🌟18- Froid

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— Pourquoi tu ne m'aides pas ? bouda l'Apollon à la peau foncée, dont j'occupais le canapé, depuis la cuisine.
— Tu te débrouilles très bien sans moi, répondis-je nonchalamment en continuant à zapper les différentes chaînes de télévision.
Il n'y avait rien de vraiment intéressant. La saison de Basket-ball n'avait pas encore commencé. Ils ne diffusaient pas non plus d'épisodes de The Originals ou de Vampire Diaries. Et les Kardashian étaient le dernier de mes centres d'intérêt.
J'éteignis donc la télé avec un soupir las, et me croisai les bras derrière la tête, en m'allongeant sur le canapé de couleur ivoire. Je déposai ensuite mes pieds sur l'un des accoudoirs et fermai les yeux avec en fond sonore, le bruit apaisant des vagues qui s'écrasaient contre la falaise.
La maison de Marcos, située près de la côte californienne, à seulement deux heures de route de L.A., était tellement reposante. Elle était lumineuse, à cause des larges baies vitrées du salon, de la salle à manger et de la cuisine, qui occupaient tous ensemble, une grande pièce rectangulaire. Mais aussi, elle était magnifique avec ses meubles sobres pour la plupart en bois, et les autres chambres avec leurs murs en pierre.
Rien que d'être ici me relaxait ; comme le laissait bien deviner ma position détendue sur le canapé.
Je savais que son propriétaire, de l'autre côté de la salle parcourue de verre, n'allait pas tarder à me faire une remarque. C'était l'une des personnes les plus maniaques que je connaissais. Et effectivement, ce dernier ne se fit pas attendre et gueula :
— Swan Ricardo Rivera, enlève tes chaussettes de mon accoudoir !
— Viens donc le faire toi-même ! le narguai-je en ricanant. Et pour info, mes chaussettes sont plus propres que ton maudit canapé.
Je l'imaginais en train de fulminer sur place et je souris. Je n'arrêterais jamais de me moquer de son obsession pour l'ordre et le rangement.
— Et ne m'appelle plus Swan ! ajoutai-je plus sérieusement.
Swan, mon premier prénom signifiait cygne. Pour ma part, ceci n'était qu'une autre preuve flagrante que mon père me détestait vraiment.
Pourtant, ce n'était pas pour cette raison que je ne supportais plus qu'on m'appelât comme ça. Ce nom me rappelait juste trop les semaines les plus éprouvantes de ma vie au St Jhon's College, après l'aveu public de Crysta.
Il y avait eu des dessins de cygnes couleur arc-en-ciel, sur mon casier, sur ma chaise, partout... Pour la plupart, ils représentaient deux cygnes se rapprochant, les cous courbés, formant un cœur, comme on en voyait sur les cartes de Saint-Valentin. En dessous, mes harceleurs faisaient souvent un jeu de mots stupide entre mon prénom et celui de Clarke.
Tout le monde avait été mis au courant de mon béguin pour le capitaine de l'équipe de basket-ball. Tout ça, à cause de sa salope de sœur. Mon quotidien à l'époque avait été plus qu'atroce, pendant la période qui avait suivi cet épisode.
Parfois, on remplaçait le nom du basketteur par celui de Brann ; le seul avant moi, dont l'homosexualité n'était pas un secret à l'école. Ces trolls étaient ravis d'avoir un gay de plus sur qui se défouler. Dans cet établissement catholique pour gosses de riches, pourris gâtés, l'homosexualité était vraiment LA chose à éviter.
Je m'étais efforcé de démentir les accusations de Crysta, mais pendant un temps, personne ne m'avait cru.
Daphney ne m'avait pas demandé si c'était vrai ou pas. Mais elle ne m'avait jamais laissé tomber.
Et puis un jour, j'avais changé radicalement de garde-robe et de coiffure, pour adopter un look plus badass. Puis, je m'étais mis à me tuer au sport afin d'intégrer l'équipe de basket.
Par la suite, mes efforts avaient fini par payer. J'avais été accepté en tant qu'ailier dans l'équipe. Je m'étais donné à fond et en très peu de temps, j'étais devenu populaire.
En moins de deux ans, j'avais baisé la majorité des meufs de l'école. Presque chaque semaine, les filles, pom-pom girls comprises, se tuaient toutes pour être celle à s'exhiber à mes bras. J'étais le gars qu'on ne pouvait plus manquer et j'avais fini par exiger qu'on ne m'appelle plus Swan, mais uniquement Rick.
La situation s'était vite retournée contre Crysta pour avoir « menti » sur moi : le mec qui passait son temps à se battre. Qui conduisait un pick-up Mercedes G-wagon. Qui jouait dans l'équipe de basket, et qui à un certain moment, pouvait ambiancer une soirée, uniquement avec sa guitare sèche et sa voix. Rick, le bad boy que désormais tout le monde voulait.
Swan était mort. C'était Rick désormais. Et je ne permettais plus qu'on m'appelle autrement.
Je n'entendis pas Marcos arriver, sûrement à cause de la moquette, et je le remarquai dans sa chemise blanche aux manches retroussées jusqu'aux coudes et son jean kaki, uniquement lorsqu'il poussa mes pieds de l'accoudoir.
— Merde, c'est quoi ton souci ? aboyai-je, décontenancé par son geste.
— Tu m'as dit de venir les enlever pour toi, énonça-t-il, le visage inexpressif. C'est fait !
— Tu peux être très chiant quand tu veux ! Tu le sais, ça ? grommelai-je en replaçant mes pieds là où ils étaient.
— Je ne rigole pas. Enlève tes pieds Rick !
L'absence de toute trace de plaisanterie sur son visage signifiait donc qu'il était sérieux. Tout ça pour un accoudoir, alors que mes chaussettes n'étaient même pas sales ! Marcos avait toujours eu ce petit côté chiant, mais ça ne voulait pas dire que je m'y étais habitué avec le temps.
Frustré, je me levai sans un mot de plus et chaussai mes boots. J'avais presque atteint la porte lorsqu'il me fit barrage avec son corps et me pria d'un air implorant :
— Reste !
— Non ! grondai-je en contractant les mâchoires.
Il me surprit en remplissant la faible distance entre nous, et sans prévenir, il déposa délicatement ses lèvres sur les miennes.
Ce fut un baiser tendre auquel je ne répondis pas tout de suite, parce que je lui en voulais encore. Lorsque je le fis finalement, j'attirai encore plus son corps contre moi en glissant mes doigts dans ses cheveux frisés. Il pressa ensuite ses mains sur ma taille en fouillant ma bouche de sa langue, et le baiser s'approfondit...
— Tu sais que c'est ce qu'une pute aurait fait ? Me retenir avec une promesse de sexe, gloussai-je, la respiration haletante, lorsqu'il délaissa mon visage pour embrasser mon cou.
— Les putes ont plus tendance à avoir plusieurs partenaires, souffla-t-il contre mes lèvres.
Mon cœur rata un battement et je le repoussai légèrement afin de croiser ses yeux bruns.
— Est-ce un message ? m'enquis-je, en scrutant sa réaction avec circonspection, sur le qui-vive.
Oui, je l'avais trompé ; et pas qu'avec Sara. Il n'était pas censé être au courant. Bien que d'après moi, il s'en doutait depuis un moment. Sauf que jusque-là, il n'y avait jamais fait d'allusions. Rien du tout !
Est-ce que le jour que je craignais tant était enfin arrivé ? Celui où il craquerait et me dirait qu'il n'en pouvait plus de moi et de mes conneries.
Je ne pouvais pas le perdre. J'avais besoin de quelque part où m'évader de temps en temps. J'avais besoin de sa maison. J'avais besoin de lui.
Après nous être dévisagés pendant plus d'une vingtaine de secondes. Il finit par s'exprimer sur un ton étrange que je n'arrivai pas à traduire :
— Non, ce n'est pas un message.
Je ne le croyais pas. Cependant, je ne m'y attardai pas et pris son visage en coupe avant de l'embrasser d'une manière intense, pleine d'énergie. Il m'enlaça de nouveau et soupira quand je fis frotter ma langue contre la sienne en l'acculant contre la vitre.
Quelque chose avait changé, des deux côtés.
Pour moi, je n'arrivais pas à mettre précisément le doigt dessus. Pour Marcos, non plus. Mais je pouvais le sentir.
Par contre, si une bonne baise pouvait retarder l'explosion de cette chose, alors on allait baiser. Je n'étais vraiment pas prêt pour ce que je sentais approcher.
Je continuai à explorer sa bouche de ma langue et en caressai ses lèvres. Il enleva mon tee-shirt et ses yeux remplis de désir parcoururent mon buste sculpté par mes séances à la salle. Je lui adressai un sourire carnassier et il verrouilla de nouveau ses lèvres aux miennes.
— Mords-moi, me surpris-je à prononcer d'une voix hachée entre deux baisers.
— Quoi ? s'interrompit-il, déconcerté.
— Mords-moi les lèvres, clarifiai-je en le tirant contre moi.
Il s'immobilisa un moment, l'expression dubitative, comme s'il entretenait une conversation avec lui-même. Mais quelques secondes plus tard, il finit par s'exécuter.
J'avais envie de préciser qu'il fallait qu'il me morde comme...
Merde !
Je le plaquai un peu plus contre la vitre, embrassai ardemment son cou et glissai mes mains sur ses fesses. Elles étaient fermes et si sexy, comme...
Qu'est-ce qui m'arrive ? Pourquoi je pense à ça maintenant ?
Et encore, j'avais envie de lui dire de me tirer les cheveux en arrière, tout en m'embrassant. Ça me poussa à me questionner, sur l'origine de ce désir ?
Et je dus me rendre à l'évidence que ça remontait à...
Eh merde ! Pourquoi ne pouvait-elle pas quitter ma tête ? Je l'avais eu une fois, non ? Pourquoi ça ne me suffisait pas ? Ce n'était pas normal !
De frustration, j'interrompis brusquement le baiser, sous le regard troublé de Marcos, qui visiblement attendait une explication.
Lorsque la minuterie du four se mit à sonner quelques secondes plus tard, je fus tellement reconnaissant envers l'appareil que je me promis de le nettoyer la prochaine fois que je viendrais. Je n'avais aucune idée de ce que j'aurais pu sortir à Marcos.
Ce dernier s'empressa de retourner à la cuisine, après avoir ramassé mon tee-shirt noir « Badass certifié » qu'il plaça de préférence sur le dossier d'une chaise. Ça me fit sourire, car je réalisai qu'il ne changerait jamais.
Après un moment, je le rejoignis torse nu derrière le plan de travail où il éventait... je ne savais pas trop quoi. Cependant, j'avais l'assurance que ce serait délicieux, car il était un vrai cordon bleu.
— Tu peux partir si tu veux, jeta-t-il sèchement, sans croiser mon regard.
Mon comportement douteux n'était donc pas passé inaperçu. Je ne m'inquiétais pas trop cependant. J'avais des projets pour lui changer les idées.
— Et si je ne veux pas ? lançai-je sur un ton taquin.
— Tu pars quand même. Je veux être seul, décréta-t-il en continuant de s'activer derrière le plan de travail.
Je n'arrivais pas à en croire mes oreilles ! C'était la première fois qu'il me repoussait et ce n'était franchement pas agréable. J'eus pendant quelques secondes, l'envie d'insister, mais je laissai tomber.
Il avait pleinement le droit d'agir comme ça.
— OK ! soufflai-je, avant de tourner les talons.
Sur la route, je ne pus m'empêcher de repasser la scène encore et encore, et j'en restai toujours abasourdi. Il m'avait quand même dit de m'en aller !
Je montai le volume sur Youngblood des 5sos qui passait sur l'autoradio, en espérant que la musique m'empêcherait de penser, mais c'était peine perdue.
Allait-il me quitter ? Qu'est-ce que j'avais fait ? Bon d'accord, c'était hypocrite. Je dirais plutôt, qu'est-ce que j'avais fait en plus de le tromper, lui mentir et garder notre relation secrète ? Merde, c'était quand même beaucoup, finalement !
Mais le fait était que jusque-là, le silence et la passivité de Marcos m'arrangeaient. Qu'il n'acceptât plus mes conneries signifierait que je devrais faire des efforts, et un choix...
Or, cette perspective me rendait malade d'avance.
Mon état ne s'arrangea pas, lorsque je rentrai à la maison trois heures plus tard et que je croisai Sara. Elle était sur son ordi, mais elle s'empressa de se lever de la chaise longue qu'elle occupait près de la piscine à la minute où elle m'aperçut.
C'était mon dernier jour de libre, merde ! Pourquoi ils ne pouvaient pas être tous gentils avec moi ?
— Il faut qu'on règle ça ! exigeai-je en lui barrant le passage devant la porte coulissante qui donnait accès à la maison.
– Ça quoi ? fit-elle d'un ton exagérément ennuyé.
— Ça ! Ta froideur envers moi. Ce comportement est vexant.
— Je ne suis pas froide, prétendit-elle alors que son expression disait tout le contraire.
— Tu n'offres pas non plus l'image d'une braise, observai-je avec une légère pointe de sarcasme.

Elle me toisa, se mordit la lèvre inférieure, puis finit par ordonner avec un soupir las :
— Dégage !
Je m'étais excusé, j'avais tenté à plusieurs reprises d'engager la conversation, mais rien n'avait fonctionné. La seule fois où elle m'avait accordé son attention fut lorsque... Bingo !
Je savais qu'elle ne pourrait pas résister à vouloir m'aider, alors je me composai un visage préoccupé, alors qu'au fond, j'étais content d'avoir trouvé le moyen de la faire réagir.
— Aide-moi, s'il te plaît, l'implorai-je.
En effet, malgré la lueur de dédain que je décelai dans ses grands yeux verts, elle demanda après avoir longuement expiré, comme quelqu'un qui se résignait :
— T'aider dans quoi ?
Désormais, j'avais l'air d'avoir toute son attention, mais qu'allais-je bien pouvoir inventer pour pouvoir la garder ?
— Je veux reparler à mon père, sortis-je avant de le regretter la seconde d'après.
Je crois que mon tee-shirt aurait dû être affublé de l'inscription « Con certifié » , qui me correspondait beaucoup mieux, à mon avis.
Pourquoi ? Pourquoi avais-je dit une chose pareille ?
Sara m'examina durant de longues secondes, pendant lesquelles je priai pour qu'elle continue de m'ignorer. Elle avait le front plissé et la tête penchée sur un côté, comme si elle se perdait dans une réflexion intense. Puis finalement, elle adopta une expression déterminée et redressa son menton pour déclarer :
— Allons-y maintenant !
— Quoi ? m'étranglai-je.
— Si tu veux parler à ton père. Vas-y maintenant, je t'accompagnerai jusqu'à chez lui.
J'avais envie de hurler. D'une part, si je disais non, elle allait recommencer à m'ignorer, ce que j'avais de plus en plus de mal à supporter. D'une autre, si j'allais voir mon père. Eh ben... C'était mon père. L'une des personnes que je détestais le plus au monde.
Serais-je prêt à l'affronter après toutes ces années juste pour l'attention de Sara ?
— Alors ? voulut-elle confirmer.
Alors, je devrais faire un choix.
Et Dieu savait comme je détestais ça...

Rock Hard, Love HarderOù les histoires vivent. Découvrez maintenant