Moins d'une demi-heure plus tard, j'avais atteint le riche quartier de Brentwood où Lucas habitait avec sa mère. Je me rappelais bien que plus d'une fois, les gars s'étaient foutus de sa gueule à cause de cette situation, mais le pianiste avait toujours répondu la même chose : pourquoi chercherait-il une maison après avoir acheté une villa à sa maman qui vivait toute seule ?
Son argument tenait bien sûr la route, d'autant plus que Suzan, sa mère, était si cool. Lucas pouvait rentrer tard, avec plusieurs meufs ; organiser des mégas soirées qui finissaient jusqu'à l'aube, et elle ne se fâchait jamais. C'était normal dans un certain sens, car son fils était adulte, mais quand même... J'avais connu des mamans moins sympas.
J'imaginais qu'en ce moment même, elle devait être dans sa chambre, ses écouteurs bedphones vissés aux oreilles, tandis que son fils faisait la fiesta en bas comme un malade.
J'étais presque arrivé à la villa aux multiples terrasses, lorsque mon téléphone se mit à sonner. C'était Jason.
— C'est pas trop tôt, décrochai-je avec un soupir théâtral.
J'avais à plusieurs reprises essayé de le joindre pour être certain que la fête se déroulait bien chez Lucas ; sans succès. Ayant obtenu le même résultat avec Sam et Lara, j'avais finalement mis le cap sur la villa ; advienne que pourra ! Je n'avais même pas essayé d'appeler Ty ; ce dernier supportait à peine le pianiste aux longs cheveux. Il y avait vraiment très peu de chance qu'il soit à cette soirée ou qu'il sache quoi que ce soit à propos.
— Il y avait trop de bruits à l'intérieur, expliqua Jason. Je viens de sortir pour fumer. Je t'ai rappelé dès que j'ai remarqué l'appel manqué.
Effectivement, je pouvais entendre un morceau de metal qui faisait rage en arrière-plan. La fête devait battre son plein au moment même où on parlait.
— OK, j'arrive ! J'y suis presque.
— Vraiment ? s'étonna-t-il.
Tout le monde était au courant des tensions entre moi et Lucas ces derniers temps. Pourtant, pas plus tard que l'année dernière, j'avais été l'un des premiers à arriver à sa fête. Le lendemain, je m'étais réveillé la tête dans le gazon, n'ayant aucune idée de comment j'avais atterri là. Ça avait vraiment été une soirée de malade !
Pour des raisons évidentes, cette fois-ci, je n'avais pas été invité. Et bizarrement, ça ne m'atteignait pas plus que ça.
— Oui, je suis déjà à Brentwood, confirmai-je.
— Ah merde ! pesta le bassiste. C'est vrai que Lucas ne t'a pas prévenu. L'année dernière, ses invités ont mis la maison sens dessus dessous. Sa maman n'a pas apprécié.
Ah bon ! Je m'étais trompé. Suzan savait se fâcher alors.
— La fête, c'est au Boulevard3, poursuivit Jason sur un ton navré.
— Le club qui a l'apparence d'un palace sur Sunset boulevard ? voulus-je m'assurer.
— Ouais, désolé pour le trajet dans le mauvais sens.
— Ça va. T'en fais pas !
Ça faisait une sacrée distance quand même ! De chez moi, j'aurais pris à peine quinze minutes pour arriver au club, car Sunset Boulevard n'était pas très loin de Beverly Hills. Alors qu'en partant de Brentwood, ça allait me prendre minimum trois quarts d'heure. C'était vraiment chiant de savoir que j'étais venu jusque-là pour rien. Sara par contre devait sûrement être arrivée depuis longtemps à la fête ; en espérant qu'elle n'avait tué personne en chemin.
- Rick ? reprit le bassiste avec une drôle d'intonation.
— Oui, répondis-je, perplexe, en attendant la suite.
— J'ai à te parler. Je t'attendrai à la soirée.
Vu le ton qu'il avait employé, peu importait ce qu'il avait à me dire, je savais que ce serait sérieux. Qu'est-ce que ça pouvait bien être ? Projetterait-il de partir ? J'espérais que non, parce que j'accepterais peut-être que Lucas s'en aille, mais pas lui. De toute façon, il avait un contrat. Turner ne plaisantait pas avec ce genre de choses. Je souhaitais de tout cœur que ce ne soit pas ça. J'avais hâte d'arriver pour en avoir le cœur net.
Je fis demi-tour et m'engageai de l'autre côté de l'autoroute en appuyant sur l'accélérateur... Peut-être un peu plus que je ne le devrais, en fait. Mais plus les souvenirs de la party de l'année dernière me revenaient, plus j'avais envie d'arriver pour récupérer Sara. Elle n'avait rien à faire là-bas.
Je filais sur l'autoroute, la musique à plein volume. J'étais à un quart d'heure du Boulevard3 lorsque je remarquai qu'une voiture de patrouille me faisait signe de m'arrêter.
Non ! Pitié, non !
Il y avait des jours où j'étais le pire chauffard de la Californie et aucune trace de la police. Pourquoi aujourd'hui ? Pourquoi maintenant ?
Sur le coup, je vérifiai mon compteur et fus bien obligé de pester devant les chiffres : 50km/h au-dessus de la vitesse maximale autorisée. Cette fois-ci, on allait m'enlever mon permis pour de bon. Avec un soupir résigné, je me garai près d'un petit restau vegan et écrasai mon visage sur le volant.
J'étais fichu !
Quelques minutes plus tard, un agent fit le tour de la voiture avant de cogner contre la vitre. J'abaissai celle-ci en gardant mon visage dans la même position en attente de mon destin.
— Vos papiers s'il vous plaît.
J'attrapai l'enveloppe dans la boîte à gants d'une main, la fis passer dans l'autre et la lui tendis ; le tout sans lever la tête.
Merde, merde, merde ! c'était tout ce qui tournait comme une litanie dans ma tête. On m'avait déjà enlevé tellement de points dans mon permis, cette fois-ci, j'étais cuit.
— Vous savez pourquoi je vous ai arrêté ? me questionna le policier.
Vous êtes l'un des producteurs de Fast and Furious et vous avez vu mon potentiel. Je me trompe ?
— Non, grognai-je toujours contre le volant.
— Saviez-vous à quelle vitesse vous rouliez ?
— Non, mentis-je.
— Aviez-vous bu ?
— Non.
— Monsieur, je vais vous demander de descendre du véhicule, exigea le policier sur le ton qu'utilisaient tous les flics pour signifier que les choses sérieuses avaient commencé.
Alors je suis engagé ? Je vais rejoindre l'équipe de Dominic Torreto ?
Je m'extirpai lentement de l'habitacle, les mains bien en évidence, comme l'exigeait le protocole. Le policier à la moustache fournie qui suivait chacun de mes gestes me somma ensuite de l'attendre pendant qu'il filait chercher un éthylotest. De frustration, je me passai un peu rudement les doigts dans les cheveux avant de m'adosser lourdement à la voiture en jurant intérieurement comme un charretier.
Je ne résistais jamais avec les forces de l'ordre. Pourquoi ? Parce que si pendant quelques secondes, on pouvait avoir l'impression d'être trop badass ; ce sentiment disparaissait à la minute même où on t'écrasait le visage contre un capot pour te passer les menottes. Et perso, ces bouts de métal étaient loin d'être mes bracelets préférés.
— Soufflez dessus, m'ordonna l'officier en revenant avec son éthylotest électronique.
Quel drôle de gâteau !
En plus, ce n'est même pas mon anniversaire.
Heureusement qu'il avait placé un embout neuf devant moi, car je ne faisais pas confiance à l'hygiène de ces appareils avec tous ces gens que les flics contrôlaient. J'avais toujours peur qu'ils aient oublié de changer l'extrémité et que mes lèvres entrent en contact avec toutes sortes de salive dégueulasse.
Rassuré, je fermai les yeux, pris une grande inspiration et soufflai dans l'Alcooltest. Ensuite, je m'adossai à la voiture en tapant du pied, attendant le résultat. C'était une perte de temps. Je n'avais pas touché à une seule goutte d'alcool de la journée, mais quelque chose me disait que l'agent n'en aurait que faire de mon avis. Une minute s'était écoulée et je commençais à perdre patience.
— Je sais que normalement vous devriez m'enlever le permis, mais j'avais vraiment une urgence.
Moustachu resta de marbre et mon agacement redoubla. Je crispai les mâchoires et me passai encore les mains dans les cheveux en tapant plus rapidement du pied. Finalement, le résultat apparut, et comme je m'y attendais, il était négatif. Moustachu ne sembla pas convaincu et fronça les sourcils.
— Souffle encore !
Si tu aimes mon haleine, il suffit de demander le nom de mon dentifrice.
On patienta encore deux minutes, mais le résultat demeura obstinément le même.
— Taux d'alcool nul, grommela le policier, comme s'il était déçu de ce constat. Peu importe ; je vais devoir quand même garder votre permis. Vous avez largement dépassé les limitations de vitesse, et j'ai l'impression que c'est plutôt une habitude.
— Non, priai-je, consterné. Vous ne pouvez pas garder mon permis. J'en ai besoin.
Dire que mon père voulait que je fasse avocat. On est d'accord que cette argumentation était nulle à chier ! J'étais certain que même K-pop s'en serait mieux sorti. Moustachu haussa ses sourcils broussailleux dans un geste de défi et se croisa les bras sur le torse.
— Ah bon ? Pourquoi je ne peux pas le garder ?
Pitié, non, pas ça ! À plusieurs reprises, de nombreux policiers m'avaient déjà fait chier avec leur « Monsieur se croit donc au-dessus des lois parce que c'est une star ? » . Alors que le plus souvent, je voulais juste être tranquille, comme en ce moment.
Pourquoi n'avait-ce pas été Sara dans cette situation ? J'aurais vraiment été plus enthousiaste d'aller la chercher au poste qu'à cette foutue soirée.
— Écoutez, repris-je de mon ton le plus éloquent. Je ne veux pas de problèmes. Il y a juste ma femme qui est juste trop bourrée à une fête et on m'a appelé pour venir la chercher. Vous aussi, vous vous seriez précipité pour votre femme, non ? Vous avez bien une femme, pas vrai ?
Il me scruta, les bras croisés sur le torse, le visage inexpressif ; puis il finit par s'exprimer d'une voix tout aussi monocorde :
— Je garde le permis.
Je tournai sur moi-même, et de frustration, tirai violemment sur mes cheveux. Sauf qu'après quelques secondes, j'eus comme une illumination.
— Emmenez-moi la chercher, m'écriai-je. OK, gardez le permis, mais emmenez-moi, s'il vous plaît. C'est à à peine vingt minutes d'ici. Il faut vraiment que j'y aille.
Il continuait de me regarder d'un air tout à fait indifférent et je fus à deux doigts de lui hurler que j'étais un putain de citoyen américain et qu'il me devait service et protection. Cependant, je décidai de prendre sur moi à la dernière seconde, passai mes mains sur mon visage et tentai en désespoir de cause :
— Je paierai pour l'essence !
Il resta silencieux et je me mis à scruter les alentours, désespéré. Mais je savais que c'était en vain : je n'allais pas trouver de taxi de sitôt dans cette zone.
— Je vous en prie ! retentai-je. Il faut que j'y aille.
Il décroisa les bras sans un mot, rédigea un avis de rétention d'un air impassible, me le remit et tourna les talons. Je fus tenté d'attendre qu'il s'en aille pour remonter en voiture tout en ayant conscience des lourdes conséquences que j'encourrais, mais Moustachu m'évita cette connerie. Il ouvrit la portière de sa voiture et patienta en regardant dans ma direction. Je compris alors qu'il avait accepté de me conduire au club et je soupirai de soulagement.
Bien évidemment, il ne me laissa pas monter devant. Je grimpai à l'arrière en songeant à mes mauvais souvenirs d'adolescent dans un véhicule de police. Ces moments d'angoisse où je m'escrimais à rester de marbre, en appréhendant la confrontation avec mon père quand il viendrait me récupérer au poste. Ça semblait si loin désormais.
J'envoyai ensuite un texto à Daphney lui indiquant l'emplacement de la voiture et des clés sous l'amortisseur pour qu'elle vienne les récupérer. Elle répondit par un message ponctué de quelques adjectifs peu flatteurs sur ma personne, mais je les ignorai. Je savais qu'elle viendrait quand même.
Le trajet se déroula dans un silence quasi total uniquement perturbé de temps à autre par la radio du policier. Moustachu me déposa à l'adresse que je lui avais indiquée, mais peine avais-je mis les pieds à terre, que ce dernier partit en trombe sans me laisser le temps de dire ouf. À mon avis, il devrait peut-être songer à s'enlever son propre permis, un de ces quatre.
VOUS LISEZ
Rock Hard, Love Harder
Fiction généraleRick Rivera est une superstar du rock adulée de toutes. Mais le ténébreux chanteur cache un lourd secret... *** Pour protéger sa célébrité et son homosexualité, Rick accepte de conclure un faux contrat avec Sara suite à un concours de circonstances...