🌟63. I got you

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— Que veux-tu ? grondai-je à l'intention de ma sœur.
Un large sourire prit naissance sur le visage de l'intéressée et je levai les yeux au ciel d'agacement. Je savais qu'elle était en train de se faire tout un tas d'idées toutes plus saugrenues que les autres, rien qu'à sa façon de nous observer.
Ça aurait pu s'arrêter là, mais malheureusement son regard atterrit sur la trousse de Jason qui avait échoué par terre, et de laquelle dépassait une seringue.
Ses traits se durcirent dans la seconde et elle se précipita pour la ramasser, sauf que je fus plus rapide.
— C'est rien ! m'exclamai-je en cachant l'objet de notre attention derrière mon dos.
— T'es pas croyable ! explosa-t-elle. Non, vous n'êtes pas croyables tous les deux. C'était ça le programme ? Vous droguer et coucher ? C'est quand que vous allez grandir ?
Monica s'était présentée à toute l'équipe en affirmant être la fille de mon père. Tout le monde m'avait interrogé du regard, mais après mon haussement d'épaules désinvolte, plus personne n'avait remis le sujet sur le tapis. Le fait était que les gens évitaient de m'importuner le plus possible, ces derniers temps.
Par ailleurs, ils étaient tous un peu maladroits avec la psy, ne sachant pas vraiment quelle attitude adopter avec la pseudo-sœur de Rick sortie de nulle part.
Jason était donc très mal à l'aise. Je lui jetai un bref regard pour le rassurer et découvris qu'il s'était subitement pris d'une passion pour la moquette, que je savais, cachait son désir d'éviter un affrontement avec Monica.
— T'as eu deux overdoses, Rick. Deux, pesta cette dernière, la mine furibonde.
Immédiatement, mes poings se contractèrent d'eux-mêmes et je me braquai en adressant un regard incendiaire à l'Italienne. Je détestais tellement quand les gens me jetaient ces expériences à la gueule, comme s'ils connaissaient mon vécu mieux que moi-même.
Si c'était tellement facile de se libérer de l'emprise de la drogue, à mon avis, ça se saurait. J'estimais que personne n'avait gagné le droit de me juger, s'il n'avait pas été au moins une fois dans mes souliers. Oui, j'avais fait des conneries, mais qui était parfait ?
Monica se tourna ensuite vers Jason pour l'admonester :
— Toi...
— Non, coupai-je avec aigreur. Il n'y est pour rien. Je suis un adulte. Lâche-moi la grappe, putain !
— Bien ! trancha-t-elle d'un ton condescendant. Je m'en vais. J'en ai marre, de toute façon. Je ne te sers à rien. Tu n'écoutes jamais personne. Bonne chance, Rick ! Ruine ta vie, vis ta ruine !
Elle quitta ensuite la chambre à grands pas vifs et claqua la porte derrière elle.
Pourquoi sa déception me touchait-elle à ce point ? Pourquoi avais-je envie de courir la stopper ?
— Je suis désolé, murmura Jason d'un air navré.
— Ça va ! Je vais arranger ça.
Je devais vraiment être sadique, car j'allais empêcher ma chère sœur qui me les cassait H 24 de partir. Peut-être que j'avais fini par m'habituer à ses babillages en fin de compte.
Je sortis de la chambre et la rattrapai en parvenant à m'engouffrer dans l'ascenseur à la dernière seconde.
— J'ai l'impression de vivre une même scène, mais à l'envers, tentai-je de plaisanter.
Elle resta de marbre, et mon agacement se réveilla, car je détestais être ignoré.
— Que veux-tu entendre ? repris-je en levant les yeux au ciel. Que je suis désolé ? OK, je le suis. Mais je n'ai rien pris, tu sais. Inspecte mes yeux, si tu veux...
Ses bras demeurèrent obstinément croisés sous sa poitrine, et son regard cristallin rivé sur l'inox devant elle, qui lui renvoyait une image trouble de son visage arrondi, dégagé par sa queue de cheval fournie.
— Je ne veux pas que tu partes, avouai-je, sincère. Allons manger quelque chose et on pourra discuter plus calmement.
— Je pensais que tu n'allais jamais le dire, fit-elle avec un sourire en coin.
— Attends ! C'était un piège ? m'étranglai-je.
— Un peu !
— Tu n'avais donc jamais eu l'intention de partir ? déduisis-je, un peu vexé de m'être fait avoir.
— Quoi ? Sans bagage ? pouffa-t-elle. Je ne vais pas te laisser tomber, Rick. Enregistre ça dans ta noix.
L'ascenseur s'ouvrit sur le rez-de-chaussée de l'hôtel et elle sortit d'une démarche assurée, me laissant méditatif et un peu troublé. Quel drôle de personnage ! Pourquoi tenait-elle autant à moi ?
— Viens ! me lança-t-elle par-dessus son épaule. Il y a peu de monde à cette heure et le restau ici est top.
Je la suivis en secouant la tête pour me ressaisir et on s'installa dans une table, au fond du restau de style marin chic de l'hôtel.
Une fois qu'on eut commandé, elle ne perdit pas de temps et engagea immédiatement la conversation :
— Tu sais, je n'ai même pas le droit d'être là.
— Quoi ? m'intriguai-je.
— Les psychologues ne suivent pas les membres de leur famille. Mais j'ai dérogé à la règle, car je n'avais pas pu résister. J'avais besoin de toi dans ma vie. En plus, ce n'était pas comme si j'étais vraiment ta psy. Tu ne m'écoutes jamais et on n'a pas une seule fois eu de conversations de plus de cinq minutes.
Je gigotai sur ma chaise, car je me sentais un peu gêné de toute cette attention. D'autant plus que je n'en comprenais pas vraiment la raison.
— Pourquoi tu tiens autant à me sauver ? demandai-je finalement.
— Je te l'ai dit ; t'es la seule famille qui me reste, répéta-t-elle d'un ton solennel. Je ne suis pas d'ici. Tu le sais, pas vrai ? Je suis venue en Amérique pour les études. T'es jamais allé en Italie ?
— Une fois, confiai-je après avoir creusé ma mémoire. C'était pour un concert.
— Donc tu n'as jamais vu tes grands-parents ? estima-t-elle.
— Jamais.
— Tu n'as rien raté. Ces gens sont tellement... non mais tellement horribles ! raconta-t-elle en bougeant les mains avec emphase. Je ne les ai rencontrés qu'à une occasion, mais c'était déjà une fois de trop. Je n'ai grandi qu'avec ma mère, qui était une immigrée en Italie. On était donc seules, mais très proches. Cependant, quand je suis arrivée ici, j'ai commencé à l'appeler de moins en moins. Puis au fil des années, elle me demandait de rentrer, et moi, je repoussais, soit à cause du boulot ou d'autres trucs sans importance. Le fait était que là-bas ne me manquait pas tant que ça et elle ne voulait pas venir ici. Puis... il n'y a pas longtemps, elle est morte. J'ai appris qu'elle avait été malade pendant un bon bout de temps, et je n'ai pas été là, termina-t-elle sans parvenir à cacher la tristesse de sa voix.
— Donc tu veux te rattraper avec moi, réfléchis-je à voix haute.
Mais moi, je n'allais pas mourir. Si ?
— J'ai envie d'être là pour toi, dit-elle avec sincérité. Quelque chose en moi refuse de te tourner le dos. De plus, tu es tellement mal entouré. Tout le monde pense t'aimer en te laissant faire ce que tu veux, mais pour moi, tu es plus qu'un show télévisé ambulant. Je vois l'humain derrière toute cette mascarade et il n'est pas bien.
Je comprenais enfin son acharnement, et la véracité de ses propos me heurta comme un camion. Je m'empressai de détourner le regard pour qu'elle ne puisse pas y lire mon trouble, mais elle m'avait vraiment mis mal à l'aise.
Heureusement que le serveur m'évita de chercher une réponse en m'apportant ma bouteille d'eau minérale, puisque je ne mangeais jamais après onze heures du soir. Monica, elle avait opté pour un milk-shake au raisin et elle soupira de bonheur après avoir aspiré dans sa paille.
— Comme ça, tu te tapes Blondie ? s'amusa-t-elle avec un petit mutin au bout d'un moment.
Je soufflai par la bouche, lassé d'avance par la conversation qui allait suivre avant de démentir :
— On ne couche pas...
— Vous êtes mignons tous les deux, applaudit-elle avec un large sourire. Quoique deux caractères explosifs... Votre couple risque d'en pâtir.
— On n'est pas un couple ! m'agaçai-je en prenant le soin de détacher chaque mot.
Cependant, elle poursuivit comme si je n'avais pas parlé :
— Je me doutais bien que t'avais un petit ami secret. Je pense bien évidemment que tu serais plus heureux si tu n'avais pas à le cacher. Tu serais libéré d'un poids, crois-moi. Mais il faudrait bien sûr commencer par régler cette histoire avec cette fille.
Je me laissai lourdement atterrir contre le dossier de ma chaise en me croisant les bras sur le torse pour bien signifier que je n'avais nullement envie de débattre ce sujet. Cependant, ça ne découragea pas ma sœur pour deux sous, car elle renchérit d'un ton pressant :
— Elle souffre, Rick.
— Moi aussi, je souffre, m'énervai-je. Elle m'a menti !
Elle ne se démonta pas le moins du monde et enchaîna de sa voix parfaitement maîtrisée :
— Elle sait que tu te tapes Blondie ? Est-elle au moins au courant de ta double vie ? insista-t-elle en sourcillant d'un air dubitatif.
— Ce n'est pas ça...
— C'est une personne, Rick ! argua-t-elle avec véhémence. Elle peut faire des erreurs. Je suis sûre que t'en connais un rayon sur le sujet.
Presque involontairement, ma mâchoire se contracta et mon regard devint fuyant. Oui, moi aussi, j'avais fait des erreurs, mais je ne lui avais jamais foutu une humiliation à l'échelle internationale, à ce que je sache.
— Tes fans sont cinglés, Rick. Tu es leur idole. Quelqu'un t'a blessé, ils se sentent donc concernés et obligés de te défendre. Mais cette fille n'a pas à subir tout ça, car je ne pense même pas que tu sois si atteint que ça. Tu t'amusais bien tout à l'heure, pas vrai ?
— Tu ne comprends pas ? explosai-je en me fichant de déranger le vieux installé quelques tables plus loin. Je l'aime ! Ce n'est pas une mascarade. Je suis une putain d'épave. Rien que respirer me fait mal depuis qu'on s'est quitté. Ça me fout la rage de me voir dans cet état à cause d'elle en me disant que peut-être en ce moment même, elle prend du bon temps avec Shawn. Alors si les insultes qu'elle reçoit, c'est la seule chose de mal dans sa vie, je ne vais rien y changer. Moi, je ne vis même plus. Je...
Les larmes menaçaient me submerger, alors j'entamai une grande respiration en me laissant aller contre le dossier pour me calmer. Je n'allais pas pleurer en public. Pas pour elle...
— OK, je te crois ! sortit doucement Monica après quelques secondes d'examination intense.
Je ne lui jetai qu'un bref regard, mais elle dut y lire tout mon doute, car elle s'empressa d'ajouter d'un air convaincant :
— Je ne plaisante pas. Je crois que tu l'aimes vraiment. Après tout, il y a autant de sexualité qu'il y a d'êtres humains. Si tu es attiré par les hommes et es amoureux d'une fille, d'accord. Par contre, tu as une drôle de façon de prouver ton amour.
— Je souffre trop pour être celui qui doit encore essayer d'arranger les choses entre nous, grinçai-je en peinant pour maîtriser la colère dans ma voix. Peut-être qu'elle n'est pas si persécutée que ça. Après tout, ça fait deux semaines et elle ne m'a pas appelé une seule fois.
— Faudrait commencer à dissocier la star de la personne. Tout le monde n'existe pas pour te vénérer, Rick. Toi aussi tu la blesses, en agissant comme ça ; elle a des sentiments, c'est normal qu'elle ne t'appelle pas. De plus, te n'as pas essayé de considérer une seule seconde qu'elle ne soit peut-être pas si coupable que ça ?
Non ! Je n'allais pas laisser la culpabilité m'envahir. Je n'avais rien fait de mal. Je n'aurais pas dû passer tout ce temps en compagnie de Monica. J'aurais dû me rappeler que dès que ses mots entraient dans ma tête, ils ne me collaient pas... Ils me hantaient. Mais ça n'allait pas marcher. Pas cette fois. Je n'allais pas me laisser avoir. Je n'allais pas appeler Sara. Ce n'était pas à moi d'arranger la situation.
— T'as pas de mec ? cinglai-je en mettant toute mon exaspération dans mon ton. Ou de meuf ? Je ne veux pas être le seul à te subir. Tu me les casses grave ; t'es au courant, au moins ?
À ma grande surprise, elle partit d'un grand fou rire et me dévisagea avec attendrissement, comme on regardait un pauvre enfant.
— Tu es déjà habitué à ce que les gens ne te disent que ce que tu veux entendre, c'est ça ?
Elle glissa distraitement ses doigts dans sa queue de cheval, et sans attendre ma réponse, elle confessa d'un air nostalgique :
— Moi et ma copine, on a rompu il y a deux mois.
— Rien ne va dans ta vie, toi ! me sentis-je obligé de souligner.
— Dit Rick Rivera, rétorqua-t-elle du tac au tac.
Touché ! On s'esclaffa tous les deux, comme des idiots et je me surpris à la trouver cool.
Je l'aimais bien finalement ! J'allais vraiment essayer d'être moins con avec elle. Parce que bizarrement, je la croyais lorsqu'elle affirmait vouloir uniquement mon bien. Je ne serais pas tout le temps d'accord avec ses idées, mais je me promis de lui laisser sa chance.
— Tu penses pouvoir lui pardonner ? sortit-elle tout de go au bout d'un moment.
Je me sentais tellement en confiance en échangeant des banalités avec elle, que ce changement de sujet n'alarma pas le moins du monde mon cerveau. Je devais avouer qu'elle savait s'y prendre.
— Je ne sais pas, admis-je en haussant les épaules. Tout ce que je sais, c'est qu'elle me manque, mais que je ne ferai pas le premier pas. Elle faisait ressortir la meilleure version de moi-même. Quand je me regardais dans le miroir et y découvrais un connard fini ; je ne voulais pas qu'elle, elle le voie. Je luttais toujours pour la mériter en étant le meilleur moi possible. Mais elle est allée dans les bras d'un autre. Je ne peux pas le digérer. Quelque chose en moi est trop blessé pour accepter que j'aie fait de mon mieux, mais que ça n'ait pas suffi.
Monica m'observait avec une expression indéchiffrable tout le long de mon discours. Ses yeux clairs scrutateurs finirent par m'embêter et je me levai pour partir.
— Je sais ce que tu vas dire : que je ne devrais pas écouter mon égo de star. Que je dois dire à mes fans d'arrêter, car ce comportement est puéril. Ne perds même pas ton temps ! Ça me dérangeait d'être une mauvaise personne que lorsqu'elle me regardait. L'image de connard qu'on projetait de moi me fatiguait, car je voulais lui prouver que je valais mieux que ça. Mais là, elle est avec un autre. Je me fous de tout, conclus-je en tournant les talons.
— Hey ! m'appela-t-elle doucement avant que je ne sois trop loin.
Je me retournai sans grande conviction et elle me promit d'un air assuré :
— Ça va aller.
Je lui fis une grimace qui au départ devait être un sourire, puis je décampai sans rien ajouter.
Je ne croyais pas que ça allait aller.
J'avais l'impression que chaque jour, la plaie dans ma poitrine s'élargissait encore et encore en grand trou noir béant et qu'avec elle, grandissait aussi le besoin pressant de le combler.
Le bouchon qui me trottait dans la tête en ce moment n'était certainement pas bien. Mais c'était tout ce que j'avais, et j'en avais marre de souffrir...

Rock Hard, Love HarderOù les histoires vivent. Découvrez maintenant