🌟33- Pile ou face

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Accoudé à l'un des fauteuils, dans un coin de la chambre tapissée de photographie en noir et blanc, j'observais leur propriétaire en train de dormir d'un sommeil profond. C'était sûrement un comportement de pervers, mais je m'en foutais.
C'était préférable de me concentrer sur sa poitrine qui se soulevait et s'abaissait à un rythme régulier, que sur mes sombres pensées.
Je ne saurais préciser combien de temps, j'étais resté là, à le regarder dormir, jusqu'à ce que la sonnerie de son téléphone trouble le silence qui régnait dans la chambre. Marcos, à demi ensommeillé, tâtonna maladroitement un moment sur sa table de chevet avant de mettre la main sur l'appareil.
— Hum ? grogna-t-il en le collant à son oreille.
Ce n'était pas dans ses habitudes de répondre comme ça au téléphone ; j'en déduisis qu'il devait vraiment avoir sommeil. Ça m'intrigua donc un peu lorsque quelques secondes plus tard, il se redressa d'un coup, parfaitement réveillé.
Il consulta l'heure sur son réveil-matin et maugréa :
— Il est... Il est six heures du matin, merde ! Tu me donnes sacrément envie de changer de numéro.
OK, ce n'était pas mes affaires, mais ce coup de fil titillait énormément ma curiosité. Je restai immobile, afin de passer inaperçu le plus longtemps possible et suivre encore un moment la conversation.
Oui, il était six heures du mat et j'étais chez quelqu'un en train de l'espionner. Visiblement, j'avais tout d'un psychopathe. Sachant qu'il me fallait deux heures pour arriver chez lui, il était facile de déduire que je n'avais pas du tout fermé l'œil de la nuit.
Cette rencontre avec mon géniteur m'avait bouleversé. Elle m'avait replongé dans les souvenirs de mon enfance, et j'avais à nouveau ressenti ce vide, cette solitude... C'était horrible.
Incapable de trouver le sommeil, je m'étais levé, avais attrapé mon pantalon de jogging et le premier tee-shirt à m'être tombé sous la main, ensuite j'avais conduit jusqu'à chez Marcos. Autant dire que l'inscription « Montre-moi le tien et je te montrerai le mien » sur mon haut, n'avait rien à voir avec mon humeur. Je n'avais juste pas eu la force de chercher d'autres fringues.
J'avais des cernes énormes, les cheveux dans plus de vingt sens différents, et je n'avais même pas pris le temps de mettre mes lentilles. Je ne me sentais pas bien, j'avais l'impression de m'étouffer et m'étais dirigé vers l'une des rares sources de chaleur constante de ma vie.
Ce n'était pas la première fois que je débarquais chez lui à une heure inopportune. Je savais qu'il ne me repousserait jamais. Et rien que cette assurance m'avait en quelque sorte aidé à retenir mes larmes sur la route et probablement, aidé à éviter un accident par la même occasion.
Les autres pouvaient changer ; des milliers de choses dans ma vie pouvaient s'effondrer, mais je savais que je pourrais toujours compter sur lui. Je ne le méritais pas, j'en avais conscience. Cependant, j'étais trop égoïste pour le laisser tranquille. J'avais trop besoin d'un refuge quand tout allait mal et Marcos Shade était le seul dont je disposais.
Il me tournait le dos, mais je n'avais pas besoin de voir son visage pour constater qu'il était tendu comme un arc. Assis sur le lit, les pieds posés par terre, le dos droit, les épaules raides : tout dans sa posture trahissait un état de stress extrême. Peu importait le sujet de la conversation avec son interlocuteur, celui-ci était grave.
— John, trouve-toi un travail, soupira-t-il d'un ton étonnamment calme malgré la situation. Je t'aiderai si tu... Attends, tu n'oserais pas ! s'exclama-t-il, incrédule, suite à une quelconque réponse de son mystérieux correspondant.
Il demeura un instant figé, comme s'il n'en revenait pas de ce qu'il avait entendu. Cependant, quelques secondes plus tard, après une longue respiration, il déclara froidement :
— Je n'ai plus rien à te dire. Au revoir !
De plus en plus intrigant !
Il déposa ensuite son téléphone sur le meuble de style vintage, et écrasa son visage dans ses paumes, comme quelqu'un qui savait qu'il était dans la merde jusqu'au cou.
Qu'est-ce qu'il pouvait bien avoir ?
L'instant d'après, il souffla par la bouche avant de se lever en direction de la salle de bain dans une démarche quasi militaire, tellement celle-ci était rigide. Il ne me remarqua pas dans mon coin, et j'eus tout le loisir de le contempler à volonté.
Il portait uniquement un bas de pyjama. J'avais donc une vue imprenable sur ses larges épaules, ses muscles bien entretenus sans pour autant être trop marqués, son tatouage tribal, ses hanches fines, son cul parfaitement galbé... Il était vraiment à tomber ! Rien que la vue de son magnifique corps fit remonter tout un tas de souvenirs extatiques en rapport avec celui-ci, et ça réveilla une partie précise de mon anatomie.
Oui, oui, j'étais triste, mais ça ne m'empêchait pas de bander. Ma libido était en partie indépendante de ma volonté, je vous le rappelle.
Marcos entra dans la salle de bain aux murs de pierre, toujours sans m'apercevoir. Il laissa la porte de celle-ci ouverte, alluma la lumière et commença à se brosser les dents.
Sauf que quelques secondes plus tard, il revint à petits pas dans la chambre, les sourcils froncés, sur le qui-vive, sa brosse à dents toujours dans la bouche...
Une petite voix lui soufflait certainement qu'il n'était pas seul. En tout cas, à mon avis son instinct craignait grave, ou alors, il avait vraiment été trop tendu tout à l'heure pour prêter attention à ce qu'il lui disait.
— Twoi ! articula-t-il difficilement avec la brosse entre les dents, lorsqu'il me remarqua dans la semi-pénombre.
Il avait l'air pas plus impressionné que ça et ça me frustra quelque peu.
— T'es sérieux, mec ? m'écriai-je. Tu sursautes pas ? Rien ? Juste « toi » ?
Il leva les yeux au ciel l'air de dire : « Non, mais il pense qu'il a dix ans ? », ensuite, il retourna dans la salle de bain sans un mot de plus.
Je me demandais vraiment comment il faisait pour être si calme en toute circonstance. La dernière fois que j'étais rentré chez lui sans prévenir, en utilisant la clé qu'il m'avait donnée, je portais un sweat noir à capuche. J'avais rabattu celle-ci sur mon visage, m'étais agenouillé devant son lit et lui avais murmuré façon film d'horreur : « Tu veux jouer avec moi ? ». Et vous savez quoi ? Il avait ouvert les yeux, avait juste soufflé du nez et m'avait assuré que je n'avais aucune chance à Hollywood.
Un jour, je l'aurais ! Un jour, je lui ferais vraiment peur.
Je me levai et le rejoignis dans la salle de bain. Il avait terminé de se brosser les dents et se rasait désormais en face du large miroir circulaire.
— Tu vas où de si tôt ? demandai-je pour faire la conversation.
— Nulle part, ce matin. Par contre, j'ai un shooting, ce soir à Chicago. Je partirai pour l'aéroport vers treize heures. Comme je suis déjà réveillé...
— À cause d'un mystérieux appel, complétai-je en espérant qu'il m'en dise un peu plus.
— Rien d'important, assura-t-il en balayant mon commentaire d'un geste de la main. Et toi, t'as pas des trucs de star à faire ? Tu t'envoles pas demain pour le Brésil ?
Il avait changé de sujet pour ne pas en parler. Il se trompait s'il pensait que j'allais croire que cet appel n'était pas important, vu dans quel état il l'avait mis. Cependant, je n'allais pas insister pour autant. Pas parce que je n'étais pas curieux, mais parce que je savais que lui, aurait respecté mon silence. Je lui devais bien de laisser tomber... pour l'instant.
— On est vendredi. Rio, c'est pour dimanche, répondis-je avec un gros soupir résigné. Eh oui, j'ai des choses à faire, mais j'en ai pas envie.
— Ah bon !
— C'est fou, m'écriai-je en réalisant quelque chose. Maintenant que j'y pense. C'est mon premier jour de congé volé. Je fais toujours ce que j'ai à faire, comme un bon petit soldat. Mais là, je ne suis vraiment pas d'humeur pour le shooting promo, ou aller me blanchir les dents, ou tous les autres galères de mon agenda. Bref, je veux juste être en paix. En plus, je ressemble à une merde...
— Tu ne ressembles jamais à une merde, contra-t-il d'un ton neutre en rinçant son rasoir.
— Si tu le dis, prononçai-je dans langage traînant, comme un gamin. Tu veux retourner au lit avec moi ? J'ai pas do...
— Tu veux baiser en fait ? rit-il en séchant son visage.
— Je veux juste me coucher. Je ne parlais pas de baiser.
— Ouais, c'est ça ! railla-t-il en lorgnant mon pantalon et mon début d'érection.
— Ça, c'est à cause de toi, protestai-je. J'ai vu ton corps et j'ai bandé.
— Et tu veux qu'on aille au lit pour dormir pendant que tu bandes ? fit-il, dubitatif, avec un petit sourire en coin.
— Mais crois-moi, merde ! Je ne veux pas baiser.
— Oui, tu ne veux pas baiser. C'est très clair, comme le message sur ton tee-shirt, s'esclaffa-t-il, sarcastique. Rick, tu ne portes jamais une fringue sans une raison précise.
— Mais c'est le premier à m'être tombé sous la main ! me défendis-je en tirant sur le tee-shirt.
— OK, souffla-t-il sans se départir de son sourire amusé.
— Peut-être que c'est toi qui en as envie, en fin de compte.
— OK, répéta-t-il sur le même ton qu'avant.
— Comme tu veux ! m'agaçai-je. Je vais dormir tout seul.
Je me couchai dans son lit, à la place qu'il venait de quitter. Je voulais juste un corps chaud à côté du mien. Quoique, s'il voulait baiser, je ne dirais pas non, mais ce n'était pas mon objectif premier... Croyez-moi, merde !
Il rentra dans la chambre une minute plus tard et ouvrit plusieurs fois la commode en face du lit, sans jamais en ressortir quelque chose. Je comprenais parfaitement son petit jeu et dis :
— Ce sont des trucs de pute, tu sais ? Tu veux m'exciter pour qu'ensuite...
— La pute, c'est celui qui a fait des kilomètres pour baiser et qui n'assume pas d'être à ce point obsédé, rétorqua-t-il du tact au tact en pivotant pour me faire face.
— Tu veux baiser, Marcos ? T'as qu'à dire un mot et je suis à toi.
— Pourquoi, c'est moi qui dois dire le mot ? C'est qui qui bande ?
— Cette discussion ne va nulle part, soufflai-je en me croisant les bras derrière la tête.
— D'accord, dit-il en s'approchant du lit.
Il ouvrit la main et me montra une pièce.
— Pile, c'est toi qui veux baiser et tu me prends. Face, c'est moi et je te prends. Qu'on en finisse !
La situation semblait vraiment l'amuser. Bien décidé à mettre un terme à cette discussion stérile, je me levai et le rejoignis devant le lit. J'acquiesçai d'un hochement de tête et il lança la pièce en l'air. Celle-ci atterrit sur le matelas et il éclata de rire devant le résultat ; un rire profond, émanant du cœur, comme il s'en autorisait rarement.
— Ça va ! râlai-je en l'attirant contre moi. OK, c'est pile. Je suis un obsédé sexuel, t'es content. Maintenant, passons aux choses sérieuses.

Rock Hard, Love HarderOù les histoires vivent. Découvrez maintenant