j'avais raison.
« Aucun problème tendre époux. Dans ce cas, moi aussi, j'ai hâte de voir ton sourire devant les caméras quand je t'empoignerai les couilles de la même façon. ».

J'éclatai très franchement de rire et attirai l'attention des musiciens dans la voiture. Je les ignorai bien évidemment et me concentrai sur ma prochaine réponse.
« 1 - 0, chapeau ! Je trouve rien à répliquer. »
« Ce n'était pas un jeu. Et t'as vraiment intérêt à garder tes sales pattes loin de mon cul pour le bien-être de tes testicules » Dis donc. Quelle fureur envers mes pauvres couilles ! Elles lui avaient fait quoi ces malheureuses ? Avant que je n'envoie ma réponse, un autre message arriva : « Déconne pas, OK. Sois là. J'avais compris que c'était une soirée à but caritative, non ? Ce serait moche, si aucun d'entre nous ne se présentait. »
Pourquoi doutait-elle tellement de ma présence ? J'allais juste régler un truc, après je rentrerais. Oui, un simple truc...
— Je suis arrivé ! annonçai-je à l'intersection de Georgia Street et d'Olympic Boulevard.
Le chauffeur me regarda d'un air perplexe dans le rétro, et je haussai les sourcils en signe de défi. Il avait sûrement comme ordre de me ramener chez moi et voilà que je voulais descendre en chemin.
Bon gré mal gré, il se gara avec hésitation devant l'hôtel au gratte-ciel miroitant. À peine la voiture s'était-elle immobilisée, je sautai par terre et m'enfuis comme un voleur avec comme seul bagage, l'enveloppe à l'intérieur de mon sweat.
Je savais qu'on ne m'aurait jamais laissé arpenter seul un endroit avec tant de monde. Je n'avais jamais subi d'agression directe, mais c'était comme ça ; le label prenait ma sécurité très à cœur. Après tout, j'étais l'un de leurs plus gros investissements.
J'abaissai ma capuche et pénétrai dans le hall du Ritz Carlton de Los Angeles d'un pas vigoureux. Quelques étages plus tard, j'étais devant la raison pour laquelle je n'avais pas pu dormir la nuit dernière, et avais passé presque tous ces derniers jours dans mes pensées.
— T'es venu me voir, s'étonna mon géniteur.
À mon expression glaciale, il ne tarda pas à se rendre compte qu'il ne s'agissait aucunement d'une visite de courtoisie. Il fronça les sourcils d'un air penaud et se décala pour me laisser entrer dans la suite à la déco de style scandinave.
— Quand tu m'avais dit que tu étais désolé, c'était pour quelle raison en fait ? allai-je droit au but en pénétrant dans le living-room.
— Pour ton enfance, pour la façon dont je me suis comporté avec toi, répondit-il d'un air méfiant. Pour tout ce que je t'ai fait...
Je lui tendis l'enveloppe que Daphney m'avait donnée, vissai mon regard dans le sien et l'interrogeai calmement :
— Et pour ça ?
Il donnait l'impression d'être de plus en plus troublé. Cependant, il ouvrit quand même l'enveloppe et en extirpai méticuleusement le contenu. Mais au fur et à mesure qu'il découvrait celui-ci, sous mes yeux, son teint devint blafard comme quelqu'un qui aurait vu un fantôme.
— Ricardo, ce n'est...
— J'avais une famille ! explosai-je. Pendant tout ce temps où j'étais seul à Noël, à Thanksgiving et à toutes les autres fêtes. J'avais des grands-parents qui peut-être, eux, auraient voulu de moi.
— Ils ne sont pas le genre de grands-parents que tu crois, se défendit-il le regard implorant.
— Ah bon ! m'écriai-je, sarcastique. Je suis chanceux alors ! Comme on dit, mieux vaut être seul que mal accompagné.
— Tu ne comprends pas !
— Oh que si, je comprends. Tu n'es qu'un pauvre type qui mérite de finir seul. Tu m'avais dit qu'ils étaient morts, prononçai-je difficilement, l'émotion m'entravant la gorge.
— Parce qu'ils étaient morts pour moi, explosa-t-il à son tour, avant d'entamer une longue pause et de poursuivre plus calmement : ils ont dit qu'ils ne voulaient plus me voir. Je n'avais pas le choix.
Je désignai alors la photo de la jeune femme aux cheveux noirs et aux yeux océans identiques aux siens.
— Et elle ? Tu n'avais pas le choix pour elle non plus, je parie ?
— Si ça peut te rassurer, j'ai veillé à ce qu'elle ne manque de rien, affirma-t-il en jetant l'enveloppe et son contenu sur la table basse d'un geste désabusé.
— Mais bien sûr, ironisai-je. Ça règle tout.
— Elle est mieux sans moi, affirma-t-il, l'air d'être totalement convaincu de ce qu'il avançait.
Sa façon de parler comme s'il était le seul concerné dans cette histoire m'énervait au plus haut point.
— Et moi dans tout ça ? Ne penses-tu pas que j'aurais préféré savoir que j'avais une grande sœur ? Dire que j'étais à ça de te pardonner !
— Je suis désolé, Ricardo, assura-t-il les traits déconfits. Mais je n'ai vraiment pas eu le choix. De plus, tu ne connais pas toute l'histoire.
Des excuses, encore des excuses ! Je ne pensais jamais pouvoir mépriser quelqu'un à ce point. Pourquoi étais-je tombé sur un père pareil ? Je m'assis dans l'un des fauteuils avec un soupir, croisai les jambes sur la table basse et annonçai de mon ton le plus mielleux :
— Je suis tout ouïe !
Il soupira à son tour et s'installa en face avant de se prendre la tête entre les mains.
— Je viens de l'une de ces anciennes familles de la noblesse italienne qui prennent encore ces histoires de lignée et de mariage très à cœur. Rivera n'est bien sûr pas mon patronyme d'origine. En fait, c'est ta mère qui m'a aidé à choisir celui-ci, raconta-t-il l'expression tout à coup nostalgique.
C'était la première fois qu'il me parlait d'Elza... Enfin, sans me crier dessus et m'accuser de sa mort. Je n'avais jamais vu de photo de celle qui m'avait donné naissance. Et autrefois, lorsque je questionnais Maryse à ce propos, elle se débrouillait toujours pour esquiver la conversation. Était-ce à cause de la douleur que leur avait causée sa mort ou de quelque chose de grave qu'elle avait fait ? Je ne l'avais jamais su. Et en grandissant, ma curiosité à ce sujet avait été remplacée par des soucis beaucoup plus urgents.
— J'étais destiné à me marier à une fille dont je ne me rappelle même plus le nom, continua Dant les yeux dans les vagues. Mais je... J'étais jeune et... Quelque chose s'est passé entre moi et une servante.
— Un vrai bad boy, dis donc ! Il a ken une domestique, jetai-je pince-sans-rire.
Il soupira, se passa les mains sur son visage aux traits tirés d'un mouvement las et poursuivit :
— Elle est tombée enceinte et tout le monde a fini par savoir que c'était de moi. Mes parents, furieux, m'ont envoyé aux États-Unis et m'ont ordonné de ne plus revenir. Je te jure que j'ignorais ce qui était arrivé à Teresa pendant tout ce temps, et je ne l'appris que quinze ans plus tard. À cette époque, ta mère était déjà morte, et vu le père exécrable que j'étais pour toi ; j'avais décidé que rester hors de la vie de Teresa et de sa fille était le plus grand cadeau que je pouvais leur faire. Cependant, j'ai toujours fait en sorte de garder un œil sur elles, même quand je ne leur parlais pas. Et je me suis assuré qu'elles ne manquent jamais de rien. C'était la meilleure solution pour tout le monde.
La meilleure solution pour tout le monde ? Ce mec croyait vraiment que l'argent pouvait remplacer une présence ? Moi aussi, sur ce point-là, il m'avait gâté, et pourtant, j'avais été un gamin tellement malheureux.
Il avait abandonné sa fille et se consolait à l'idée qu'elle ne manquait pas d'argent. Moi, il m'avait totalement ignoré et son excuse avait été que je lui rappelais trop sa femme. Je découvrais enfin de qui j'avais hérité cette manie de fuir les problèmes et de toujours me trouver des excuses au lieu de les assumer. J'avais fait quoi pour mériter ce type comme père ?
— Dis-moi ! Tu t'attends à quoi après ton histoire digne d'une novella pourrie ? À des félicitations pour ta générosité ? J'ai un scoop pour toi : l'argent ne fait pas le bonheur.
— Non, moi j'ai un scoop pour toi, Ricardo, s'emporta-t-il à son tour. Je vais mourir. Tu comprends ça ? Je-vais-mourir. Que veux-tu que je fasse ? Je ne peux pas remonter le temps. À part m'excuser, que veux-tu que je fasse d'autre ?
Je ne pus lui répondre, trop occupé à mettre toute mon aversion dans mon regard et à essayer de contenir ma rage en contractant mes mâchoires. Comment avait-il pu continuer sa vie comme si de rien n'était en infligeant ceci à des mômes qui n'avaient rien demandé ? N'avait-il jamais essayé de se mettre à ma place ? Ou à celle de cette autre fille ? Comment avait-il pu se comporter comme ça avec moi et dormir tranquillement la nuit ? Et là, il s'attendait à ce que je tourne la page d'un coup, juste parce qu'il n'en avait plus pour longtemps ? Il pouvait aller brûler en enfer ! Comme s'il avait lu dans mes pensées, il expira, l'expression abattue :
— Il n'y a plus de pardon pour moi, c'est ça ?
Il ferma ensuite les yeux devant mon silence, comme quelqu'un qui acceptait son sort et il reprit d'un ton que j'aurais presque pu qualifier de moralisateur :
— Le passé est derrière toi ; bientôt, j'en ferai intégralement partie. Je ne peux que te conseiller de profiter de ta vie et d'enterrer tout ça une bonne fois pour toutes.
— Dit celui qui passe ses derniers jours dans une suite parce que c'était celle de sa lune de miel il y a plus de vingt-cinq ans, rétorquai-je, acide. Tu vois ! Il ne suffit pas de claquer du doigt pour laisser le passé derrière soi. Je crois que t'es très mal placé pour me donner des conseils.
Je me levai du fauteuil et pris la direction de la porte. Cette rencontre n'avait servi à rien. J'étais encore plus en colère qu'avant et je ne croyais pas pouvoir m'affranchir de cette rage de si tôt. J'avais besoin du docteur Lesly plus que jamais.
— Et ta sœur ? s'enquit-il d'une voix hésitante. As-tu l'intention de la retrouver ? Je peux te...
— Parce que réunir tes deux enfants fait partie de tes priorités maintenant ? crachai-je par-dessus mon épaule.
— Ricardo, je... Je me doute bien que ce soit la dernière fois qu'on se voit. Juste, promets-moi de ne pas faire la même erreur que moi. Ne laisse pas toute cette amertume te transformer en le genre de personne que j'ai été.
À son intonation, on aurait presque pu croire que c'étaient les paroles d'un père qui se souciait vraiment de son enfant. J'avais vraiment envie de rire. Cependant, je parvins à me retenir et dis de préférence :
— Je ne me permettrai pas d'être ce monstre au cœur givré que tu as été. Et si malgré tout, un jour, ça m'arrivait, alors j'accepterais qu'on ne m'accorde jamais le pardon, car je ne le mériterais pas.
Il soupira, vaincu et conclut :
— Fais attention à toi ! Je... t'aime. Je t'ai toujours aimé. Il y avait juste des choses qui...
Sans attendre la suite de sa phrase, je sortis et refermai la porte avec toute la rage que ses derniers mots avaient réveillée en moi. Il m'aimait ! J'avais sûrement l'air d'un timbré, car j'éclatai tout seul d'un rire hystérique en me dirigeant vers l'ascenseur. Il m'aimait ! Elle était bonne celle-là !
En tapant nerveusement du pied dans la boîte en inox, je repensais à toutes les fois où il m'avait accusé d'avoir pris la vie de sa femme. Il m'aimait ! Quel genre d'amour poussait quelqu'un à ignorer son enfant parce qu'il n'avait pas choisi la voie qu'il voulait ? Il m'aimait ! Depuis mon enfance, il passait ses Noëls au bureau au lieu d'être avec moi alors que je n'avais personne.
Le pire, c'était que j'aurais voulu y croire. Je repassai en revue tous mes souvenirs pour essayer d'en trouver un qui appuierait sa déclaration, mais je n'en trouvai aucun. À part son indifférence et sa colère, jamais il ne m'avait témoigné autre chose. L'une des scènes qui me revinrent en mémoire à cet instant-là en témoignait pleinement.
- J'ai dépensé toute mon allocation de ce mois-ci. Ma fête d'anniversaire a coûté plus que je ne le prévoyais. Je n'ai plus d'argent, lui avais-je annoncé le lendemain de mes dix-sept ans, en attente d'une réaction.
J'avais fait exprès de mentionner mon anniversaire, car j'avais voulu qu'il s'excuse d'avoir oublié de me souhaiter une bonne fête. Ç'aurait bien sûr été un mensonge, mais j'avais quand même eu envie de l'entendre. J'avais eu la preuve qu'il s'en était rappelé : mon allocation mensuelle avait été triplée. Ça avait été ça son cadeau. De l'argent. Encore de l'argent.
Je n'avais pas vraiment tout dépensé. J'avais organisé une méga fête effectivement, mais je n'avais même pas épuisé à la moitié de cette gigantesque somme. Je voulais juste de l'attention, mais à la place, j'avais obtenu un simple :
— Ok !
— Ok ? m'étais-je étranglé.
Ce jour-là, dans son bureau luxueux de notre grande maison froide, il n'avait même pas daigné levé les yeux de ses dossiers pour me blesser... Encore une fois.
- Si tu penses qu'en dépensant mon argent, tu te rendras intéressant, tu te plantes. Ça attire peut-être les filles, mais quelle importance ? Elles sont toutes comme toi : vides et insignifiantes à l'intérieur. Avec ou sans ta grosse voiture et tes pacotilles de marque, tu n'es personne, Ricardo. Mais si ça t'aide à te donner l'impression que tu vaux quelque chose, OK. Juste une chose : c'est la dernière fois que tu gaspilles autant d'argent.
J'avais quitté la pièce les larmes aux yeux, et ce soir-là, j'avais failli dormir en prison en déversant toute ma rage sur un type dans une bagarre. Puis il avait dû me tirer d'affaire ; fou de rage, il m'avait encore insulté. Et le lendemain, j'avais recommencé. Puis le même schéma s'était répété encore, et encore, jusqu'à ce qu'il me vire de la maison.
Ensuite, les choses avaient changé, ça avait été à Maryse d'assurer mes arrières. Celle-ci ne m'insultait jamais, mais je pouvais toujours entendre la voix accusatrice de Dant dans ma tête à chaque fois que je merdais. Et ensuite je replongeais dans cette même boucle destructrice, encore et encore, jusqu'à cette overdose...
C'était facile pour les gens de juger mon comportement de l'époque, mais ils ne pouvaient pas comprendre que je me battais pour avoir aussi mal à l'intérieur qu'à l'extérieur. J'enchaînais les bastons, car je n'avais absolument rien perdre.
Quand ton père, ton seul parent, était convaincu à un tel point que tu ne valais rien ; tu savais que tout espoir de l'impressionner était perdu. Alors, la plupart du temps, tu faisais ce qu'il attendait de toi : te comporter comme un vaurien.
Dant Rivera m'avait détruit. Il avait fait de moi cette personne dont je ne pouvais pas soutenir le regard dans le miroir. Et il m'aimait.
☆☆☆
— Tu te fous de ma gueule, là ? s'écria Sara, furibonde devant le parking de la maison. Je t'avais dit que je n'irais pas seule.
— Je te rejoindrai dans une demi-heure, promis-je. Il faut que j'aille régler quelque chose avant.
Elle devait vraiment avoir un sixième sens, car depuis cet après-midi, elle avait été convaincue que j'allais la planter, et voilà que ça arrivait. Mais c'était juste pour un moment, j'irais la rejoindre à la soirée. Je devais vraiment faire quelque chose d'abord.
Elle fulminait sur place. Je me sentais coupable de la laisser aller toute seule au milieu de toutes ces célébrités aux égos démesurés, mais je n'avais pas le choix. Elle me regarda avec mépris, ses yeux verts naviguant entre mon visage et mon téléphone que je serrais très fort sans m'en rendre compte, jusqu'à m'en blanchir les jointures. Eh merde !
Bravo Rivera ! Maintenant, elle va croire que c'est à cause d'un appel de l'une de tes putes imaginaires que tu la plantes.
Elle tourna les talons après un dernier regard incendiaire, sans rien ajouter d'autre. Mon sentiment de culpabilité grossit, mais je ne pouvais rien y faire.
Quinn lui ouvrit la portière de la voiture et elle s'installa du côté passager, le visage fermé en évitant mon regard. Cependant, le mien ne put se détacher de son magnifique profil jusqu'à ce que leur véhicule disparaisse totalement de ma vue. Je me promis de la complimenter plus tard, car elle était vraiment à tomber.
Elle arborait un maquillage naturel, mais parfaitement dessiné. Ses cheveux quant à eux étaient tressés de manière décoiffée, de façon à lui conférer un air aussi sexy qu'élégant...
Avec sa longue robe rouge fendue, qui laissait entrevoir ses jambes parfaitement hâlées terminées par une paire de sandales nudes, c'était sûr qu'elle allait faire tourner des têtes. J'étais jaloux d'avance pour tous ces connards qui allaient poser leurs regards lubriques sur elle, et je me fis la promesse de la rejoindre le plus vite possible.
Je choisis l'Aston Martin dans le garage, démarrai en trombe et enlevai le nœud papillon qui complétait mon smoking, tout en surveillant la route. Je n'avais même pas besoin de mentionner que je préférais de loin mon look décontracté habituel. Cette merde cintrée me donnait tellement l'impression d'étouffer.
Une fois sur la route, je tirai le sac qui se trouvait toujours sous le siège passager et en extirpai mes lunettes de soleil, ma casquette et ma fausse moustache. Ça n'allait pas du tout avec mon costume trois-pièces, mais mon objectif, c'était d'éviter de me faire repérer, pas de poser pour Icon magazine.
J'arrivai rapidement devant l'hôpital qu'on m'avait indiqué, me garai maladroitement à cause de mon empressement et reçus quelques coups de klaxon furieux que j'ignorai totalement.
— Marcos Shade, s'il vous plaît.
— Salle 103, m'indiqua l'infirmière à l'accueil après avoir consulté son ordinateur.
Lorsque je pénétrai dans la chambre, l'intéressé m'adressa un faible sourire et l'étau autour de ma gorge se relâcha quelque peu. J'avais vraiment pensé au pire.
Maintenant comment allais-je pouvoir le larguer ? me surpris-je à penser avant qu'une pointe de culpabilité ne m'assaille.
— Qu'est-ce qui s'est passé ? demandai-je pour soulager ma conscience.
— Accident de voiture, répondit-il avec une petite moue. C'est ce qui arrive quand on consulte son téléphone au volant.
Il esquissa un pâle sourire qu'il voulait rassurant et grimaça tout de suite après de douleur.
Je remarquai à ce moment-là que j'étais resté tout ce temps près de la porte, et je m'approchai afin de constater les dégâts. Il avait un méchant cocard à l'œil gauche, un pansement sur le nez, de multiples petites coupures sur les lèvres et de nombreuses ecchymoses sur tout le corps. Il me prenait vraiment pour un con ?
J'avais assez bagarré de ma vie pour reconnaître des traces de coups. Il s'était soit fait agresser, ou avait soit pris part à une baston. Le pire dans tout ça, c'était qu'il avait osé me mentir. J'étais vraiment en colère et ne me donnai même pas la peine de modifier mon expression. Cependant, quelques secondes plus tard, il se mit à cligner anormalement vite des yeux, comme quelqu'un qui luttait pour ne pas sombrer, et je m'alarmai :
— Qu'est-ce qui se passe ?
— Les médocs...
Il s'endormit tout de suite après, sans achever sa phrase. Je restai, je ne saurais calculer combien de temps dans le fauteuil à ses côtés, à réfléchir, accoudé à son lit. Une infirmière de petite taille me tira de mes pensées en entrant dans la chambre avec un bloc-notes.
Elle fronça d'abord les sourcils d'un air perplexe devant mon accoutrement, puis finit par hausser les épaules, l'esprit manifestement accaparé par autre chose de plus intéressant.
— Il s'est endormi, constata-t-elle en observant Marcos avant de s'adresser à moi : Vous êtes ?
— Son cousin... Le numéro que vous avez trouvé dans ses affaires.
— D'accord. Votre moustache est de travers.
— Oh, soufflai-je, embarrassé en redressant l'objet de notre attention. Je... je... je travaille dans un cirque.
Elle hocha la tête d'un air indifférent et prit la température de Marcos.
— Que lui est-il arrivé ? demandai-je.
Elle parut d'abord hésiter avant d'annoncer :
— Il nous a suppliés de ne rien révéler à personne, mais les gens délirent parfois sous l'effet de la morphine. Comme vous êtes son cousin, alors...
Je l'encourageai à poursuivre du regard et elle enchaîna :
— Il s'est fait agresser. Rien de bien grave, s'empressa-t-elle d'ajouter. Soit il a eu de la chance, soit la personne voulait juste lui faire peur. En tout cas, il lui a fracturé deux côtes et vous pouvez constater le reste des dégâts par toi-même. Votre cousin à peut-être des ennuis...
Comme ça, ce qu'il me cachait était encore plus grave que ce que j'imaginais ! De nouveau perdu dans mes pensées et parcourant distraitement la salle du regard, mes yeux tombèrent sur l'horloge accrochée au-dessus du lit.
Ma première réflexion fut qu'elle n'était certainement pas à l'heure.
Mais en consultant ma montre, je ne pus plus longtemps nier l'évidence et me figeai de stupeur. Plus d'une heure s'était écoulée depuis mon départ de la maison.
Sara allait me tuer...

Rock Hard, Love HarderOù les histoires vivent. Découvrez maintenant